Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 18 juin 2015 à 15h00
Étude d'impact en application des articles 34-1 39 et 44 de la constitution — Discussion et retrait d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, « si Alexandre penche la tête, ses courtisans penchent la tête », écrivait Nicolas Malebranche, déjà cité, pour dénoncer le conformisme. Jamais je n’accuserai de conformisme Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat.

Pour m’inscrire dans cette tradition, je m’exprimerai à titre totalement personnel ; mes propos n’engageront en rien le groupe auquel j’appartiens.

J’étais hostile à l’obligation d’adjoindre une étude d’impact aux projets de loi lorsqu’elle fut instaurée. J’y reste défavorable. J’eusse aimé, cher Jacques Mézard, que vous nous eussiez présenté une proposition de loi constitutionnelle pour réformer la Constitution à cet égard. Je veux, madame la secrétaire d'État, m’en expliquer.

Je crois profondément que l’impact de la loi est justement l’objet du débat politique. Faire des choix politiques, c’est engager la conviction que l’on porte en soi pour telle ou telle réforme. Aucune étude d’impact ne peut prédire à l’avance, de manière incontestable et absolue, quel sera l’effet – ou la cause, mon cher Pierre-Yves Collombat, qu’elle soit accidentelle, essentielle ou finale – d’une loi.

Prenons un exemple très simple. Imaginons qu’un projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés, ou OGM, soit déposé. Je suis persuadé que, lors de son examen en séance publique, la première intervention serait une contestation de la validité de l’étude d’impact, car, selon ce que l’on pense du sujet, on estimera que l’étude est bonne ou qu’elle est mauvaise.

Autrement dit, l’étude d'impact obéit à une illusion, y compris d’ordre méthodologique et philosophique : celle de croire qu’il y aurait, sur l’impact de la loi, une vérité qui surplomberait le Gouvernement et le Parlement, la majorité et l’opposition, une vérité qui s’imposerait à tous. Une telle vérité n’existe pas ! Par définition, les études d'impact seront toujours contestées et contestables.

Par conséquent, et non sans une pensée pour les fonctionnaires des différents ministères chargés de ce pensum – vous pourrez bientôt constater, madame la secrétaire d'État, que leur rédaction est un exercice très long et très difficile et que le résultat est toujours jugé insuffisant –, je considère, pour ma part, qu’il faut éviter de se perdre dans des études d'impact et résister à cette idée toute faite qu’elles établiraient la vérité.

Il est préférable que le Gouvernement et le Parlement puissent tout simplement disposer des meilleurs moyens d’expertise et solliciter les experts et les scientifiques qu’ils souhaitent entendre sur un certain nombre de points, de textes, de projets. Cela suppose, naturellement, des moyens et, comme Jacques Mézard l’a dit très justement, une conception du temps législatif qui ne soit pas incompatible avec le débat parlementaire lui-même et avec l’analyse de la loi.

Il faut du temps pour faire de bonnes lois et pour les expertiser, mais ce qu’il faut, c’est que chacun – Parlement et Gouvernement – dispose des capacités d’expertise nécessaires.

Je ne crois donc pas à des études d'impact objectives. Hier soir, nous avons examiné une proposition de loi sur la fin de vie. Que vaut une étude d'impact sur un tel sujet ? Pour ce qui me concerne, je pense que, dans un tel débat, il faut procéder à de nombreuses auditions, entendre de nombreux praticiens, penseurs, scientifiques, analystes… Mais, en tant que parlementaires, il nous revient de nous battre pour la conception qui nous paraît la plus juste, la plus humaine, la plus conforme au droit et à l’intérêt général.

Je le répète, il ne me semble pas qu’une étude d'impact puisse dégager une vérité qui s’imposerait absolument à tout le monde. Il est inévitable que les études d'impact fassent l’objet de critiques, car elles ne peuvent pas répondre à l’objet qu’on leur assigne.

Ne restons pas au milieu du chemin ! Mon cher Pierre-Yves Collombat, vous qui enseignâtes avec tant de talent la philosophie, je veux vous rappeler que Nicolas Malebranche, qui a déjà été cité, disait fort justement : « Les préjugés occupent une partie de l’esprit et en infectent tout le reste. »

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