Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat inscrit à l’ordre du jour par le groupe du RDSE aujourd’hui nous amène à nous interroger sur la question de la justice administrative, de ses moyens et de son efficacité. Vaste programme qui mériterait sans doute plus qu’un débat ! Je vis cependant tenter d’apporter quelques réflexions dans le temps qui m’est imparti.
La maîtrise des délais de jugement, alliée au maintien de la qualité des décisions rendues, demeure la préoccupation majeure de la juridiction administrative, bien que l’objectif de ramener à un an les délais de jugement devant le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs, fixé par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, ait été pour la première fois atteint en 2011seulement. Cependant, ces résultats demeurent fragiles.
La poursuite de la montée en puissance des contentieux de masse – droit au logement opposable, DALO, revenu de solidarité active, RSA, ou droit des étrangers – qui ont respectivement crû de 44 %, de 77 % et de 25 % entre 2010 et 2013 – ils continuent d’ailleurs à augmenter – ont contribué à alimenter l’engagement du contentieux dans les juridictions administratives.
Face à cette progression du contentieux administratif, force est de constater que la juridiction manque de moyens pour statuer dans des délais plus rapides. Alors que les gains de productivité dus notamment à l’informatisation des procédures ont atteint leur limite, d’autres solutions doivent être discutées.
Lors de son audition au Sénat par la commission des lois en octobre 2012, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, avait bien exposé la situation : « Nous avons épuisé les mesures de simplification envisageables. Se pose à présent la question de la réduction des contentieux. »
Le préalable incontournable ici réside bien évidemment dans l’accroissement des moyens humains et budgétaires alloués à la juridiction. Un rapport du Sénat notait déjà en 1991 que « l’administration ne dispose pas toujours des moyens de sa politique contentieuse ».
La juridiction administrative représente un petit corps du ministère de la justice : les 1 133 magistrats pourraient être augmentés de quelques dizaines de recrues. À cet égard, nous resterons attentifs à la création annoncée de trente-cinq emplois en 2015, ce qui reste malgré tout très faible.
Cependant, aujourd’hui, alors que les marges de manœuvre budgétaires sont limitées, se pose la question des outils procéduraux ou organisationnels qui peuvent être mis en place pour éviter la dégradation de la situation de la juridiction administrative.
À ce titre, les procédures de règlement alternatif des litiges, par exemple les « recours administratifs préalables obligatoires », apparaissent comme de bons moyens de résorption du contentieux.
Pourtant, instaurées en 2000, soit il y a déjà quinze ans, les commissions de recours administratifs préalables obligatoires n’ont jamais été mises en place, la loi du 30 juin 2000 censée renouveler profondément les procédures d’urgence devant le juge administratif n’ayant, elle-même, jamais été appliquée, à l’exception des recours formés par les militaires.
Le Conseil d’État a rendu dans le courant de l’année 2008, à la demande du Premier ministre, un rapport destiné à envisager les possibilités de développement de ces recours préalables. Ses réserves viennent confirmer les difficultés qu’éprouve depuis toujours le droit public français à concevoir la nature et la fonction juridiques exactes des recours exercés par les particuliers devant les autorités administratives.
Pourtant, de plus en plus, les citoyens saisissent la justice administrative, comme en témoigne la montée en puissance des contentieux de masse. Par exemple, dans mon département, la délivrance de cartes de stationnement pour personnes en situation de handicap a entraîné en une seule année plus de 150 recours.
Ces recours exercés par les justiciables seuls, sans avocats, sont, hélas, souvent « mal ficelés » et contribuent à l’engorgement des tribunaux administratifs.
Or, dans deux tiers des cas, il est de l’intérêt du justiciable que ces contentieux se règlent à l’amiable, sans passer par le tribunal administratif.
Dans ce contexte, nous défendons l’idée de la création des commissions de médiation. D’ailleurs, certains dispositifs existent déjà, mais ne sont pas toujours mis en application. À l’instar de la gestion du contentieux du RSA, la médiation entre le département et la caisse d’allocations familiales devrait être systématisée. J’ai moi-même mis en place, dans le Val-de-Marne, une médiation pour résoudre en amont des contentieux entre nos concitoyens et notre administration départementale.
Bien entendu, ces recours amiables ne doivent en aucun cas empêcher les justiciables de poursuivre au contentieux si la solution ne les satisfait pas.
Dès lors, cet outil procédural apparaît potentiellement efficace pour réduire les délais de la justice administrative, désengorger les tribunaux et, surtout, donner une réponse effective aux justiciables.
En parallèle, l’idée d’un outil organisationnel peut être avancée pour mieux répartir les charges de travail entre les tribunaux administratifs. Car le problème n’est pas tant que tous les tribunaux administratifs soient engorgés, mais que certains d’entre eux le sont réellement – je pense à celui de Montreuil –, quand d’autres connaissent une activité moindre – celui de Clermont-Ferrand, par exemple.
Se pose ainsi la question d’une forme de péréquation des moyens humains, avec la mise en place d’un système de « magistrats volants » dans une zone géographique donnée. Des remplacements ponctuels pourraient ainsi être mis en place, tout en assurant, en parallèle, des garanties pour les magistrats, notamment à travers une souplesse accrue en matière de détachement, par exemple.
Il est important de souligner que ces outils procéduraux ou organisationnels ne doivent être mis en œuvre ni au détriment des magistrats ni au détriment des justiciables.
L’efficacité de la justice administrative, comme celle de la justice judiciaire, d’ailleurs, ne réside pas uniquement dans la diminution des contentieux ou dans la réduction des délais. Il s’agit là de moyens pour parvenir finalement à rendre une justice « profitable » aux citoyens.
En ce sens, il faut faire preuve d’une extrême vigilance quant à la tendance à expédier les dossiers. La réforme du droit d’asile en cours d’examen au Parlement en est l’illustration parfaite : la multiplication des procédures accélérées souhaitée par le Gouvernement se fera malheureusement, nous le savons, au détriment des demandeurs d’asile.
La demande tacite de passer de moins en moins de temps sur les dossiers en première instance sous prétexte que le recours se chargera de l’étude approfondie, n’est pas acceptable, pas plus que les rejets par ordonnance, de plus en plus fréquents, avant que la requête ne soit jugée irrecevable. L’évacuation des dossiers pour satisfaire à des statistiques ne peut évidemment devenir la règle. Je vous rappelle, à cet égard, que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que tout citoyen a droit à un « procès équitable ».
S’il est nécessaire de réduire les délais de traitement, cela doit se faire avec l’objectif d’améliorer la qualité de la décision et, bien entendu, dans le strict respect des droits des justiciables.