Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 1er mars 2006 à 15h00
Égalité des chances — Article 3

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Probablement était-ce parce que la menace de l'invocation de l'article 40 de la Constitution avait plané, mais le Gouvernement est devenu riche...

Nous avions proposé, quant à nous, au sein de la commission des affaires sociales comme en séance publique, la suppression de cet article 3 et je souhaiterais dire en quelques mots pourquoi.

Comme nous l'avons rappelé lors de notre intervention sur cet article, l'élargissement du bénéfice du crédit d'impôt aux entreprises employant des apprentis juniors équivaut à une double gratification pour les employeurs, ce à quoi nous nous opposons fermement.

Les entreprises embauchant des jeunes apprentis dans le cadre de l'apprentissage junior vont disposer d'une main-d'oeuvre à très faible coût - reconnaissons-le -, au détriment d'une réelle possibilité d'intégration pour le jeune travailleur. De plus, elles pourront bénéficier d'une aide financière.

Nous nous étions opposés à la création de ce dispositif lors de la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, car rien ne prouve, à ce jour, que de tels dispositifs auront un effet bénéfique sur l'emploi des jeunes ou constitueront une incitation à l'embauche par les entreprises.

Un tel article nous ramène finalement à la politique du Gouvernement en matière d'emploi - là, il y a une vraie logique - politique qui vise à multiplier les mesures d'aides ou d'incitation fiscale en direction des entreprises, sans avoir à leur égard beaucoup d'exigences en retour et, en même temps, à fragiliser et à appauvrir les travailleurs.

Je rappellerai quelques chiffres. Ce ne sont pas les nôtres, ce sont ceux qui sont fournis par le Conseil d'orientation pour l'emploi, et ils sont éloquents : les allègements de cotisations sociales s'élèvent à 17, 1 milliards d'euros, les exonérations et le crédit d'impôt pour les contrats d'apprentissage, à 1, 5 milliard d'euros, les aides aux embauches dans les zones franches urbaines, à 370 millions d'euros, le contrat jeune en entreprise, à 273 millions d'euros, l'aide dégressive à l'emploi, à 104 millions d'euros.

Les sommes versées par l'État aux entreprises sont donc colossales, et il ne s'agit ici que des aides directes de l'État.

Cependant, si l'on tenait compte de toutes les aides indirectes dont bénéficient les entreprises de la part de l'État ou des collectivités territoriales - il serait bon, d'ailleurs, de réaliser une telle évaluation ; peut-être, un jour, la commission des affaires sociales tentera-t-elle de l'effectuer, ce qui lui fera un travail supplémentaire ! - il semblerait, selon des informations parues récemment dans les revues spécialisées, que ce grand dispositif d'aide fiscale et sociale lancé au nom du développement de l'emploi se chiffrerait à 60 milliards d'euros chaque année.

Ces « cadeaux » faits aux entreprises sont injustifiables ; de plus, ils conduisent à tirer vers le bas non seulement la qualité des emplois, en incitant les entreprises à recourir aux emplois précaires et peu qualifiés, mais aussi, et surtout, le montant des salaires.

Ces exonérations sociales et toutes ces aides accordées aux entreprises opèrent un effet de substitution des emplois peu qualifiés au détriment d'emplois qualifiés.

C'est à cette conclusion que parvient le Centre d'études de l'emploi, dans sa dernière enquête de janvier 2006, relative aux « évaluations des exonérations sur les bas salaires ».

On y lit que l'impact sur les bas salaires est très difficile à évaluer et, dans tous les cas, toujours en dessous des estimations avancées. On y apprend aussi ceci : « L'impact sur l'emploi qualifié est encore plus incertain. Du point de vue des employeurs, les allégements sur les bas salaires renchérissent le coût du travail qualifié relativement au coût du travail non qualifié, ce qui implique des effets de volume et de substitution ».

L'étude se termine par cette remarque : « Il est clair que l'instabilité des dispositifs n'a pas contribué à renforcer les effets sur l'emploi et que les chiffrages peuvent paraître de ce point de vue surestimés ».

Comment, dans ce cas-là, ne pas douter de l'intérêt d'un tel article, qui vise à étendre encore ces dispositifs d'aide aux entreprises ? La raison, ou tout au moins la prudence, nous encourage plutôt à penser le contraire.

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