Intervention de Dominique Gillot

Réunion du 17 juin 2015 à 14h30
Malades et personnes en fin de vie — Article 3

Photo de Dominique GillotDominique Gillot :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en matière de santé publique, des lois successives interviennent qui visent, à chaque fois, à préciser les droits des malades et la relation entre le médecin et le patient.

La loi relative aux droits des malades, en 2002, a introduit le droit du malade à l’information et au consentement aux soins, pour lutter contre l’acharnement thérapeutique. Puis ce fut la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, en 2005, qui a encadré les décisions médicales concernant la fin de vie et qui visait à combattre l’« obstination déraisonnable ». Aujourd’hui, nous débattons d’un texte qui ambitionne la création de nouveaux droits pour les malades en fin de vie. En 2002, on prenait en considération les malades, aujourd’hui, on ne s’attacherait qu’aux patients en fin de vie. Est-ce vraiment un progrès ?

Il s’agit de ne pas poursuivre des soins jugés inopérants, inutiles, au regard de l’état du malade et d’ouvrir la possibilité de mettre en œuvre – je cite le texte de notre commission – « une sédation profonde et continue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt des traitements de maintien en vie ». L’Assemblée nationale était plus précise, M. Barbier l’a rappelé, en indiquant que cette sédation pouvait s’administrer, à la demande du patient, pour « éviter toute souffrance » et « ne pas prolonger inutilement sa vie ».

Si ce traitement, décidé par le médecin constatant qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne en phase avancée ou terminale, peut avoir pour effet d’abréger sa vie, le médecin doit en informer le malade ou la personne de confiance. La rédaction de l’Assemblée nationale donnait la décision au malade, et non pas au médecin. Le tout était assorti d’un certain nombre de précisions sur l’expression et le recueil de la volonté du patient, sous forme de directives anticipées opposables aux soignants.

Jean-Claude Ameisen avait observé, dans un rapport rendu avant la rédaction de cette proposition de loi, que la loi du 22 avril 2005 définissait davantage les droits et devoirs des médecins que les droits des personnes malades. J’espère que le texte qui sortira de nos débats permettra bien un rééquilibrage.

Au fil des années, la médecine, qui a fait de grands progrès, a petit à petit accepté de partager non seulement son diagnostic, mais aussi sa décision, son pouvoir, que ce soit devant l’évidence de son impuissance à faire reculer la maladie ou à la demande de ceux qui l’implorent. Cependant, dans son ensemble, elle n’est pas prête à aider à cet évitement de l’agonie que voudraient certains, ceux qui réclament un traitement particulier qui les ferait doucement trépasser, sans heurt ni violence, subrepticement, quand c’est la seule issue envisageable.

En effet, ces jours d’agonie après l’arrêt des traitements sont insupportables, pour les proches, à coup sûr, pour le patient lui-même, certainement, pour les équipes soignantes, sans aucun doute, en particulier lorsqu’il s’agit d’un patient jeune, pas encore affaibli par des années de maladie incurable ni vidé de sa sève par l’âge. Il est des patients dont la fin de vie est souhaitée, résolue par l’ensemble des procédures garantissant le respect des directives du malade, de sa personne de confiance ou de sa famille, mais dont le corps n’est pas prêt à trépasser. Le simple arrêt de l’alimentation et de l’hydratation ne suffit pas à déclencher la mort.

Est-il « humainement » envisageable de proposer d’arrêter l’alimentation – puisque nous avons réglé hier soir la question de l’hydratation – jusqu’à ce que mort s’ensuive, en affamant un corps encore solide dont le cœur est capable de résister longtemps ? Il y a dans cet hémicycle des médecins qui savent comment un organisme résistant réagit à cette situation, même avec une sédation profonde.

Nous avons eu cette nuit de longues explications sur le droit d’arrêter ou non l’hydratation artificielle au regard des conséquences sur l’intégrité du patient. Des patients, des familles souhaitent refuser cette indignité, surtout si le malade résiste aux sédatifs, analgésiques et autres hypnotiques, ce qui n’est pas rare.

Nous disposons tous d’exemples relatés avec honnêteté par les équipes médicales ou les proches qui ont accompagné un mourant pendant des jours et des jours : pour les médecins, une agonie est rarement totalement paisible et agréable à observer ; pour les proches, c’était insupportable, trop dur à vivre, sans commune mesure avec ce à quoi ils s’étaient préparés quand ils ont dit au revoir à leur proche décidé à aller vers la mort.

Or la loi ouvre la voie à la pratique de l’arrêt de l’alimentation – mais plus de l’hydratation, la question a été tranchée cette nuit. Contrairement à ce qui était escompté, la pratique s’était déjà répandue dans différents secteurs de la médecine, puisque c’est la seule manière légale d’obtenir la mort quand elle ne vient pas et qu’il est estimé souhaitable, à l’extrême bout de la maladie, de hâter la survenue de la fin.

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