Intervention de François Bonhomme

Réunion du 16 juin 2015 à 14h30
Malades et personnes en fin de vie — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, on sait depuis la nuit des temps que la mort, c’est pour l’autre, c’est toujours celle de l’autre.

Il n’y a pas, et il ne peut y avoir d’expérience personnelle de sa propre mort. Ainsi que le rappelait malicieusement Wladimir Jankélévitch lors d’un entretien en 1966 : « L’homme triche perpétuellement avec lui-même concernant la perspective de la mort. C’est d’ailleurs pour cela que la mort est vivable et pensable. On n’approfondit pas la question. Il y a comme une appropriation protectrice. Et finalement on affecte de l’appliquer au voisin. »

Cette tricherie existentielle rend la tâche du législateur extrêmement difficile. Au demeurant, cette question concerne chacun, quel que soit son statut : les médecins, les parents et les amis de la personne atteinte d’une maladie grave et incurable, ainsi que, bien évidemment, le législateur, amené à traiter ainsi d’un sujet abyssal et vertigineux. Face à la fin de vie, ultime étape, l’humilité doit donc prévaloir.

Pour peu que l’on y souscrive, il me semble important de placer la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui dans son environnement sociétal. Chacun se nourrissant de l’idée de maîtriser sa propre vie, la demande sociale en la matière est de plus en plus forte, dans tous les aspects de sa vie, y compris sa fin. Par un paradoxe apparent, la banalisation de la mort, familière au Moyen Âge, a fait place, à l’âge moderne, à l’angoisse métaphysique, avec une gravité plus grande encore.

La conduite de l’homme face à cette perspective a changé. L’homme moderne, sûr du progrès de la technoscience, presse l’homme de loi et l’homme de science, le législateur et le médecin d’apaiser l’inquiétude morale qui touche à cette question.

Nous sommes donc directement interpelés. L’espoir d’une mort médicalisée, et sans doute même excessivement médicalisée, peut se comprendre : la mort de l’autre, comme la sienne, est insupportable dans nos sociétés. C’est ainsi !

Dans le même temps, l’espérance fondamentale qui anime tout homme face à la mort demeure. Elle s’accroît même aujourd’hui. Elle est le propre de l’homme.

J’écoutais ce matin même Jean d’Ormesson, qui fête ses quatre-vingt-dix ans, se réjouir d’entrer dans la Bibliothèque de La Pléiade. C’est le plus sûr moyen, pour un écrivain, d’espérer atteindre l’éternité, ou tout au moins une illusion d’éternité. Il rappelait avec espièglerie, dans son style cabotin, qu’il y a quelque chose de plus insupportable que la mort : l’absence de la mort.

À la lumière de tous ces préalables, il nous faut exercer notre sagacité face à cette proposition de loi.

La mort est désormais presque totalement médicalisée. On demande logiquement à la médecine de l’adoucir comme elle a adouci la vie, tout en craignant l’acharnement thérapeutique et en se méfiant d’une médecine trop technique et, au fond, déshumanisée. C’est la raison pour laquelle il nous faut avancer, en particulier en encourageant la culture palliative.

La fin de vie ne peut être abordée de manière binaire, car cela aboutirait à nier la complexité et la diversité des situations humaines rencontrées. La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, votée à l’unanimité il a dix ans maintenant, est, certes, une loi imparfaite, comme beaucoup d’autres. Pour autant, aucune loi, aussi parfaite soit-elle, n’apportera une réponse parfaite à nos fins de vie.

Cette loi a été modifiée en 2008 et en 2010. Depuis lors, le candidat François Hollande a proposé de manière équivoque une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».

Inévitablement, certains y ont vu une incitation à la légalisation de l’euthanasie, d’autres un appel à l’intensification des soins palliatifs. Une fois élu, François Hollande a chargé Didier Sicard de présider une mission et d’aller à la rencontre des Français. Le rapport issu de ce travail souligne « l’exigence d’appliquer résolument les lois actuelles plutôt que d’en imaginer sans cesse de nouvelles » et réaffirme « le danger de franchir la barrière de l’interdit. »

Dans cette période de grande fragilité, la parole du malade est peu entendue, comme l’indique le rapport Ferrand, qui souligne également que 30 % des Français meurent dans les hôpitaux, dans des conditions physiques et morales ressenties comme atroces.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion