Je voudrais avant toutes choses remercier vivement Mme la garde des sceaux. Nous savons en effet l’effort qu’elle fait pour être parmi nous ce jour, et nous l’apprécions d’autant plus que tous les ministres ne nous honorent pas souvent de leur présence…
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans l’ordre du jour réservé à notre groupe, nous avons souhaité aborder la question des délais de jugement devant les juridictions administratives et, par là même, les moyens de les rendre plus rapides. Nous avons le souhait de connaître la position du Gouvernement sur ce qui est devenu un problème.
Tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et bien sûr Conseil d’État : c’est le triptyque institutionnel qui constitue la justice administrative de notre pays, de la première instance en passant par l’appel, jusqu’à la cassation.
La justice administrative n’est pas, comme certains voudraient le laisser entendre, une exception française de plus. Il suffit de penser au Conseil d’État belge ou au Consiglio di Stato italien pour s’en convaincre ; il faut dire, et c’est le jour pour se le rappeler, que Napoléon était passé par là ! §Je ne parle même pas de l’Allemagne, qui ne connaît pas moins de cinq ordres juridiques distincts.
La justice administrative n’en est pas moins une caractéristique majeure de notre système juridique. Son organisation, son fonctionnement, son mode de recrutement par le biais de concours spécifiques, la porosité pouvant exister avec le corps préfectoral, notamment, ainsi que son droit d’origine jurisprudentielle la distinguent de l’ordre judiciaire classique, souvent plus familier à nos concitoyens.
Depuis quelques années, cette justice administrative, garante tant du respect des libertés face à la puissance publique – on nous l’a rappelé lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement – que de la protection des prérogatives de cette même puissance publique contre les intérêts particuliers, a vu son contentieux croître sans discontinuer, tandis que ses moyens financiers et humains restaient assez constants.
Ainsi, ce sont environ 200 000 décisions qui sont rendues chaque année dans ces juridictions, pour l’essentiel en première instance. Autant dire que l’engorgement des juridictions administratives est, non pas toujours, mais très souvent, une réalité. À cela s’ajoute, ce qui n’arrange pas les choses, la lenteur due à la multiplication des expertises, lenteur parfois programmée, qui soulève également la question de la qualité desdites expertises.
Si de louables efforts ont été réalisés par les juridictions afin de réduire les délais de jugement et de rajeunir le stock d’affaires pendantes, la situation pose toujours problème.
Je tiens à dire très clairement que ce débat n’a pas pour objet de critiquer les juridictions administratives. Si la durée des procédures, de plus en plus nombreuses et souvent systématiques, bloque le développement de ce pays, la responsabilité en incombe d’abord aux gouvernements successifs et à nous-mêmes, parlementaires.
À force de multiplier les lois, les règlements, les normes, les schémas - prescriptifs, ou non, mais sur lesquels on se fonde pourtant - et les documents d’urbanisme, notre législation est devenue un maquis dans lequel se réfugient tous ceux qui ont un intérêt, le plus souvent personnel, parfois politique – cela peut être dans le meilleur sens du terme, d’ailleurs –, à bloquer un dossier.
Constamment, le pouvoir exécutif et le législateur fabriquent des mines qui explosent à la figure des porteurs de projet. La loi dite « Grenelle de l’environnement », adoptée avec les meilleures intentions du monde, en est l’illustration : les fils des trames vertes et bleues sont en train d’enserrer de multiples initiatives, empêchant ainsi tout mouvement.
De la même manière, ce n’est point la faute des juridictions administratives si nous assistons à une inflation constante du contentieux, depuis les points du permis de conduire jusqu’aux nouveaux droits accordés aux citoyens par la puissance publique elle-même, sur le logement ou la sauvegarde de l’emploi, par exemple.
Quand l’exécutif et le législateur créent de nouvelles sources de contentieux, il paraîtrait judicieux et de bon sens de donner aux juridictions administratives les moyens suffisants pour y répondre dans des délais acceptables. Le contentieux administratif doit en effet permettre de résoudre des conflits et non de les créer, de donner à l’administration les moyens de faire retomber la pression par l’usure du temps, même si ce n’est pas non plus la meilleure solution.
Ce n’est pas davantage la responsabilité des juridictions administratives si gouvernements et législateur s’ingénient à créer une kyrielle d’organismes divers, autorités administratives indépendantes – nous nous en occupons dans une commission d’enquête dédiée –, commissions ou autres comités ayant qualité pour prendre des décisions susceptibles de recours, voire de prononcer des sanctions. Hier, lors de son audition par la commission d’enquête que je viens d’évoquer, et dont je suis le rapporteur, le président de l’Autorité de la concurrence nous indiquait avoir infligé 1 milliard d’euros d’amendes. Quelle juridiction pourrait se prévaloir d’un tel succès, madame la garde des sceaux ?
Tous ces organismes s’infiltrent par leurs décisions dans le processus juridictionnel. Cela complique encore le cheminement des dossiers et allonge considérablement la durée des procédures. On peut citer à l’appui de notre propos l’exemple de l’urbanisme commercial, avec ses commissions départementales et sa commission nationale. Certains membres de cette dernière instance, et parmi les plus éminents, reconnaissent d’ailleurs que, lorsqu’il y aura des SCOT partout, leur utilité sera moins évidente...
Il faut ajouter à cela le processus du traitement des dossiers par les juridictions administratives et le contentieux du permis de construire. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir certains dossiers de contentieux d’urbanisme, pour ne citer que ce domaine, s’étaler sur huit à dix ans.
Madame la garde des sceaux, vous êtes une ministre d’importance, dans le bon sens du terme. Le Gouvernement veut réformer, faire voter des lois dans tous les domaines. Ces réformes sont-elles simplificatrices ? C’est parfois le cas. Le plus souvent, cependant, elles viennent compliquer davantage encore le fonctionnement de nos institutions. Plus vous créez d’autorités administratives indépendantes, de hauts conseils – formule à la mode – ou autres comités Théodule, plus la situation devient compliquée et source de contentieux.
Il n’est guère de projet important pour une collectivité locale, pour une entreprise, pour l’État, qui ne suscite de recours, soit en vertu du principe du « NIMBY » – pas chez moi, mais chez le voisin, c’est toujours mieux ! –, soit pour préserver un intérêt strictement personnel ou corporatiste. Cela peut être aussi la déclinaison d’une idéologie.
Résultat ? Quand il faut trois ou quatre ans dans les pays voisins pour juger tous les recours, il faut souvent le double en France. Cela a des conséquences catastrophiques pour le développement économique de notre pays, pour la vie de nos territoires, pour la modernisation de nos équipements, pour l’emploi.
Dans une démocratie, il est naturel, il est juste que tout citoyen puisse exercer une voie de recours contre une décision lui portant grief ou que toute association justifiant d’un intérêt à agir puisse faire valoir ses droits. Il ne pourrait y avoir d’entrave à l’exercice de ce droit fondamental.
Dans une démocratie, il est aussi naturel, aussi juste que ceux qui exercent des recours abusifs, qualifiés comme tels par les juridictions, soient sanctionnés financièrement et parfois pénalement, comme cela a pu être le cas contre les auteurs de recours frauduleux s’agissant des permis de construire à Marseille.
Dans une conjoncture économique difficile, et durablement difficile, la durée de nos procédures constitue un handicap pour le pays. Il convient de mettre un terme à cette situation. Il s’agit non pas de faire obstacle aux recours, mais de pouvoir prendre des décisions plus rapides, quel que soit leur sens. Et quand les décisions sont rendues, madame la garde des sceaux, il est important que l’État fasse le nécessaire pour qu’elles soient appliquées dans les meilleurs délais, et non en fonction de la plus ou moins grande capacité des opposants à mobiliser les médias ou les équilibres politiques ! Quoi de pire pour un pays démocratique que de ne point avoir la capacité de faire exécuter les décisions de justice ?
Lors de l’examen du projet de loi Macron, un débat s’est instauré sur la fixation d’un délai maximum pour que les juridictions administratives statuent sur certains dossiers. Le ministre de l’économie a répondu en indiquant qu’une mission parlementaire pourrait travailler sur ce thème – il me semble d’ailleurs le lui avoir susurré…C’est une des pistes de réflexion. Cependant, madame la garde des sceaux, ce débat a pour objet d’attirer de nouveau l’attention du Gouvernement sur ces questions d’une cardinale importance.
Face à une situation qui suscite tant de difficultés pour notre pays en période de crise économique, quelles sont les réponses du Gouvernement ? Il importe non pas d’agir à tort et à travers, mais de rendre des décisions justes et rapidement.