Intervention de Yannick Vaugrenard

Réunion du 18 juin 2015 à 9h30
Discrimination à raison de la précarité sociale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Yannick VaugrenardYannick Vaugrenard, auteur de la proposition de loi :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, afin que cette proposition de loi soit adoptée aujourd’hui, je vais délibérément écourter mon propos.

Je tiens tout d’abord à remercier la commission des lois, en particulier son président Philippe Bas, ainsi que le rapporteur Philippe Kaltenbach, qui ont réalisé un travail de précision juridique pour garantir la constitutionnalité de ce texte.

« Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue... » Ces mots de Simone de Beauvoir prennent une résonance toute particulière au moment où nous entamons l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre la discrimination pour précarité sociale que j’ai l’honneur de vous présenter ce matin.

Oui, mes chers collègues, la pauvreté est un scandale !

La France, globalement, est un pays riche. Pourtant, 8, 5 millions de personnes y vivent sous le seuil de pauvreté fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 987 euros par mois. Nous en sommes malheureusement revenus aux niveaux constatés dans les années soixante-dix.

Plus scandaleux encore, un enfant sur cinq est pauvre. L’UNICEF le rappelait la semaine passée, cela correspond à 3 millions d’enfants dans notre pays. Dans les zones urbaines sensibles, c’est même le cas d’un enfant sur deux.

Il faut nous rendre à l’évidence : le système tel qu’il est actuellement conçu ne protège pas – ne protège plus – totalement contre l’exclusion.

Les chiffres que je viens de citer, fournis par l’INSEE sont peut-être les plus récents, mais, connus avec retard, ils portent en réalité sur l’année 2012. Nul doute que la situation, depuis trois ans, a empiré. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à voir l’augmentation de plus de 12 %, dans le même laps de temps, du nombre d’allocataires au RSA socle.

Parce qu’elle a atteint des niveaux inédits, parce qu’elle s’est ancrée dans notre société et qu’elle s’y enracine, la pauvreté est une véritable humiliation pour notre République.

Je ne cesserai de le répéter, les personnes en situation de pauvreté et de précarité sont d’abord et avant tout des victimes. Des victimes qui subissent une forme de « double peine », puisque, à la pauvreté, s’ajoute la discrimination, et ce dans tous les domaines : santé, logement, emploi, formation, justice, éducation, vie familiale, exercice de la citoyenneté et, parfois, relations avec les services publics.

Il existe ainsi toute une partie de nos concitoyens à qui l’on dénie ses droits fondamentaux, à qui l’on interdit d’accéder à la citoyenneté de façon pleine et entière. Or trop peu, malheureusement, s’en soucient ! Serait-ce parce que les pauvres votent peu ou même ne votent pas du tout ? Serait-ce parce que vous ne les verrez jamais manifester, ou très rarement ? Ou tout simplement parce que nous ne les voyons pas ? En tout cas, ils demeurent, la plupart du temps, malheureusement, inaudibles.

Il n’est pas si loin le temps où un ministre de la République dénonçait les supposées « dérives de l’assistanat », « cancer, selon lui, de la société française ». Cette stigmatisation, c’est la culpabilisation, alors que les hasards de la vie – ce ne sont d’ailleurs pas toujours des hasards, car on constate une forme d’hérédité en la matière – ont pu provoquer aussi la pauvreté. Faut-il rappeler qu’être pauvre n’est pas un choix ? La précarité matérielle se double d’une stigmatisation organisée ou simplement tolérée, tant les préjugés sont ancrés dans notre société.

À cet égard, la stigmatisation peut s’analyser aussi bien comme une cause que comme une conséquence de la pauvreté. Combien de nos concitoyens préfèrent ne pas demander les prestations auxquelles ils ont droit et qui pourraient leur apporter un réel soutien, de crainte, justement, d’être stigmatisés ? « Le cancer » dont souffre la société française, il est là ! quand le pauvre se sent coupable de la situation dramatique dans laquelle il se trouve.

Le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale de décembre 2012 faisait état d’un taux de 35 % de non-recours au RSA socle et de 68 % de non-recours au RSA activité, soit plus de 5 milliards d’euros par an. Dans le même temps, la fraude au RSA est estimée à 60 millions d’euros par an.

Renforcer l’effectivité des droits des personnes en situation de pauvreté est l’un des points majeurs mis en lumière dans le rapport que j’ai publié en février 2014, au nom de la délégation à la prospective, sous le titre Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !

Mettre l’accent sur la pauvreté et la précarité, ce n’est pas seulement faire preuve de bons sentiments, c’est juste mettre le doigt sur une terrible réalité.

Je voudrais vous citer quatre exemples pour bien montrer le poids et la violence des discriminations qui touchent ces personnes, quatre exemples particulièrement choquants.

Envisageons cette famille, une mère avec ses sept enfants, vivant dans un logement reconnu insalubre de quatre pièces. Elle présente un dossier pour un logement décent et suffisamment grand pour l’accueillir. Deux semaines après avoir pourtant donné son accord, le bailleur revient sur son engagement. Il refuse de louer son bien à cette famille « parce qu’elle présente un risque d’insolvabilité élevé ».

Or le montant de l’aide personnalisée au logement couvre intégralement le montant du loyer, et la famille bénéficie en outre d’une garantie du Fonds de solidarité pour le logement. Voilà donc une discrimination bien réelle !

Le deuxième exemple a été constaté, cette fois, dans le domaine de la santé. Un enfant est suivi par un orthodontiste. Au début des soins, la famille bénéficie d’une mutuelle, et tout se passe très bien ; puis ses droits évoluent : elle relève désormais de la couverture maladie universelle complémentaire. Avant la consultation, la mère de l’enfant prévient logiquement le secrétariat de ce changement de situation. C’est alors que l’orthodontiste vient les trouver dans la salle d’attente et, devant les autres patients, leur explique qu’il ne peut poursuivre le traitement, qu’il arrête les soins et les renvoie en conséquence vers l’hôpital.

Et comment ne pas être scandalisé par l’exclusion du musée d’Orsay, au début de l’année 2013, d’une famille en grande précarité

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