Dans les propos qui viennent d’être tenus, un principe a été oublié : je veux parler de la volonté du malade, de la volonté du patient. Or, c’est sur cette volonté que l’ensemble de notre droit s’est construit depuis maintenant une quinzaine d’années : la loi de 1999, la loi de 2002 et la loi de 2005, dite « loi Leonetti », qui a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.
Je l’ai dit hier, j’ai présidé la commission spéciale qui a mené les travaux sur ce texte. Je sais très exactement ce que nous souhaitions faire à l’époque et qui me semble rester aujourd’hui parfaitement d’actualité dans le débat que nous avons.
J’entends dans certaines expressions l’idée qu’il y aurait, d’un côté, les partisans de l’euthanasie et, de l’autre, ses adversaires. Je le dis très sincèrement, et en respectant les points de vue de chacun, c’est se payer de mots que de présenter ainsi le débat. En effet, on le sait bien, dans la réalité, cette frontière n’existe pas. On l’a vu lors de la discussion de la loi de 2005, quand on a voulu séparer la notion de « faire mourir » et la notion de « laisser mourir », cela n’a pas fonctionné, parce que les choses ne se passent pas ainsi.
La loi de 2005, dont l’esprit trouve un approfondissement dans la présente proposition de loi, prévoit que, lorsqu’une personne souhaite l’arrêt d’un traitement – c’est le cas que nous avions prévu en dehors de l’obstination déraisonnable ou de la personne inconsciente –, le médecin doit répondre à cette demande.
Le patient est, par hypothèse, en phase terminale d’une maladie grave et incurable – ce sont les critères que l’on retrouve dans les textes du monde entier lorsque l’on aborde ces sujets - et demande l’arrêt du traitement. On doit alors accéder à sa demande. Il est précisé que l’ensemble des dispositions nécessaires doivent être prises pour que le patient puisse s’éteindre sans souffrance, ce qui va de soi, étant donné les obligations légales et morales des médecins.
Cela signifie que la question de la sédation était posée dès l’origine et que, à aucun moment – sauf à ne pas vouloir appliquer la loi comme elle devait l’être –, on ne pouvait envisager de laisser mourir un malade par l’interruption de l’alimentation artificielle, par exemple, sans le soulager, si c’était susceptible de créer des souffrances.
Le débat que nous avons eu hier soir sur la question de l’hydratation a d’ailleurs permis d’éclairer pour une part ce débat.
À partir du moment où cette sédation peut intervenir – et la loi de 2005 a précisé la notion de double effet, c’est-à-dire une sédation qui est là pour soulager, mais qui peut avoir des conséquences indirectes, notamment la mort – on avait déjà, d’une certaine manière, brouillé la frontière. Qu’est-ce qui provoque la mort ? Est-ce l’arrêt du traitement ? Est-ce la maladie ou la sédation ? Qui peut le dire, en réalité ?
La réponse est d’autant plus délicate que ces différents actes sont souvent pratiqués par les mêmes personnes. La réalité, on l’a dit précédemment, c’est que l’on fait tout pour respecter la volonté du patient, pour lui éviter une souffrance que l’on estime injuste ou inutile - telle est, en effet, la question principale, celle qui compte, et non le débat de principe que nous pouvons avoir. Pour parvenir à ce résultat, on est forcé de mobiliser différents moyens qui aboutissent à la situation que nous savons, la mort du malade.
Cessons de nourrir des fantasmes quant à l’idée qu’il y aurait ceux qui veulent installer l’euthanasie et ceux qui voudraient s’y opposer. Dans la réalité, la question ne se pose pas en ces termes.
On peut évidemment contester, et cela s’entend souvent, l’existence d’un « droit à mourir ». C’est une proposition qui a été faite à l’Assemblée nationale et que certains défendent ici. Cette idée peut être contestable, elle peut être acceptée, c’est le propre du débat que d’opposer les points de vue. Mais cela n’a rien à voir avec ce dont nous parlons en ce moment ! L’enjeu de notre discussion est de nous donner les moyens d’aller jusqu’au bout pour faire en sorte que ce que nous avions décidé en 2005, ici, au Sénat, et qui avait été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale, puisse trouver sa pleine application.
D’ailleurs, pour les médecins, pour le professeur Sicard, dans le rapport qu’il a rendu en 2012, comme pour les auteurs de la proposition de loi, l’idée que la sédation devait être profonde et continue dès lors qu’il y avait arrêt du traitement était acquise. Quand j’ai pris connaissance de la proposition de loi d’Alain Claeys et de Jean Leonetti, avec lequel j’ai longtemps travaillé, j’ai eu le sentiment qu’il ne s’agissait que de consacrer par écrit ce qui était déjà l’esprit de la loi et que nous considérions comme acquis.
C’est aujourd’hui précisé, et tant mieux.
La sédation a même été élargie à un cas nouveau : la situation d’agonie, évoquée précédemment par Philippe Bas. D’une certaine manière, c’est un progrès. On est en effet toujours dans le même esprit : il s’agit d’alléger la souffrance d’une personne qui va inéluctablement mourir.
La question n’est donc pas de savoir si l’on franchit une barrière morale, la société s’autorisant à assassiner et à tuer. Non, mes chers collègues, la société se donne les moyens de répondre à une demande, comme c’est notre obligation morale. En conséquence de quoi, nous créons l’obligation juridique de répondre. Si nous ne le faisions pas, nous entretiendrions la souffrance du patient et le malheur de son entourage. Ayons ces éléments à l’esprit !
Je recommande à mes collègues qui répètent, depuis hier soir, que cette loi pourrait nous entraîner dans une dérive euthanasique, ou que sais-je encore, de ne pas s’enfermer dans des fantasmes ou des débats idéologiques inutiles. L’objectif de cette proposition de cette loi est d’apporter des solutions concrètes !
Nous aurions d’ailleurs pu, de mon point de vue, aller un peu plus loin. C’est la raison pour laquelle j’ai défendu, hier, la notion d’exception. Quoi qu’il en soit, même dans sa rédaction actuelle, il faut soutenir ce texte.