Faute de moyens pour soulager la souffrance, le texte laisse entrevoir l’abrègement de la vie comme une solution de rechange.
Quoi qu’il en soit, je souhaite rendre hommage au travail effectué par la commission des affaires sociales et par les rapporteurs Gérard Dériot et François Pillet. Je soulignerai en particulier deux avancées qui clarifient le texte et rassurent partiellement quant à ses objectifs.
Tout d’abord, la formation, tant initiale que continue, aux soins palliatifs n’est plus pour les professionnels de santé un droit optionnel, mais une obligation vis-à-vis des malades ; c’est une bonne nouvelle.
Ensuite, la mention d’un prolongement « inutile » de la vie a été salutairement supprimée, l’expression pouvant trahir des intentions en rupture avec les principes érigés par la loi Leonetti.
Pour autant, une ambiguïté demeure à l’article 3, et nous sommes un certain nombre à penser ainsi : soulager la souffrance par des protocoles médicaux susceptibles d’abréger la vie est une chose ; mettre en œuvre en raison d’une souffrance réfractaire un traitement dont la finalité est d’abréger la vie en est une autre. L’intention n’est pas la même !
Ce n’est pas la sédation en soi qui nous choque – elle est actuellement pratiquée avec les précautions qui s’imposent –, ni même que, dans la pratique, elle soit présente jusqu’au décès, mais le fait que le texte de cette proposition de loi prescrive qu’elle soit « continue jusqu’au décès », c’est-à-dire irréversible.
Nous aurons un débat sur la nutrition, l’hydratation et l’assistance respiratoire. Participent-elles d’un acharnement thérapeutique ou constituent-elles un accompagnement du malade, destiné à lui épargner déshydratation et étouffement, alors que tout autre traitement a été interrompu ?
C’est pourquoi, avec de nombreux collègues, j’ai déposé des amendements visant à rééquilibrer les politiques entre le curatif et le palliatif, à encadrer la sédation, afin qu’elle ne puisse pas s’inscrire dans une intention de donner la mort, et à permettre au médecin, en toute conscience, de prendre en compte les directives anticipées sans que celles-ci n’entravent sa mission.
On a beaucoup parlé dans ce débat d’une « mort digne ». Qu’y a-t-il d’indigne dans la mort ? L’indignité, n’est-ce pas de laisser le proche seul face à l’issue fatale ? En demandant à la médecine d’accélérer la fin, protège-t-on la dignité du malade ou répond-on à une demande sociale ? Comme le rappelait François Mitterrand, « jamais […] le rapport à la mort n’a été si pauvre qu’en ces temps […] où les hommes, pressés d’exister, paraissent éluder le mystère […] ».
On ne peut abandonner un malade en fin de vie au marbre de dispositions législatives ou à la froideur désincarnée de décisions de justice. Il faut nous y résoudre : la loi ne peut tout dire sur la réalité de la mort, qui reste un mystère, comme elle ne peut régir les actes médicaux qui entourent la fin de vie.
Légiférer sur la mort, c’est prendre le risque de la judiciariser et d’en faire un objet de contentieux. Je ne suis pas sûr que les objectifs visés de dignité et d’apaisement s’en trouveraient satisfaits.
La mort n’est pas un sujet de droit, elle reste une réalité à la fois universelle et singulière, inéluctable et intime. Elle n’appartient à personne d’autre qu’à celui ou celle qui traverse cette épreuve.
Il n'y a nul angélisme dans mes propos : je sais que la souffrance est aussi difficile à évaluer qu’à soulager et je refuse l’acharnement thérapeutique déraisonnable. Les soins palliatifs, qui reposent sur un dialogue confiant et lucide entre le patient, ses proches et le corps médical, ne sauraient se limiter à de simples dispositions du code de la santé publique. Notre société a un devoir de solidarité et une obligation de moyens envers les plus vulnérables. Ce n’est pas d’abord et seulement un problème de droit. C’est avant tout une question de conscience.
Nous savons tous ici, en tant que législateurs, que nous ne pouvons aborder le sujet de la fin de vie, qui engage nos convictions éthiques, philosophiques et spirituelles, qu’avec d’infinies précautions. Donner un cadre législatif approprié aux derniers moments relève du défi.
C’est pourquoi, dans l’examen de ce texte, nous devons faire preuve à la fois d’humilité et d’humanité : d’humilité, car nous ne nous sentons pas le droit de porter un jugement sur l’utilité de la vie, fût-elle dans sa phase ultime ; d’humanité, car, face à la solitude de la mort, la réponse se situe dans une approche globale de l’individu, approche tant physique que psychique, quand une main serrée et un sourire donné permettent au mourant d’affronter le dernier passage.