Avec cet amendement, nous en arrivons au cœur de notre débat. Les inquiétudes que suscite la sédation profonde et continue traduisent, c’est le moins que l’on puisse dire, la crainte qu’elle puisse être dévoyée et contribue à une dérive euthanasique.
En limitant le recours à la sédation profonde et continue à la demande du patient à des situations de fin de vie et de souffrances réfractaires à tout traitement, la commission des affaires sociales a d’ores et déjà apporté des garanties importantes contre de telles dérives, garanties sur lesquelles les différents orateurs qui la représentent ici se sont exprimés à plusieurs reprises.
L’amendement que je présente au nom de la commission des lois vise à en prévoir une nouvelle. Il tend à rompre le lien indissoluble que l’article 3, tel qu’il est actuellement rédigé, établit entre la sédation profonde et continue et l’arrêt de tous les traitements de maintien de vie.
On peut d’abord s’interroger sur l’opportunité de consacrer ainsi dans la loi une recommandation médicale formulée par les sociétés savantes. Ensuite, et surtout, comment ne pas souligner la contradiction qu’il y a à reconnaître un nouveau droit au patient tout en limitant sa liberté dans l’exercice de ce droit ?
Nous n’avons cessé de dire qu’il fallait absolument, prioritairement, respecter la volonté du patient. La présente proposition de loi concerne les patients qui vont mourir, mais, même si, en vertu d’une autre loi, un jour, elle devait s’appliquer aussi à ceux qui souhaitent mourir, on parlerait encore de la volonté du patient, car c’est elle que l’on veut privilégier.
Or le patient aurait droit de voir ses souffrances apaisées par une sédation profonde et continue à la condition expresse qu’il consente dans le même temps à un arrêt des traitements de suppléance vitale. On lui refuserait donc une telle sédation parce qu’il aurait demandé que son respirateur artificiel ne soit pas débranché ou que son hydratation soit poursuivie pendant son sommeil. Chacun peut mesurer la sécheresse d’une telle alternative : tout ou rien ! Est-ce bien conforme à l’humanité que nous nous efforçons d’instiller dans notre législation sur la fin de vie ?
J’ajoute que, indépendamment de leur effet médical, certains traitements peuvent avoir pour la personne une dimension symbolique forte. Il en va ainsi tout particulièrement de l’alimentation, de l’hydratation, de la respiration : c’est la nourriture que nous mangeons, l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons.
N’y aurait-il pas un paradoxe à chercher à apaiser la détresse d’une personne face à sa mort en lui offrant la consolation symbolique d’un sommeil apaisé, mais en lui refusant la certitude de mourir non pas de faim, de soif, ou d’asphyxie, mais seulement de sa maladie ?
Enfin, lier indissolublement sédation profonde et arrêt des traitements vitaux, c’est rendre plus indistincte la frontière entre une mort provoquée par la maladie et une mort due à une autre cause, voire aux conséquences d’un traitement médical. Or c’est précisément cette distinction qui permet d’écarter tout risque de dérive euthanasique.
Par conséquent, afin de redonner force à la volonté de la personne en fin de vie et de lui offrir la consolation symbolique qu’elle souhaite, cet amendement vise à lui permettre de réclamer une sédation profonde et continue tout en refusant l’arrêt de certains traitements ou soins.