Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 16 juin 2015 à 21h30
Malades et personnes en fin de vie — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Comme si la dignité n’était pas une qualité ontologique ! La dignité, mes chers collègues, c’est à Paul Ricœur que nous en devons l’une des plus simples et des plus belles définitions : « quelque chose est dû à l’être humain du seul fait qu’il est humain ».

Pour comprendre le pas supplémentaire qu’on nous propose de franchir, il faut, je crois, revenir au point de départ, c’est-à-dire à la déclaration que le Président de la République a faite lorsque, voilà à peu près six mois, Alain Claeys et Jean Leonetti lui ont remis leur rapport : il a employé l’expression, sans doute juste, de « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès ». Mes chers collègues, c’est de ce droit qu’il nous faut débattre, car il est la pièce centrale de la proposition de loi, celle qui détermine son économie générale.

Nous devons, plus précisément, nous poser deux questions : pourquoi ce droit et quelles seront son application, sa portée, sa signification ?

À propos de la première question, je tiens à insister sur des chiffres qui ont déjà été mentionnés à cette tribune, mais qui me paraissent de la plus haute importance. Madame la ministre, vous nous avez annoncé un plan pour les soins palliatifs. Tant de plans ont été annoncés qui sont restés des incantations que c’en est devenu une habitude ! Songez bien, mes chers collègues, que seulement 20 % de la population française a accès à des soins palliatifs, et que 70 % des lits palliatifs sont concentrés dans cinq régions. Au Sénat, nous parlons souvent de la fracture territoriale ; s’il y a bien une injustice territoriale, c’est celle qui tient à la politique palliative ! Ainsi, les régions de l’ouest, dont je suis issu, sont parmi les moins bien dotées.

Pourquoi ce nouveau droit ? Parce que 80 % des médecins n’ont pas reçu de véritable formation à la prise en charge de la douleur. Parce que, en définitive, nous avons échoué à garantir un droit pourtant inscrit dans la loi depuis 1999, et réaffirmé en 2002 puis en 2005. Par facilité, par fatalité, par incapacité à garantir ce droit, nous voilà sur le point d’instaurer un droit nouveau. Cette fuite en avant, cet engrenage, cette étape qui en prépare d’autres ne doivent pas nous conduire à une dérive éthique.

De là la seconde question que nous devons nous poser : celle des modalités du nouveau droit. Sera-t-il un droit à dormir avant de mourir ou un droit à endormir pour faire mourir ? Sera-t-il un moyen de soulager ou un moyen d’euthanasie qui ne dit pas son nom ? Ces questions sont troublantes, dérangeantes, brutales, mais il est légitime, je crois, de se les poser, quelque opinion qu’on ait.

Si les conditions de mise en œuvre de ce que j’appelle « la sédation terminale » sont importantes, c’est parce que cette sédation sera beaucoup plus qu’un geste palliatif : elle ne sera pas intermittente, mais sans doute définitive ; il s’agira d’un endormissement sans retour, conduisant à une mort certaine, d’autant plus que les traitements n’ont pas été séparés des soins. À cet égard, je tiens à remercier les rapporteurs et la commission des affaires sociales d’avoir dissocié la nutrition et l’hydratation des traitements.

Mes chers collègues, je vous invite tous, quelles que soient vos conceptions, à lire le très beau texte que Jean Clair a publié ce matin, dans lequel il cite l’injonction que Victor Hugo met dans la bouche de son père, sur un champ de bataille, à la vue d’un Espagnol qui se meurt : « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé ». Ce mot est, en somme, une injonction universelle faite à l’humanité bien portante d’avoir souci de l’humanité souffrante.

Certains ont présenté la présente proposition de loi comme un texte de prolongement et de clarification de la loi Leonetti. Je pense, au contraire, qu’elle marque une rupture. En effet, la loi du 22 avril 2005 repose sur la notion, centrale, du double effet, bien connue de ceux qui s’intéressent à la question de la fin de vie. Je pense qu’il suffit tout simplement de revenir aux sources, par exemple en lisant Alain Claeys, qui le 17 novembre dernier, dans Libération, a écrit ceci : « Nous parlons d’une sédation forte dans le but d’aider à mourir ». Point n’est besoin d’en rajouter, tout est dit.

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