Intervention de Alain Dufaut

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 juin 2015 à 17h35
Dialogue social et emploi — Examen du rapport pour avis

Photo de Alain DufautAlain Dufaut, rapporteur pour avis :

Ce sujet complexe constitue à lui seul le titre II du projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale : « Conforter le régime d'assurance chômage de l'intermittence ». Notre commission y travaille continûment depuis la grande crise de 2003 où de nombreux festivals avaient été annulés, y compris celui d'Avignon, ville dont je suis élu. J'ai en mémoire le drame économique que cela a représenté. Le comité de suivi né à l'instigation de Jack Ralite et d'Etienne Pinte a fait mieux connaître la situation des intermittents, la précarité de certains, les pratiques peu scrupuleuses d'employeurs du secteur et l'existence de poches d'injustice dans l'application du droit social, par exemple pour les matermittentes.

Notre commission s'est saisie de tous ces sujets, nous avons auditionné, organisé des tables rondes, remis des rapports d'information - le dernier de nos groupes de travail, auquel j'ai participé, a été conduit en 2013 par Mme Maryvonne Blondin. Il proposait de réformer le régime des intermittents pour le pérenniser, en énonçant douze recommandations.

La condition des intermittents est éloignée de ce qu'en disent les médias. Nous avons été convaincus que des règles spécifiques d'indemnisation du chômage étaient légitimes dans le secteur du spectacle et vertueuses pour notre économie - la culture représente plus de 3 % du PIB et près de 700 000 emplois, dont environ 100 000 intermittents en 2014 ; qu'il fallait réformer l'assurance chômage des intermittents pour la pérenniser, parce que le déséquilibre entre recettes et dépenses, d'un milliard d'euros en 2014, commençait à décourager la solidarité interprofessionnelle ; que la réforme de 2003 devrait être ajustée, parce qu'elle était contestée et que des objectifs chiffrés lui avaient été assignés : autant de raisons pour que nous suivions de près son application.

Il s'agit d'assurer la couverture du risque chômage des professionnels du spectacle au sein de notre matrice sociale qu'est la solidarité interprofessionnelle - risque chômage particulier puisque l'emploi y est intermittent, l'activité fonctionnant par projet.

Une première dérogation dans la couverture du risque avait été lancée sous le Front populaire, à la demande des employeurs qui avaient besoin de très bons professionnels pour des périodes intermittentes. Les annexes VIII et X, créées dans les années 1960, ont bien fonctionné pendant deux décennies, tout en s'élargissant. Cependant, ce mouvement progressif, avec le développement de l'audiovisuel et, surtout, des politiques publiques culturelles, dû au doublement du budget de la culture de l'État et à la participation des collectivités territoriales, a provoqué un changement d'échelle. L'activité culturelle s'est développée - une très bonne chose - mais le secteur s'est considérablement émietté au gré de l'hyper-flexibilité du marché du travail, et les règles d'indemnisation du chômage sont devenues un « statut » des intermittents, même si ce mot n'est guère apprécié de certains syndicats. Ce statut a joué le rôle de stabilisateur et l'Unédic est devenu le premier mécène culturel à l'échelon national.

Depuis le début des années 1980, tous les deux ans, lorsque les partenaires sociaux renégocient la convention d'assurance chômage, ils constatent un déséquilibre toujours plus important entre les recettes et les dépenses chômage des intermittents, si considérable, quand l'ensemble du risque chômage est déséquilibré, que certaines confédérations en viennent à contester le principe même de solidarité interprofessionnelle.

Or ceux qui s'assoient autour de la table de négociation ne connaissent pas l'environnement économique et social du spectacle ; les artistes, les techniciens et surtout leurs employeurs ne sont pas suffisamment intégrés à l'interprofession pour s'y faire entendre et comprendre. Les ajustements ne sont pas décidés en concertation avec eux, paraissent sortis du chapeau en toute fin de négociation, et tout à fait décalés de la réalité. Résultat, une crise tous les deux ans et un séisme tous les dix ans...

L'enjeu est très important. Rappelons nos positions, maintes fois réitérées : nous tenons à ce que le risque chômage soit assuré dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle et non dans une caisse autonome. L'exception française du régime des intermittents tient à cette solidarité interprofessionnelle, loin des caisses spécifiques prévalant dans d'autres pays, qui seraient inadaptées à nos politiques culturelles, en particulier locales.

Nous pensons aussi qu'il faut associer les professionnels du spectacle à la négociation interprofessionnelle, en particulier les employeurs, dont on doit inciter les fédérations à s'affilier aux confédérations patronales.

Il faut une expertise en continu sur ces sujets, non seulement parce que les enjeux sociaux et économiques dépassent la seule question des intermittents, mais parce que nous n'avons plus les moyens de cette régulation par la crise, à coup de festivals annulés, de spectacles interrompus, de contrevérités sur les privilèges des intermittents ou, à l'inverse, l'injustice du système.

Enfin, l'ensemble de la profession doit participer aux efforts budgétaires auxquels s'astreint l'interprofession : les artistes, les techniciens et leurs employeurs accepteront d'autant mieux ces efforts qu'ils auront été associés au paramétrage du système.

L'article 20 est directement issu des travaux de la mission Gille-Archambault-Combrexelle, concertation qui a eu le grand mérite d'éviter un conflit majeur l'an passé. Il comprend cinq points, dont le cinquième a été ajouté par les députés.

La reconnaissance légale des règles spécifiques d'indemnisation des intermittents du spectacle, les fameuses annexes VIII et X, est le point le plus symbolique de ce texte. On parle de « sanctuarisation », mais il s'agit seulement de reconnaître l'existence de règles adaptées que les partenaires sociaux négocient, pas de dire quelles sont ces règles.

Deuxièmement, l'article 20 instaure une négociation subsidiaire de ces règles dérogatoires par les intermittents et leurs employeurs. L'échelon interprofessionnel définit une trajectoire financière et un délai pour cette négociation et reprend la main en cas d'échec ou si l'accord n'est pas conforme à la lettre de cadrage. Ce point est le plus fragile, juridiquement et politiquement.

Troisièmement, il instaure un comité d'expertise, calqué sur celui de la mission Gille-Archambault-Combrexelle, comprenant des techniciens de l'Unédic, de Pôle emploi et des personnalités désignées par l'État, pour évaluer les propositions faites en cours de négociation et l'accord, quand il y en a un. Cette expertise est essentielle parce que le débat est pollué depuis des décennies par des contrevérités relayées trop facilement par les médias - au point que les intermittents et leurs syndicats en sont venus à douter des statistiques de Pôle emploi et de l'Unédic - et que les propositions alternatives ne sont pas examinées.

Quatrièmement, une nouvelle liste d'emplois ouvrant droit à des contrats de travail à durée déterminée d'usage (CDDU) doit être établie par les organisations de l'échelon professionnel avant le 31 janvier 2016. À défaut d'accord, les ministres de la culture et du travail pourront le faire par arrêté. Les députés, à l'initiative de Jacqueline Fraysse, ont ajouté que ces mêmes organisations professionnelles négocient la politique contractuelle, notamment les conditions de recours au CCDU, avant le 30 juin 2016. Ce point technique est déterminant, je vous proposerai de l'améliorer.

Cinquièmement, les députés ont prévu une meilleure prise en compte des « mattermittentes », et un rapport au Parlement sur les intermittentes avant la prochaine convention d'assurance-chômage. Ici encore, les députés ont pu s'inspirer de nos travaux puisque Maryvonne Blondin avait fait adopter un amendement en ce sens au projet de loi relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, disposition ensuite supprimée par l'Assemblée nationale.

Je vous proposerai d'adopter une position constructive sur l'article 20, au nom de la concertation sociale, dans l'intérêt de l'activité culturelle et du développement de nos territoires. Les négociations vont reprendre en vue de la nouvelle convention d'assurance chômage, qui doit être signée fin 2016, les festivals commenceront début juillet.

Cet article inscrit dans la loi le principe de règles spécifiques pour les intermittents, adaptées à la nature de leur activité, et institue une nouvelle méthode pour négocier ces règles, avec un outil d'expertise dédié : nous devons saisir cette occasion, en faisant confiance au sens des responsabilités des uns et des autres. L'heure n'est pas à sa suppression, quelles que soient les incertitudes et les faiblesses juridiques qu'il présente. Ce serait interprété comme une défiance et nous y perdrions collectivement.

Le rôle du législateur n'est pas d'intervenir sur le contenu des règles spécifiques applicables aux intermittents, qui est du ressort des partenaires sociaux, mais de fixer le cadre de leur négociation, d'en énoncer le fonctionnement, en particulier pour la représentativité, la validité, l'étendue des accords et d'outiller la négociation par de l'expertise. Nous n'avons pas à définir les paramètres de l'allocation ni son mode de calcul ; par exemple, nous n'avons pas à nous prononcer sur la demande des intermittents de revenir à la date anniversaire et à la période de référence d'une année. Sinon, l'État prendrait la main et devrait payer la note, dans une caisse autonome, à rebours du principe de solidarité interprofessionnelle.

La concertation ouverte il y a tout juste un an avec la mission Gille-Archambault-Combrexelle a identifié des pistes importantes, certaines novatrices, que le comité d'expertise devra explorer. Nous n'avons pas à interférer dans cette négociation, mais à pérenniser son cadre novateur, comme le propose cet article.

Je vous propose des aménagements sur chacun des cinq points de cet article 20.

En premier lieu, la reconnaissance légale de règles spécifiques pour l'indemnisation des intermittents est utile à l'apaisement social et inscrit clairement l'indemnisation des intermittents dans la solidarité interprofessionnelle. Le risque d'ouvrir une brèche dans laquelle s'engouffreraient d'autres catégories professionnelles me parait limité, les situations étant très différentes pour les autres annexes. Je ne vous propose donc pas d'amendement sur ces premiers paragraphes de l'article.

Ensuite, le mécanisme de négociation déléguée de ces règles spécifiques à l'échelon professionnel est juridiquement et politiquement fragile et représentera un nid à contentieux. Quelle est la validité d'un accord signé par des organisations non représentatives au sens du droit social ? Le risque me semble disproportionné par rapport à la demande des professionnels d'une concertation approfondie pour une meilleure prise en compte de leur situation, et de règles d'indemnisation ne précarisant pas les intermittents qui peinent à joindre les deux bouts.

Il ressort de nos auditions communes avec la rapporteure de la commission des affaires sociales, Catherine Procaccia, qu'il serait préférable d'instaurer un mécanisme de concertation approfondie, avec un outil d'expertise, plutôt que cette mécanique fragile de négociation et d'accords délégués dont la représentativité et la portée pratique sont incertaines. Le rapport Gille-Archambault-Combrexelle dit bien que la négociation doit rester dans les mains de l'échelon interprofessionnel. Le glissement opéré lors de la rédaction de cet article ne va pas dans le bon sens. L'élaboration d'un dispositif alternatif de concertation, cependant, relève du droit social et nous avons convenu, avec Catherine Procaccia, que ce serait plutôt à la commission des affaires sociales de s'en saisir. C'est pourquoi je vous proposerai de ne pas modifier ce mécanisme à ce stade.

En troisième lieu, nos collègues députés, à l'initiative de Jean-Patrick Gille, ont clairement positionné le comité d'expertise en cellule de soutien technique à l'échelon professionnel. Mme Archambault, M. Gille et M. Combrexelle nous ont dit en audition que la concertation de l'automne avait innové en ce que les propositions alternatives portées par les intermittents avaient été pour partie évaluées. L'Unédic a joué le jeu, des pistes nouvelles sont explorées. Continuons en ce sens, tout le monde y gagnera.

Le comité d'expertise n'est donc pas une commission représentative mais réunit des techniciens des organismes sociaux (Pôle emploi, Unédic) et des personnalités désignées par l'État pour leur capacité à faire avancer les recherches ; il évalue toutes les demandes de l'échelon professionnel - mais pas toutes celles de l'échelon interprofessionnel, qui dispose déjà d'un accès direct et continu à l'information statistique - ainsi que l'accord auquel les professionnels seront éventuellement parvenus. Je proposerai d'étendre le rôle du comité d'expertise pour qu'il puisse être saisi en continu, et qu'il le soit également des conditions d'application des règles spécifiques aux intermittents.

En quatrième lieu, il faut aller au-delà du simple réexamen de la liste d'emploi des CDDU. D'abord, parce que la Cour de cassation a dit, en 2008, que le critère d'inscription sur une liste ne suffisait pas et qu'il fallait que le recours au CDDU soit justifié par des éléments concrets de l'activité. Ensuite, parce qu'on observe que l'absence de règles fermes entraîne des dérives peu contrôlables, entachant la réputation de l'ensemble du régime des intermittents. M. Gille dénonce à juste titre les passagers clandestins du régime. Luttons contre la permittence ! Les députés ont prévu que les organisations professionnelles négocient la politique contractuelle et notamment les conditions de recours au CDDU avant le 30 juin 2016. Je vous proposerai une formulation plus cadrée allant dans ce sens.

Enfin, je vous proposerai d'adopter conformes les paragraphes nouveaux que les députés ont ajoutés pour prendre en compte la situation des matermittentes : les partenaires sociaux devront examiner l'évolution de la prise en compte des périodes de maladie et de maternité des intermittentes avant le 31 janvier prochain, et le gouvernement devra nous remettre un rapport sur la situation des intermittentes. Cela va dans le sens que nous souhaitions avec Maryvonne Blondin dans notre rapport d'information de 2013.

Je suis favorable à l'adoption de cet article, avec de légères modifications, car je crois utiles la reconnaissance de règles spécifiques et l'institution d'une nouvelle méthode de concertation, assorties d'un meilleur partage de l'expertise et d'une approche plus raisonnable du recours à l'emploi hyper-flexible des CDDU : cela va dans le sens de l'apaisement et du maintien d'un risque chômage des intermittents assuré par la solidarité interprofessionnelle, au bénéfice de l'activité culturelle et du développement de nos territoires.

En séance publique, l'Assemblée nationale a complété ce chapitre par trois articles : l'article 20 bis met fin à un régime dérogatoire de cumul emploi-retraite des artistes-interprètes en contrat à durée indéterminée (CDI) ; l'article 20 ter affirme la compétence exclusive d'un seul organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) pour percevoir les contributions de formation professionnelle continue des entreprises employant des intermittents du spectacle, des artistes-auteurs et des pigistes ; l'article 20 quater ouvre la possibilité, sous certaines conditions, de déroger conventionnellement à la durée minimale de repos hebdomadaire pour les mineurs scolarisés de moins de seize ans et employés par des entreprises du secteur du spectacle. Sur ces trois articles, je ne vous présenterai pas d'amendement.

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