Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur Yannick Vaugrenard, mesdames, messieurs les sénateurs, l’entrée au Panthéon de quatre grandes figures de la Résistance, parmi lesquelles Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ancienne présidente d’ATD Quart Monde, a été l’occasion, pour le Président de la République, de rappeler les valeurs qui font la France. Ces valeurs, celles d’humanité, de fraternité, d’égalité et de solidarité, nous rappellent chaque jour la force de notre République, mais aussi sa fragilité, et partant l’impérieuse nécessité de les cultiver, de les préciser, de les renforcer.
Nous sommes ici réunis pour examiner une proposition de loi déposée par les sénateurs du groupe socialiste et républicain. Ce texte vise à rendre illicite un nouveau type de discrimination qui se propage dans notre pays, une forme de mise à l’écart des plus fragiles, des plus vulnérables, de ceux qui, précisément, ont le plus besoin d’aide à un moment donné.
La réalité, c’est que nos vies ne sont pas rectilignes. Elles sont faites de va-et-vient successifs, de petits pas, de grands bonds en avant parfois, mais aussi de périodes difficiles, d’accidents de parcours, de séparations, de ruptures. Pour celles et ceux qui traversent ces moments difficiles, l’important, c’est de ne pas se sentir seul, c’est de ne pas se sentir isolé.
Geneviève de Gaulle n’a cessé de le dire tout au long de sa vie : la véritable force est dans la solidarité humaine, et il n’y a pas de courage s’il n’est pas partagé.
C’est la raison pour laquelle la lutte contre la pauvreté, ce n’est pas seulement l’affaire des familles précaires, des institutions chargées de l’action sociale ou des travailleurs sociaux, c’est bien l’affaire de toute la société française. En effet, prévenir l’exclusion, c’est un investissement, c’est ce qu’on appelle « l’investissement social ».
Le plan de lutte contre la pauvreté était un engagement de campagne du Président de la République, repris par le Premier ministre dans son discours de politique générale le 3 juillet 2012, et il a été officiellement adopté le 21 janvier 2013, lors d’un comité interministériel de lutte contre l’exclusion.
Ce plan comportait à l’origine plus de soixante mesures destinées à permettre à chacun d’accéder à une vie digne sur le plan matériel, mais aussi à l’emploi, à la formation, au logement, aux soins et aux services de santé. Il a été enrichi de cinquante nouvelles actions le 3 mars dernier par le Premier ministre.
Ces nouvelles actions ont pour objectif de répondre à de nouveaux besoins, identifiés par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, lors de son évaluation du plan, mais aussi, et surtout, par les associations de lutte contre l’exclusion et par les personnes elles-mêmes en situation de pauvreté, représentées au sein du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, ou CNLE.
Ce plan est d’abord conçu comme une forme de « bouclier social », qui protège ceux qui font face à des difficultés plus ou moins temporaires. Il a également été conçu pour être un « tremplin social », afin de permettre aux personnes de rebondir.
Le principe d’accompagnement des personnes, qui a été réaffirmé par le Premier ministre, vise précisément à redonner confiance à ceux qui ont subi un accident de parcours, afin de leur donner les moyens d’agir par eux-mêmes et de retrouver la liberté de choix.
Le plan est bâti sur un principe essentiel, qui mérite d’être renforcé : l’objectivité, qui consiste à ne pas porter de jugement sur les situations de pauvreté et d’exclusion, mais à les regarder en face, telles qu’elles sont. Ces situations concernent désormais plus de 8 millions de nos concitoyens, jeunes et moins jeunes, adultes et enfants, chômeurs et salariés.
De ce principe fondamental d’objectivité découle un second principe dit de « non-stigmatisation », consistant à ne plus considérer la pauvreté comme un phénomène qui ne concernerait que quelques malchanceux, pour lesquels on ne pourrait rien faire, car ils seraient en partie, sinon pleinement, responsables de leur situation.
Rendre celles et ceux qui sont en difficulté coupables de leur situation, c’est avant tout se rendre coupable d’inhumanité, c’est aussi ignorer ou mépriser, volontairement, les valeurs républicaines.
Celles et ceux qui connaissent des difficultés sociales sont encore aujourd’hui trop souvent perçus comme responsables de leur situation. Trop souvent, il est considéré qu’ils pourraient s’en sortir s’ils le voulaient vraiment. Je vous le dis de façon directe : ces accusations sont scandaleuses !
Il est scandaleux de stigmatiser celles et ceux que l’on qualifie d’« assistés », comme pour se prémunir soi-même du risque d’en être, comme si pointer du doigt permettait de se distinguer et d’éloigner le danger.
Il est temps d’affirmer que si ces personnes sont dans ces situations, c’est précisément parce que, très souvent, elles n’osent même plus faire valoir leurs droits ou y renoncent de peur d’avoir à essuyer un refus, synonyme de honte, de peur d’avoir à affronter un système devenu tellement complexe qu’il semble que l’on ait volontairement érigé des barrières pour les mettre à l’écart.
C’est pour cette raison que Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et moi-même agissons chaque jour pour simplifier les démarches et pour faciliter l’accès aux aides et aux prestations sociales. C’est pour cela que nous avons mis en place, avec la caisse d’allocations familiales, les rendez-vous des droits. C’est pour cela que nous mettons en place le simulateur en ligne des droits sociaux, qui va permettre à chacun de connaître en quelques clics l’ensemble de ses droits. C’est pour cela que nous simplifions l’ensemble des procédures et les mots employés dans les courriers de toutes les institutions.
Malgré cela, la peur du stigmate continue d’alimenter le non-recours aux droits et le renoncement aux aides : ces personnes qui abandonnent, qui renoncent à croire que l’on veut réellement les aider ; ces personnes qui ne souhaitent plus qu’une chose, se faire oublier pour qu’on ne leur renvoie plus leur propre image ; ces personnes qui, bien sûr, ne votent même plus, qui ne croient plus en la capacité de l’État et de la société à les protéger et à les aider. Eh bien, ces personnes sont nos concitoyens et ils ont les mêmes droits que chacun et chacune d’entre nous, et nous avons le devoir de leur garantir le droit à la citoyenneté et le droit à la dignité.
Face à ce constat, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois qu’il est temps d’aller plus loin.
Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a agi dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Nous avons ainsi introduit dans le code pénal, dans le code du travail, ainsi que dans la loi de 2008 sur les discriminations, un vingtième critère relatif au lieu de résidence, afin que le fait de vivre dans un quartier défavorisé, qui est déjà souvent synonyme de situations de précarité, ne s’accompagne pas de phénomènes supplémentaires d’exclusion.
Avant d’entrer au Gouvernement, j’avais moi-même participé, en tant que parlementaire, à faire ajouter dans la loi sur le harcèlement sexuel une circonstance aggravante en cas de vulnérabilité économique de la personne victime de harcèlement, afin que l’abus de faiblesse soit puni plus sévèrement dans ce domaine.
Aujourd’hui, il apparaît nécessaire d’aller plus loin. Le texte de loi que vous proposez poursuit un objectif louable à double titre : il vise tout à la fois à lutter contre la stigmatisation des personnes en situation précaire et à renforcer leurs possibilités d’accéder à leurs droits, en rendant illégales les pratiques discriminatoires fondées sur la situation économique réelle ou supposée de ces personnes.
Ce texte, en réalité, vise à agir sur les stéréotypes, en établissant une nouvelle norme permettant de faire évoluer les représentations et donc les pratiques discriminatoires. Elle vise à faire prendre conscience à chacun que la pauvreté n’est pas une fatalité et qu’une situation n’est jamais irréversible.
Avant toute chose, elle vise à redonner confiance aux personnes qui ont perdu espoir, afin qu’elles sachent que, désormais, le droit est avec elles, et qu’il est donc possible de postuler pour un logement, un emploi ou une place en crèche sans craindre de se voir renvoyer à sa situation, comme s’il n’était pas permis d’espérer en sortir. Les attitudes que ces personnes subissent étaient contraires à nos valeurs, elles seront désormais contraires à nos lois !