Intervention de Élisabeth Lamure

Réunion du 10 juin 2015 à 14h30
Gel de la réglementation concernant les entreprises — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, mes chers collègues, le chômage en France n’en finit pas d’augmenter. Aujourd’hui, 3 536 000 Français se trouvent sans activité. C’est un triste record pour notre pays, et ce malgré l’euro faible, malgré la politique accommodante de la Banque centrale européenne, malgré le prix bas du pétrole, malgré les prémices de reprise…

Or nous sommes nombreux à avoir la conviction que les entreprises détiennent la clé de l’emploi et de la croissance sur notre territoire. C’est pourquoi le président Gérard Larcher a proposé au bureau du Sénat, à la fin de l’année dernière, de créer une délégation aux entreprises. Cette délégation, que j’ai l’honneur de présider, est précisément chargée de recenser les obstacles au développement des entreprises et de proposer des mesures visant à simplifier les normes applicables à l’activité économique.

C’est à cette fin que les sénateurs de la délégation aux entreprises vont à la rencontre des entrepreneurs depuis six mois. Dans les différents départements dans lesquels nous nous sommes rendus, nous avons écouté une centaine d’entre eux, à la tête d’entreprises de taille petite, moyenne ou intermédiaire qui font vivre nos territoires. Tous nous ont alertés sur le poids de la réglementation et sur l’énergie qu’ils doivent y consacrer, au détriment des projets d’avenir pour leur entreprise.

Je ne pourrai pas rapporter ici la richesse de nos échanges ni les nuances locales, mais il me semble important de vous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, l’élément clé qui en ressort. Ce que nous ont essentiellement dit les entrepreneurs, c’est : « Laissez-nous travailler ! » En effet, la complexité des règles à appliquer, conjuguée à leur instabilité, prend un temps considérable aux entreprises – cette part est de 20 % à 30 %, nous a précisé un entrepreneur de la Drôme.

Les normes sont trop nombreuses dans tous les domaines, à commencer par le domaine social. Le code du travail, on le sait, est particulièrement épais en France. Une entreprise nous a d’ailleurs indiqué que l’embauche du cinquantième salarié entraînait tellement d’obligations qu’elle imposait le recrutement d’un cinquante et unième salarié pour tout gérer. Une autre a pointé la lourdeur de la déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés. Toutes dénoncent en outre la complexité du compte pénibilité.

Dans le domaine de la construction, les normes s’empilent également, au nom du principe de précaution : prévention des risques technologiques, normes antisismiques, protection de l’environnement, etc.

En matière fiscale, le maquis réglementaire est tel que nombre d’entreprises appellent de leurs vœux une généralisation du rescrit.

De surcroît, la complexité de la transmission d’entreprise nous a souvent été rapportée. Une entreprise familiale nous a dit songer à monter une holding pour faciliter sa transmission !

La prolifération des normes soulève des questions juridiques, mais, je tiens à le souligner, elle constitue également un sujet économique majeur. Non seulement ces normes engendrent des coûts élevés, estimés à 60 milliards d’euros par la commission Attali, en 2008, mais elles pèsent aussi sur l’attractivité de notre pays. Notre ancien collègue Alain Lambert et notre collègue Jean-Claude Boulard ont dénoncé cette situation dans un rapport percutant remis en mars 2013 au Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault.

Le Gouvernement en a pris acte. C’est ainsi que, le 17 juillet 2013, M. Ayrault a adressé une circulaire aux membres du Gouvernement pour les inviter à geler la réglementation. Ce texte indique notamment que toute norme créée doit s’accompagner d’une simplification équivalente. Ce système de gage vise à la fois les collectivités territoriales et les entreprises. Ce sont naturellement ces dernières qui préoccupent notre délégation. Voilà pourquoi nous vous demandons, monsieur le secrétaire d’État, de nous présenter aujourd’hui le bilan d’application de cette circulaire, dont je ne suis pas tout à fait certaine que les entreprises ressentent les effets.

Ainsi, quelle méthodologie le Gouvernement suit-il pour mettre cette règle en application ? Chacun de ses membres a-t-il recensé les textes applicables dans son champ de compétences, évalué le coût de ces normes et repéré les dispositions obsolètes ou inutiles susceptibles d’être supprimées ? Comment sont précisément évaluées les charges induites, pour les entreprises, par chaque disposition existante ou envisagée, et avec quels outils ? Vérifie-t-on, norme pour norme, que la réduction de charges permise par la suppression de l’une compense l’augmentation de charges résultant de l’adoption de l’autre ? Ce travail est-il effectué à une échelle consolidée par ministère ou bien au niveau de l’ensemble de notre corpus juridique ? Comment le secrétariat général du Gouvernement supervise-t-il la mise en œuvre de cette circulaire ? Les administrations centrales et déconcentrées sont-elles responsabilisées et mobilisées pour atteindre le but fixé ? Surtout, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure cet objectif a été atteint ?

Vous ne l’ignorez pas, d’autres grands pays européens peuvent inspirer notre action en ce domaine. Ainsi, l’Allemagne a son Normenkontrollrat. Cet organe indépendant a été créé en 2006 par le gouvernement allemand pour réduire la bureaucratie. Il offre une évaluation précise et transparente de la charge induite par toute nouvelle disposition, avant son adoption.

De même, le Royaume-Uni dispose du Regulatory Policy Committee, créé en 2009 et chargé de vérifier les estimations des coûts et bénéfices de chaque norme envisagée, en termes économiques, sociaux et environnementaux. Cet organe accompagne le gouvernement britannique dans l’application de la règle qu’il s’est fixée pour réduire le poids des normes.

Au reste, le Conseil de la simplification pour les entreprises d’avril 2014 avait préconisé, en priorité, la création d’une instance équivalente pour la France : la semaine dernière, vous avez annoncé sa mise en place au 1er juillet. Pouvez-vous nous le confirmer ?

À l’origine, la règle britannique ressemblait à celle fixée dans la circulaire dont nous débattons aujourd’hui : « one-in, one-out ». Mais le gouvernement britannique a revu, en 2013, son ambition à la hausse, avec le mot d’ordre « one-in, two-out » : une livre sterling de charges créées par l’adoption d’une nouvelle norme doit s’accompagner de la suppression, non plus d’une, mais de deux livres sterling de charges existantes. Cette ambition de déflation législative est désormais gravée dans le marbre de la loi. En effet, lors de notre déplacement à Londres, en avril dernier, nous avons appris que le Royaume-Uni venait d’adopter, le mois précédent, une loi relative aux PME et à l’emploi. Ce texte contraint le gouvernement à respecter, sur la durée de la législature, un objectif de simplification réglementaire destiné à favoriser la croissance des entreprises.

L’enjeu de la prolifération normative n’est pas strictement quantitatif : il implique une plus profonde évolution, d’ordre qualitatif. Il s’agit d’entrer dans une culture du résultat ; cela signifie évaluer les effets des dispositions applicables, en aval, pour éventuellement les réajuster, mais aussi, en amont, mieux documenter les études d’impact. Certes, les projets de loi doivent déjà être assortis d’une étude d’impact, mais ces documents se révèlent souvent trop légers. Le Conseil d’État lui-même a récemment dressé ce constat : dans sa délibération du 8 décembre 2014 relative au projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, il n’a pu que « déplorer, à la date de sa saisine du projet de loi, le caractère lacunaire et les graves insuffisances de l’étude d’impact sur nombre de dispositions du projet ».

La délégation sénatoriale aux entreprises éprouve le besoin de disposer d’études ciblées et documentées, pour être à même d’assurer convenablement la mission d’« examiner les dispositions des projets et propositions de loi comportant des normes applicables aux entreprises » que lui a confiée le bureau du Sénat. La délégation a également reçu du bureau du Sénat la mission de « proposer des mesures visant à favoriser l’esprit d’entreprise et à simplifier les normes applicables à l’activité économique, en vue d’encourager la croissance et l’emploi dans les territoires ». Elle a donc besoin d’évaluer les conséquences des mesures proposées par les entrepreneurs qu’elle rencontre sur le terrain. C’est pourquoi nous envisageons de recourir à des études d’impact au cours des prochaines années.

La commission Juncker plaide elle aussi en ce sens au niveau européen. Monsieur le secrétaire d’État, comment le gouvernement auquel vous appartenez entend-il prendre sa part dans cette évolution ?

Enfin, j’aborderai la question du poids des normes pour nos entreprises sous un angle plus large.

De nos échanges avec les entrepreneurs français implantés dans nos territoires, il ressort que les normes leur pèsent tout autant par leur nombre et leur instabilité que par l’état d’esprit qui anime l’administration chargée de leur application.

Tout d’abord, notre administration se comporte comme un contrôleur de l’application des normes, au lieu d’accompagner ou de conseiller les entreprises, afin qu’elles s’y conforment. Partout où nous les avons rencontrés, les entrepreneurs nous ont lancé : « Faites-nous confiance ! »

Depuis quelques mois, le Premier ministre déclare dans toutes les langues qu’il aime les entreprises.

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