Intervention de Olivier Cadic

Réunion du 18 juin 2015 à 9h30
Discrimination à raison de la précarité sociale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Olivier CadicOlivier Cadic :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il est légitime de chercher à briser le cercle vicieux de la précarité. Nous pouvons aujourd’hui contribuer, un peu, à mettre un terme à cette double peine : la précarité sociale qui entraîne la discrimination, qui entraîne à nouveau la précarité. Dans cet objectif, je soutiens à titre personnel la proposition de loi, qui vise à renforcer la protection des personnes les plus démunies et les plus vulnérables à la discrimination.

Les travaux de la commission et ceux de M. le rapporteur sont allés dans le bon sens. Abandonner les termes vagues de « précarité sociale » permet de renforcer notre arsenal juridique et, ainsi, de protéger les Français victimes de telles discriminations.

La reconnaissance de la discrimination en raison de la pauvreté s’inscrit dans la logique de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. En effet, celle-ci a traité la question de la discrimination à raison du lieu de résidence de telle sorte que les habitants issus des quartiers défavorisés, en particulier les jeunes, sont désormais protégés.

On nous propose aujourd’hui de modifier notre code pénal en ajoutant un nouveau critère aux vingt qui existent à ce jour. Dans le prolongement des propos de M. le président Bas en commission des lois, permettez-moi, chers collègues, de constater l’aspect caricatural que notre législation commence à prendre. Avec la précarité sociale, la liste des discriminations répréhensibles par la loi s’allonge : vingt et un critères de discrimination en droit pénal ! Jusqu’où allons-nous donc allonger cette liste ? Plutôt que d’ajouter sans cesse de nouveaux critères, ne serait-il pas plus pertinent de prendre le temps d’engager une réflexion globale sur la question des discriminations ? Ne pourrions-nous pas réfléchir à une nouvelle formulation plus générique et plus synthétique, qui permettrait d’éviter cet inventaire à la Prévert ?

Vingt et un critères ! Au reste, est-ce suffisant ? Qu’avons-nous malheureusement oublié ? Si vous cherchez des idées, j’en ai. J’ai rencontré un patron qui n’embauche pas les personnes empruntant une certaine ligne de RER pour venir travailler. Il m’a confié : « Les salariés ne sont jamais là ! Sur la ligne, il y a constamment des problèmes techniques, des travaux, quand ils ne sont pas en grève ». Dès lors, devons-nous ajouter le critère du mode de transport ?

Vingt et un critères, disais-je ! Puisqu’on ajoute des critères, cela pourrait laisser à penser que cette politique est efficace.

À l’heure où les pauvres désespèrent de trouver un emploi, nous nous contentons de leur envoyer un signal de sympathie. Comme l’a relevé M. le rapporteur, ce texte a un côté symbolique. Nous serions plus inspirés de créer un environnement économique vraiment propice à la croissance et créateur d’emplois.

Nous légiférons ici pour ne pas discriminer en raison de la pauvreté. Mais qui pourrait s’opposer à une telle démarche ? Soyez un peu logiques ! Il y a deux semaines, j’ai regretté, ici même, que la mise en accessibilité prévue en 2015 soit renvoyée aux calendes grecques. Lorsqu’une entreprise n’est pas accessible, une personne handicapée ne peut même pas se rendre à l’entretien d’embauche. Comment peut-on affirmer qu’on ne fait pas de discrimination quand une entreprise n’est pas accessible ?

Au-delà de cette remarque, j’aimerais que nous n’oubliions pas l’essentiel. La proposition de loi protège-t-elle mieux les personnes en difficulté ou ajoute-elle, une fois de plus, de la complexité ? Ne rendons-nous pas la loi encore plus difficilement lisible et compréhensible ? Peut-être passons-nous même à côté du problème.

Comme le précise le rapport d’information, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, intitulé Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !, l’un des principaux problèmes posés par la précarité sociale est l’autodiscrimination, conséquence du stigmate social que peut représenter la pauvreté. Un nombre toujours plus élevé de personnes éligibles aux aides sociales ne réclament pas ces aides. Vont-ils, dans ce cas, engager un recours en justice pour discrimination ? Ne devrions-nous pas plutôt réfléchir à la question de l’autodiscrimination ?

J’aimerais ne pas clore mon propos sur une note grave. En dépit du bien-fondé de la proposition de loi, il ne faut pas occulter le problème de fond qui se cache derrière. En effet, je vous invite, mes chers collègues, à ne pas vous tromper de cible : c’est bien l’étendue de la précarité sociale qu’il faut combattre et qui est le véritable problème de notre pays. C’est bien l’existence d’une armée de chômeurs, dont une politique que je regrette fait grossir les rangs, qui autorise le choix et, donc, la discrimination. Celle-ci n’en est qu’une de ses conséquences désastreuses. Il faut donc s’inquiéter de cette loi et non s’en réjouir. Si nous devons aujourd’hui légiférer sur cette forme de discrimination, c’est bien parce que la précarité sociale devient endémique.

Cette proposition de loi arrive à un moment où notre pays est durement touché par le chômage et la pauvreté. La pauvreté concerne aujourd’hui, en France, 8, 7 millions de personnes, soit 14, 3 % de la population. Je rappelle également qu’un enfant sur cinq est touché. Ne l’oublions pas, notre combat doit être avant tout de vaincre la précarité sociale !

Le groupe UDI-UC s’abstiendra sur cette proposition, mais quatre de ses membres, dont je suis, la voteront.

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