Intervention de Nicole Duranton

Réunion du 18 juin 2015 à 9h30
Discrimination à raison de la précarité sociale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la pauvreté est un fléau qui touche plus de 8 millions de personnes en France.

La proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale est effectivement issue des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, menés entre 2013 et 2014 sous la présidence de Joël Bourdin.

Les auteurs de cette proposition de loi ont décidé d’introduire un vingt et unième critère et, ainsi, d’allonger la liste des discriminations invocables comme préjudices au regard de l’article 225-1 du code pénal, de l’article L. 1132-1 du code du travail, de la loi de 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ce vingt et unième critère est celui de la « précarité sociale », qui pourrait donc justifier des sanctions pénales. Aux termes de l’exposé des motifs, « cette reconnaissance est une manière forte d’adresser un message ». C’est en tout cas ce qu’espèrent les auteurs de la proposition de loi. Nous sommes très clairement en train de débattre d’une proposition de loi symbolique, d’une proposition de loi « prise de conscience », si je puis dire, mais, finalement, cette proposition de loi ne fera pas, hélas ! avancer les choses.

Nous devrions plutôt réfléchir à autre chose qu’à une simple prise de conscience. La pauvreté progresse en France ; ce phénomène n’est pas nouveau. En témoigne le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective : « Loin de diminuer, la pauvreté est un phénomène qui se durcit, s’intensifie, se transforme et s’étend à de nouvelles populations. » Ce même rapport d’information en appelait d’ailleurs à des changements profonds sur un certain nombre de sujets fondamentaux. Il se voulait « lanceur d’alerte », mais j’ai l’impression que nous n’en sommes, encore aujourd'hui, avec cette proposition de loi, qu’au stade du lancement d’alertes.

Ce n’est pas le sujet que je dénonce, bien au contraire, mais bel et bien la manière de l’aborder. L’un des trois objectifs recherchés dans le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective était : « prendre conscience ». Nous débattons ici d’une proposition de loi visant effectivement à aider à prendre conscience. Cela signifie-t-il qu’il faudra, dans un an, voire plus, déposer une proposition de loi traitant du deuxième objectif, à savoir « instaurer la confiance », puis, dans deux ou trois ans, d’une dernière concernant le troisième objectif, « oser la fraternité » ?

Nous légiférons beaucoup, mais il nous faut aller plus loin et plus vite, surtout pour ce qui concerne cette question dramatique de la pauvreté. À mon sens, il ne suffit pas d’engager une action symbolique pour se donner bonne conscience. Le véritable débat devrait être celui de la pauvreté. Ce qui a poussé Yannick Vaugrenard à écrire son rapport d’information, c’est le constat que la pauvreté devient héréditaire : la pauvreté se transmet de génération en génération, comme une malédiction. Si des enfants sont pauvres, c’est parce qu’ils vivent dans des familles pauvres, lesquelles sont de plus en plus souvent monoparentales.

Au cours de ces dernières années, on a noté un changement notable dans la constitution sociale des ménages pauvres en France. Désormais, le nombre de personnes pauvres vivant dans des familles monoparentales est bien supérieur au nombre de personnes pauvres vivant dans des familles nombreuses. Aussi, il serait opportun de réfléchir à cette question sur le fond, afin de trouver les moyens de ralentir cette augmentation.

De plus, à la tête de ces familles monoparentales, on trouve essentiellement des femmes. Celles-ci subissent une double précarisation, parce qu’elles occupent très souvent des emplois peu qualifiés, qu’elles subissent des temps partiels contraints, peu rémunérés. J’entends par là que la lutte contre la pauvreté, la précarité sociale, ne peut s’exonérer d’une réflexion sur les inégalités, d’autant que celles-ci ne sont pas uniquement financières.

Le rapport de 2013 sur l’état de la pauvreté en France était une nouvelle occasion de proposer des mesures concrètes, afin d’essayer d’améliorer le quotidien de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants qui ont des difficultés à satisfaire leurs besoins fondamentaux tels que se nourrir, se loger, se faire soigner, s’éduquer ou encore payer ses factures. À mon sens, ce n’est pas en ajoutant simplement un critère pénalement répréhensible que nous avancerons.

Nous sommes des responsables politiques. Il est donc de notre devoir, ici, au sein de la Haute Assemblée, non seulement de réagir, mais également d’agir, en formulant des propositions concrètes, afin d’éviter que les victimes ne s’enfoncent un peu plus encore. Engager une réflexion plus large et répondre globalement aux problématiques soulevées dans le rapport de M. Vaugrenard me paraîtraient participer d’une démarche plus cohérente et plus judicieuse. C’est pourquoi je m’abstiendrai sur ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion