Nous l’avons dit la nuit dernière, cette proposition de loi est faite pour les patients qui vont mourir, et non pour ceux qui veulent mourir.
La sédation profonde et continue est un acte thérapeutique qui fait partie de l’arsenal des soins palliatifs. J’en veux pour preuve cette recommandation de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs : « La plupart des auteurs réservent la mise en œuvre d’une sédation profonde maintenue jusqu’au décès aux patients dont la mort est attendue dans un bref délai, généralement de quelques heures à quelques jours ». Je rappelle que cette mention a été labellisée par la Haute Autorité de santé.
La sédation profonde et continue ne constitue en aucun cas un acte d’euthanasie, pas plus qu’un cheval de Troie pouvant déboucher sur l’euthanasie. Il me paraît tout à fait essentiel de le rappeler.
Essayons de sortir des débats philosophiques, religieux, spirituels, voire juridiques, pour nous placer simplement en situation médicale, comme l’a fait mon collègue et confrère Gérard Roche.
Que se passe-t-il au lit du patient en fin de vie, sujet à des douleurs réfractaires, lorsque le corps médical – Alain Milon a évoqué cette situation – a épuisé toutes les possibilités ?
Il ne s’agit ni de hâter la mort, ni de précipiter les événements, ni d’expédier d’un revers de main cette mort que la société ne veut plus accepter, et que certains sociologues anglo-saxons qualifient même de « pornographique » ! Il s’agit simplement, dans un dernier acte d’humanité, d’accompagner le patient, lequel n’est pas« obligé d’assister au drame tragique de sa mort », pour reprendre l’expression du professeur Aubry.
Certaines personnes souhaitent, pour des raisons philosophiques, morales ou religieuses, assister jusqu’au bout à leur fin de vie. Mais nous savons tous que tel n’est pas, dans nos sociétés, le souhait de la majorité.
Douleur réfractaire, fin de vie, toute fin de vie : il ne s’agit pas d’accéder à des demandes philosophiques ou existentielles de personnes souhaitant se supprimer. Nous voulons simplement donner la possibilité à ces patients d’être accompagnés jusqu’au terme de leur vie, en toute humanité.
Il faut revenir au texte. Celui-ci réalise, me semble-t-il, un bon équilibre entre le droit du patient et ce que certains ont appelé « le pouvoir médical » ou, pour utiliser une expression atténuée, « le savoir médical ».
Certes, le patient doit être accompagné en toute humanité, mais il faut aussi que le médecin et le corps médical soient protégés lorsqu’ils accomplissent ces actes d’accompagnement de la fin de vie. Voilà en quoi cette proposition de loi est parfaitement équilibrée.
D’aucuns proposaient de conserver le mot « sédation », mais de supprimer les adjectifs « profonde et continue ». Arrêtons l’hypocrisie... Nous savons que, dans la vraie vie – c’est le cas de le dire ! –, lorsqu’un patient vit ses derniers moments, le corps médical est obligé d’utiliser ces substances, parfois à des doses élevées, tant la souffrance devient insupportable.
Je parle bien de souffrance, et non pas seulement de douleur physique, cette dernière pouvant être soulagée par l’administration d’antalgiques tels que la morphine. Par « souffrance », on entend aussi l’agitation, cette détresse de fin de vie que les praticiens connaissent si bien et qui peut se manifester juste avant le sommeil, au moment de l’endormissement. Lorsque celle-ci survient, les médecins sont bien obligés d’utiliser la sédation.
Oui, lors des derniers instants, une sédation est nécessaire, profonde et continue ! C’est dans cet esprit que, selon moi, ce texte, doit être voté en l’état.
Philippe Bas l’a rappelé, notre collègue François Pillet a présenté un amendement décisif, lequel tend à dissocier l’arrêt du traitement – je rappelle à cet égard que nous avons réintroduit dans le texte, la nuit dernière, la possibilité de maintenir l’hydratation – et la sédation profonde.
Dans quelle mesure la société peut-elle permettre au patient de décider de sa fin de vie sans transgresser l’interdiction de l’euthanasie ? Honnêtement, je le dis en toute conscience, nous ne sommes pas, avec ce texte, dans le domaine de l’euthanasie.
Nous avons supprimé l’expression « prolonger inutilement la vie », trop ambiguë, certains ayant trouvé qu’elle laissait entendre qu’il y aurait des vies inutiles. Ce n’est pas du tout l’esprit de ce texte ! C’est, bien sûr, à la prolongation de la vie que se rapportait le terme « inutile », et non à la vie elle-même. Il était bon de lever cette ambiguïté.
Nous avons également essayé de centrer le texte sur deux hypothèses : lorsque le patient est conscient et peut faire part de ses choix, de ses directives, et lorsqu’il a perdu la faculté de le faire.
Je le répète, ce texte est équilibré. Il s’agit non pas de donner au patient le droit de disposer de sa vie n’importe comment, dans n’importe quelles circonstances, mais de lui permettre de ne pas souffrir et de ne pas assister à sa fin de vie. C’est un droit fondamental, que certains appelleront le « droit à la dignité », mais qui est aussi tout simplement un droit d’humanité.
Le pouvoir médical doit accompagner la fin de vie au moyen des techniques que connaissent les médecins, mais aussi veiller à ce que cet acte thérapeutique qui, comme le rappelait Alain Milon, est rarement pratiqué, soit encadré juridiquement.
Il arrive bien souvent, en particulier dans les unités de soins palliatifs, que des médecins au fait de ces pratiques parviennent à améliorer l’état des malades en recourant à une sédation qui ne soit pas profonde ou à des antalgiques. Vient cependant un moment, par exemple, comme le disait Gérard Roche, lorsque le patient souffre de pathologies aussi terribles que la maladie de Charcot, où il faut bien utiliser des substances plus lourdes.
Pour autant, j’y insiste, ces pratiques sont thérapeutiques, et en aucun cas euthanasiques.