Le présent article fixe les règles applicables au contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement, relevant de la compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressorts. En d’autres termes, il prévoit les recours possibles pour les citoyens contre toute surveillance abusive.
Renforcer les capacités d’action intrusive a nécessairement pour effet d’élargir les occasions, pour les services spécialisés, de porter atteinte au respect de la vie privée et aux droits et libertés fondamentaux de nos concitoyens. Sur ce point, le rapport de la commission des lois du Sénat est très clair. Une telle évolution ne peut s’envisager sans ses corollaires indispensables : d’une part, la création de contrôles effectifs, garantissant que ces atteintes s’exercent de manière légitime, nécessaire et proportionnée ; d’autre part, l’ouverture de voies de recours pour les personnes qui s’estimeraient victimes d’abus.
Qu’en est-il donc de ces contrôles et de ces voies de recours ? Face à l’extension des pouvoirs dévolus aux services de renseignement, ces corollaires se révèlent, hélas ! dérisoires.
Le Premier ministre, qui chapeautera l’action des services, pourra autoriser des opérations de surveillance en passant outre l’avis préalable de la CNCTR. Certes, le projet de loi crée une procédure contentieuse devant le Conseil d’État, qui pourra être saisi par la CNCTR et par les personnes s’estimant victimes de mesures de surveillance. Mais, dans les faits, celle-ci restera tout à fait opaque.
Tout le dispositif de recours est compromis par le secret qui entoure les techniques de renseignement et, dès lors, confère un caractère hasardeux aux demandes des justiciables. Ces derniers ne peuvent que soupçonner l’existence d’une surveillance mise en œuvre à leur encontre. Nul ne saura vraiment si un IMSI catcher a été déposé dans son entourage ou si l’algorithme fouillant les métadonnées – puisqu’on ne parle plus de « boîtes noires » – l’a pris dans ses filets.
Ce mode de fonctionnement, qui contraint les justiciables à avancer à l’aveugle, s’applique à l’ensemble de la procédure : la saisine de la CNCTR porte, par définition, sur des faits inconnus du requérant, lequel en est réduit à faire état d’indices ou d’impressions.
Non seulement le requérant est tenu de former un recours en restant dans l’ignorance totale de sa situation, mais il soutiendra ledit recours dans des conditions très éloignées d’un procès équitable, au sens où l’entend la Cour européenne des droits de l’homme. Face à l’État, il sera placé de facto dans une position inégalitaire.
En outre, ce projet de loi permet aux services de présenter au juge administratif des documents classés « secret » et d’obtenir des audiences à huis-clos. Le plaignant et son avocat seront alors, pour ainsi dire, mis sur la touche.
Ce texte conduira lentement et subrepticement nos concitoyens à modifier leurs comportements : inconsciemment, on commencera à s’autocensurer pour ne pas être surveillé, pour éviter de voir ses données personnelles et donc sa vie privée tomber dans le « domaine public », en l’occurrence les fichiers de l’État.
Il semblerait que l’on s’emploie à déployer le principe du panoptique imaginé par Jeremy Bentham et analysé par Michel Foucault dans Surveiller et punir. Le panoptique, c’est cette disposition architecturale qui permet, en prison par exemple, de voir sans être vu…
Force est de le constater, la question d’un recul démocratique se pose.
Monsieur le rapporteur, hier, vous avez cité Alexis de Tocqueville, penseur de la démocratie.