Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 juin 2015 à 9h01
Dialogue social et emploi — Examen du rapport pour avis

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur pour avis :

Le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, présenté le 22 avril dernier en Conseil des ministres, a pour objet principal de réformer le dialogue social dans les entreprises. Il comporte également une partie relative au régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle ainsi qu'un volet instaurant la prime d'activité, correspondant au titre IV du projet de loi.

La prime d'activité doit remplacer, à compter du 1er janvier 2016, le volet « activité » du revenu de solidarité active (RSA) et la prime pour l'emploi (PPE), dont nous avons approuvé la suppression à la fin de l'année dernière dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2014. Le Gouvernement a prévu une enveloppe de 4,1 milliards d'euros pour cette nouvelle prime, qui sera intégralement financée par le budget de l'État. Il est donc apparu légitime que la commission des finances du Sénat se saisisse pour avis de ce titre IV - comme l'a fait la commission des finances de l'Assemblée nationale. À l'origine, il comprenait quatre articles - les articles 24 à 27 - ; il en compte désormais six, à l'issue de l'examen en première lecture par l'Assemblée nationale, achevé le 29 mai dernier et qui n'a apporté que peu de modifications au texte présenté par le Gouvernement.

La prime d'activité a vocation à pallier les défauts des dispositifs actuels de soutien financier à l'activité des travailleurs pauvres ou à revenus modestes.

En premier lieu, la prime pour l'emploi est un crédit d'impôt accordé sur une base individuelle à chaque membre du foyer fiscal percevant des revenus d'activité professionnelle compris entre 0,3 et 1,25 fois le SMIC. Elle est largement critiquée en raison de son manque de ciblage, du décalage d'au moins un an entre la perception des revenus et le versement de la prime - lié à l'imposition sur le revenu - et de la complexité de son articulation avec le RSA « activité » - le montant de RSA « activité » versé l'année n étant déduit de la PPE perçue l'année n+1.

En second lieu, le RSA « activité » est une prestation sociale familialisée, versée dès le premier euro d'activité, à partir de 25 ans, jusqu'à un certain seuil de revenu d'activité. Il correspond à 1,15 SMIC pour une personne seule. En 2010, dans le cadre d'un rapport d'information, j'avais eu l'occasion, avec des collègues de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, de souligner un certain nombre de ses dysfonctionnements. De fait, son efficacité est contestée en raison d'un faible taux de recours - environ 32 % -, dû à la complexité du fonctionnement de la prestation, dont le versement mensuel génère de nombreux indus et récupérations, ainsi qu'au caractère « stigmatisant » de son lien avec le RSA « socle ».

Un consensus semble donc exister sur la nécessité de modifier ces deux aides. Dès juillet 2013, notre collègue député Christophe Sirugue, a remis au Premier ministre de l'époque, Jean-Marc Ayrault, un rapport esquissant des scénarios de réforme. La question du coût semble toutefois avoir conduit l'exécutif à repousser la mise en oeuvre de ces scénarios.

La censure par le Conseil constitutionnel de la réduction dégressive de cotisations salariales, en août 2014, a conduit le Président de la République à annoncer la « fusion » de la PPE et du RSA « activité ». Une première étape a été franchie en décembre dernier avec la suppression de la PPE - qui a d'ailleurs suscité très peu de débats.

En quoi consiste la prime d'activité proposée par le Gouvernement ?

L'exposé des motifs la présente comme une prestation sociale, correspondant à l'actuel RSA « activité » auquel viennent s'ajouter des bonus individuels pour les travailleurs composant le foyer et gagnant plus de 0,5 SMIC. Ces bonus se concentrent principalement sur les travailleurs dont la rémunération est comprise entre 0,8 et 1,2 SMIC.

Cette prestation unique, qui sera versée dès le premier euro d'activité, comprendra à la fois une part familialisée et une part individualisée. Elle sera ouverte à tous les travailleurs, y compris aux jeunes entre 18 et 25 ans.

Selon le Gouvernement, la prime d'activité a donc vocation à opérer « un compromis entre les deux dispositifs qu'elle remplace. Plus ciblée que la PPE, elle s'adresse à un public plus large que celui du RSA « activité », notamment aux jeunes actifs ».

L'étude d'impact annexée au projet de loi indique que la réforme s'inscrit également dans une « démarche de simplification », à la fois pour les bénéficiaires et pour les caisses d'allocations familiales (CAF) qui géreront la prime. En particulier, l'introduction d'un « effet figé » de trois mois, durant lesquels la prime ne peut varier, même en cas d'évolution des revenus d'activité, devrait en faciliter la gestion par rapport à l'actuel RSA « activité ». Il est également prévu d'exclure de la base des ressources prises en compte dans le calcul de la prime certains revenus, comme les avantages en nature, les capitaux non producteurs de revenus ou les revenus du capital non imposables, afin d'alléger les démarches des bénéficiaires.

Il n'en demeure pas moins que la nouvelle prestation demeure extrêmement complexe et peu lisible. En effet, le projet de loi se borne à définir le cadre général du dispositif, l'essentiel de ses règles de fonctionnement et de ses paramètres devant être fixés par voie réglementaire. D'un point de vue financier, le projet de loi précise toutefois clairement que la prime d'activité sera financée par le budget de l'État. L'enveloppe de 4,1 milliards d'euros prévue pour l'année 2016 représente un effort supplémentaire de 300 millions d'euros comparé au coût total qu'auraient représenté, en 2016, le RSA « activité » et la PPE. Cette estimation est construite à partir de l'hypothèse d'un taux de recours à la prime de 50 % des personnes éligibles - contre 32 % actuellement pour le RSA « activité ». La dépense correspondant à un taux de recours théorique de 100 % est estimée à environ 6 milliards d'euros.

En raison du ciblage spécifique de la prime sur les travailleurs gagnant entre 0,8 et 1,2 SMIC et de sa base familialisée, la prime d'activité devrait faire environ 1,2 million de gagnants, concentrés parmi les 20 % des ménages les plus pauvres, et 820 000 perdants, correspondant à environ un quart des actuels bénéficiaires de la PPE, notamment les concubins imposés séparément qui percevaient la PPE sans qu'il soit tenu compte des revenus de leur conjoint. La réforme serait neutre pour environ la moitié des ménages concernés. J'appelle toutefois votre attention sur le fait que les chiffres communiqués par le Gouvernement intègrent non seulement les effets de la nouvelle prime d'activité mais aussi ceux de la réforme du « bas de barème » de l'impôt sur le revenu (IR), adoptée dans le projet de loi de finances pour 2015, qui a permis d'éviter 370 000 ménages perdants du fait de la suppression de la PPE.

Si donc un certain consensus semble se dégager autour de cette nouvelle prestation, qui paraît corriger certains défauts des dispositifs antérieurs - la prime d'activité répond donc au problème du saupoudrage et du décalage dans le temps de la PPE, tout en étant ouverte aux jeunes actifs -, il n'en faut pas moins souligner les limites et la vigilance qu'appellent certains points.

Premièrement, le caractère très vague du dispositif législatif et la complexité du mécanisme de la prime obligent le législateur à se reposer entièrement sur le pouvoir réglementaire, auquel il reviendra de préciser à partir de quand et selon quel rythme la prime sera versée, ainsi que de définir l'essentiel de ses paramètres de calcul et de ses modalités de fonctionnement. D'ailleurs, la complexité de la formule de calcul est telle que sa définition législative est pratiquement illisible.

Deuxièmement, la simplification proposée paraît bien relative. En effet, la formule de calcul de la prime d'activité, à la fois familialisée et individualisée, est si complexe qu'il sera toujours malaisé, voire impossible à un bénéficiaire d'anticiper, sans simulateur, le montant qui lui sera versé !

Ensuite, même légèrement simplifiée, la base des ressources prises en compte exigera des bénéficiaires qu'ils fournissent un certain nombre de justificatifs et des CAF un important travail de vérification et de gestion. Des échanges d'information entre la direction générale des finances publiques (DGFiP) et les CAF sont certes prévus mais ils ne seront pas immédiatement automatisés. On comprend mal que n'aient pas été retenues les bases fiscales figurant sur les certificats d'imposition ou de non-imposition.

En outre, compte tenu des modifications apportées, la base de la prime d'activité n'est désormais plus identique à celle applicable au RSA. L'exclusion de certaines aides dans la base des ressources prises en compte pour le calcul des prestations sociales est source de complexité. Je souscris pleinement au principe d'un dispositif unique, mais le Gouvernement manque d'ambition : au lieu de « bricoler » un dispositif existant, il aurait pu proposer une véritable réforme en alignant ces différentes bases de ressources et en les rapprochant de l'assiette fiscale.

Enfin, même si les CAF semblent prêtes à gérer cette nouvelle prestation, il est permis de penser que le calcul des primes d'activité sera pour elles un exercice complexe et que le risque d'indus restera élevé.

Troisièmement, l'ouverture de la prime d'activité aux étudiants et aux apprentis, par le biais d'un amendement du Gouvernement, adopté pour mettre en oeuvre l'annonce du Président de la République du 19 avril, soulève une question de principe : compte tenu des seuils d'éligibilité à la prime d'activité, ne risque-t-on pas d'encourager les étudiants qui ont une activité professionnelle à travailler davantage, au détriment de leurs études ? Alors que certains étudiants rencontrent des difficultés pour se loger et pour financer leurs études, il serait plus logique de se pencher sur la question des bourses que de leur attribuer le bénéfice de la prime d'activité, qui les poussera à travailler davantage plutôt qu'à s'investir dans leurs études. Cette extension du champ de la prime est également paradoxale au regard de son objectif principal : inciter et encourager l'exercice ou la reprise d'une activité professionnelle. Concrètement, très peu d'étudiants et d'apprentis devraient finalement pouvoir y prétendre, compte tenu des critères très restrictifs qui sont prévus. Je vous présenterai tout à l'heure un amendement qui tend à restreindre l'ouverture du bénéfice de la prime aux seuls apprentis répondant aux conditions de rémunération et de durée d'activité prévus par le texte.

Quatrièmement, alors que le Gouvernement assigne pour objectifs à cette prime l'encouragement à la reprise ou la poursuite d'activité et le soutien au pouvoir d'achat des travailleurs modestes, il est permis de douter de son impact sur l'emploi, surtout dans un contexte de chômage de masse. D'autant que les temps partiels, notamment les plus petits, sont souvent subis par les travailleurs. Ce n'est donc pas la prime d'activité qui, toute incitative qu'elle soit, fera qu'ils travailleront davantage mais bien une politique efficace de lutte contre le chômage.

Enfin, d'un point de vue financier, l'enveloppe prévue - 4,1 milliards d'euros - repose, comme cela a déjà été dit, sur des hypothèses de taux de recours et des paramètres de calcul difficiles à vérifier. Il conviendra d'être extrêmement vigilant, au cours des prochaines années, dans le cadre de l'examen des crédits de la mission « Solidarité », sur les coûts qui résulteront de cette nouvelle prestation.

Je ne suis pas un fanatique des rapports, mais puisque l'Assemblée nationale a prévu, à l'article 28, un rapport d'évaluation du Gouvernement, autant qu'il serve à quelque chose. Je vous proposerai donc un amendement visant à en compléter son contenu par des informations plus précises sur les déterminants de la dépense, qui pourraient se révéler utiles pour envisager des ajustements visant à contenir le coût de ce nouveau dispositif.

La nouvelle prime d'activité a le mérite de remplacer deux dispositifs par un seul en palliant certains de leurs défauts, mais reste une prestation sociale dont le mode de calcul et les modalités d'attribution demeurent très complexes. Il faut espérer que les hypothèses de travail et les simulations réalisées par le Gouvernement seront confirmées afin que l'enveloppe budgétaire initialement prévue soit respectée.

Sous réserve des amendements que je vous propose et tout en réaffirmant la nécessité d'être vigilant quant au coût de cette nouvelle prestation, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption du titre IV, qui comprend les articles 24 à 29 du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi.

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