Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 16 juin 2015 à 21h30
Malades et personnes en fin de vie — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission, amendement 76

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier :

Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, fallait-il légiférer à nouveau sur un sujet aussi sensible que la fin de vie ? Fallait-il exacerber de nouveau les antagonismes manifestes entre des conceptions bien différentes et très éloignées de la perception de l’être humain telles qu’elles existent au sein des différents courants de pensée de notre pays ?

Pour ma part, je n’en suis pas persuadé, dans la mesure où les lois en vigueur, et notamment la loi de 2005, ont contribué à l’établissement d’un équilibre relativement consensuel, qui est certes fragile, mais dont l’insuffisante application – pour diverses raisons, mais essentiellement par manque de moyens financiers – constitue le seul défaut.

La création des unités de soins palliatifs dans les grands hôpitaux et dans certains établissements ainsi que la mise en place de quelques unités ambulatoires avec des personnels consciencieux et admirables – auxquels il faut rendre hommage, car il s’agit là d’un domaine du soin particulièrement stressant et pesant pour les professionnels – ont démontré leur efficacité. Malheureusement, une couverture territoriale très insuffisante conduit à des situations inacceptables, qui sont encore beaucoup trop nombreuses.

À ce sujet, madame le ministre, il serait intéressant de connaître le montant des crédits dédiés aux soins palliatifs dans le nouveau plan triennal que vous avez lancé. La commission de réflexion sur la fin de vie avait été particulièrement sévère sur ce point, en estimant que « les moyens financiers des réseaux à domicile sont soumis à des changements incessants de modalité de répartition de crédits, ce qui entraîne souvent une baisse de leurs ressources » et que « tout se passe comme si l’encouragement répété en faveur des soins palliatifs n’était qu’incantatoire ».

Certes, il est intolérable qu’à l’hôpital, en EHPAD ou à son domicile, le malade en fin de vie imminente et inéluctable à bref délai ne soit pas pris en charge, de sorte qu’il trouve, en ses derniers instants, le calme, la sérénité et les conditions d’une fin de vie digne et apaisée, entouré de ses proches. Cependant, plutôt que de légiférer, ne serait-il pas préférable de rechercher les moyens financiers, matériels et humains nécessaires à la couverture de l’ensemble du territoire par ces unités spécialisées, qu’elles soient fixes ou ambulatoires ? En effet, comme le rappelait notre collègue député Jean Leonetti, « la loi ne peut pas être le verbe législatif incantatoire de l’impuissance publique qui dit la règle, le droit, la loi et ne les met pas en application ».

Pourtant, il en a été décidé autrement puisque nous allons légiférer : nouvelle loi, nouveaux débats, nouvelles confrontations.

Nos rapporteurs, qui ont réalisé un travail important, ont rappelé la réflexion menée sur ce thème par l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et par les auteurs de la proposition de loi. À l’aune de ces rapports ainsi que des travaux de la commission de réflexion animée par le professeur Didier Sicard, du Comité consultatif national d’éthique, de la conférence des citoyens, et de nombreuses contributions de toutes tendances – je ne saurai toutes les citer, qu’elles soient religieuses, philosophiques ou médicales –, un consensus existe sur la condamnation de l’acharnement thérapeutique, sur la nécessité de la formation des personnels et sur l’obligation de prendre en compte les directives anticipées du malade.

Toutefois, nous retrouvons très rapidement le clivage sociétal entre ceux qui considèrent – et j’en suis – que le rôle de la société n’est pas de provoquer la mort et ceux qui, au nom d’une prééminence décisionnelle de l’individu, appellent à l’euthanasie ou au suicide assisté. Notons d’ailleurs que le clivage ne s’établit pas uniquement sur le postulat du caractère sacré ou non de la vie humaine.

Comme l’écrit Axel Kahn, on peut aussi considérer que « lorsque la loi de notre République maintient qu’il est interdit de tuer, il n’apparaît pas satisfaisant qu’elle prévoie les conditions dans lesquelles ce principe – excellent – peut être battu en brèche en toute légalité » et que « les lois doivent se placer en amont des histoires individuelles et définir les principes dans lesquels se reconnaît une société ».

Or c’est bien souvent en se référant à un vécu personnel, dans sa famille ou parmi ses proches, que chacun d’entre nous aborde cette réflexion et se forge un jugement dans lequel l’aspect émotionnel domine inévitablement. C’est aussi, malheureusement, au travers de l’abominable médiatisation d’un certain nombre de cas douloureux à laquelle l’actualité nous confronte d’une manière lancinante. Le rôle de l’affectif dans notre relation avec les mourants ne fait du reste que nous renvoyer inconsciemment à notre propre mort. Dans un livre tout à fait remarquable intitulé La mort peut attendre, le professeur Maurice Mimoun raconte comment la mort de l’un de ses amis l’a fait changer de ton, alors qu’il s’apprêtait à écrire un livre en faveur de l’euthanasie, s’appuyant sur de belles théories et des principes solides. Il termine son livre en affirmant nettement qu’« il ne faut pas légaliser la mort ».

Je souhaiterais attirer votre attention, mes chers collègues, sur un certain nombre de points concernant le texte dont nous débattons ici. J’estime qu’ils méritent d’engager une réflexion, même si je me contenterai de les citer, car nous y reviendrons ultérieurement.

Tout d’abord, je soulignerai l’absence totale de reconnaissance et de place donnée à l’accompagnement affectif, qu’il soit réalisé par des bénévoles ou par des membres de la famille : il n’y a donc aucune place pour « parler et même simplement toucher », comme l’a si bien écrit Marie de Hennezel dans son livre La mort intime.

Ensuite, je signalerai le flou que représente l’utilisation des mots « court terme » lorsqu’il est question de l’engagement du pronostic vital.

Enfin, à mes yeux, le point crucial de ce texte, qui le fait quitter cette ligne de crête qui faisait consensus pour le faire pencher – n’ayons pas peur des mots – vers une euthanasie masquée, ce sont les termes de « sédation profonde et continue ».

Nous examinerons les conditions dans lesquelles le texte a été dévié de son sens initial, par l’introduction, à l’Assemblée nationale, de l’adjectif « profonde » derrière le mot « sédation », ce qui signifie que nous atteignons les niveaux 5 et 6 dans l’échelle de « score de Ramsey », conduisant inévitablement à un encombrement bronchique immédiat, à une hypotension, voire à une apnée fatale, en quelques instants, à défaut d’une assistance respiratoire. L’intention des auteurs de la proposition de loi n’était certainement pas d’en arriver là, de même qu’un certain nombre de parlementaires ayant contribué aux débats sur ce texte n’ont probablement pas vu non plus la portée et la gravité d’une sédation « profonde et continue ».

En réalité, les protocoles de recours à la sédation pour détresse en phase terminale sont au point dans les établissements de soins palliatifs. N’en rajoutons pas, ne prenons pas le risque de basculer là où je crois beaucoup de personnes ne veulent pas aller !

Sans ce malheureux amendement n° 76 déposé et adopté en séance publique à l’Assemblée nationale, je pense que nous aurions pu parvenir à un très large consensus sur ce texte, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas.

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