Je lui rappelle néanmoins que le Gouvernement a supprimé certaines de ces AAI. Il en a certes créé aussi, et encore récemment, dans le cadre du projet de loi relatif au renseignement. Je sais d’ailleurs à quel point cela vous a agacé, monsieur le sénateur, vous l’avez dit explicitement. Cela étant, depuis trois ans, le Gouvernement s’est fixé comme règle de réduire le nombre d’agences ou d’autorités administratives indépendantes. Nous avons donc plutôt orienté notre action en ce sens, dans le cadre de la modernisation de l’action publique, ce qui peut objectivement être vérifié : nous le mesurons régulièrement.
Je veux également vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, parce que vous avez quasiment tous rendu hommage aux personnels des juridictions administratives, que ce soient les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel ou le Conseil d'État lui-même. Le travail fourni par les magistrats, les greffiers, les assistants de justice et les assistants du contentieux est en effet de très grande qualité ; il me semble donc juste de leur rendre hommage.
Si nous considérons les données chiffrées, on peut effectivement constater, d’une part, avec M. Sueur, qu’il y a eu de réels progrès en matière de délais – cela peut se mesurer objectivement et j’y reviendrai quand j’aborderai l’évolution sur une dizaine d’années – mais on peut aussi observer, d’autre part, avec M. Mézard, un accroissement du contentieux. Celui-ci peut être engendré tant par le législateur lui-même que par le mouvement de « judiciarisation » de la société, souligné par M. Kern ; les citoyens appellent en effet de plus en plus à leur secours la justice, souvent judiciaire mais aussi administrative. Le champ contentieux s’est ainsi élargi, le recours au juge administratif s’est développé, et, malgré les efforts incontestables des magistrats et des greffiers, une surcharge pèse aujourd’hui sur les juridictions administratives.
En 2004, le délai moyen de traitement d’une affaire devant la justice administrative était de trois ans. Aujourd'hui, comme vous l’avez rappelé, monsieur Sueur, le délai moyen est bien de huit mois devant le Conseil d'État, de onze mois devant les cours administratives d’appel, de dix mois devant les tribunaux administratifs et de six mois devant la Cour nationale du droit d’asile. L’amélioration est donc absolument incontestable, même s’il est vrai que le contentieux est devenu plus massif.
Par ailleurs, des contentieux particuliers pèsent aussi sur les juridictions administratives. Ainsi, le droit des étrangers représente 31 % des affaires traitées. M. Soilihi le mentionnait spécifiquement pour Mayotte, mais telle est la moyenne nationale, dans laquelle Mayotte prend bien sûr sa part. Le contentieux du droit opposable au logement, cité par M. Kern, a crû de 44 %, quand le contentieux social sur le revenu de solidarité active, vous le disiez, monsieur Favier, a augmenté de 77 % entre 2010 et 2013, ce qui est considérable.
Tout cela pèse donc ! Il y a ainsi eu 240 000 requêtes devant la juridiction administrative en 2014, ce qui est très important. Sur les vingt dernières années, le nombre de requêtes présentées a augmenté en moyenne annuelle de 6 % devant les tribunaux administratifs et de 10 % devant les cours administratives d’appel !
Les délais de jugement se sont donc améliorés, grâce au travail des personnels – magistrats et greffiers –, mais les volumes croissent : en 2014, ils ont augmenté, par rapport à 2013, de 30, 8 % devant le Conseil d'État, de 3, 4 % devant les cours administratives d’appel et de 11, 3 % devant les tribunaux administratifs.
J’ai évoqué les contentieux massifs, mais on se rend aussi compte que, qualitativement, les interventions des juridictions administratives sont de plus en plus diversifiées, en raison de l’initiative du législateur, bien sûr. Quelques affaires très médiatisées nous rappellent ainsi la variété des sujets traités. Dans la lutte contre l’antisémitisme, par exemple, on se souvient d’une affaire particulièrement emblématique l’année dernière.
En ce qui concerne la dignité de la fin de vie, s’agissant d’une affaire qui est dans tous les esprits, il est bon, reconnaissons-le, que le juge prenne son temps, non pas trop de temps, mais le temps nécessaire à la réflexion.
En effet, il est des sujets qui concernent profondément la société, qui sont extrêmement sensibles, sur lesquels il n’y a pas de réponse arithmétique, binaire.
Ces affaires, qui nous interrogent tous, qui nous interpellent tous, chargent le juge d’une mission très lourde. Il est donc bon qu’il prenne le temps d’un examen approfondi.
Enfin, il y a bien d’autres contentieux, notamment sur le travail dominical ou les taxis, à propos desquels la justice administrative est saisie.
J’en viens plus précisément à vos interventions et à vos interrogations.
Monsieur Mézard, vous avez parlé de délais pouvant aller jusqu’à huit ou dix ans en matière d’urbanisme. Je ne doute pas que vous ayez eu à connaître d’affaires ayant nécessité de tels délais absolument insupportables pour tout le monde, mais je puis vous dire que la moyenne des délais en matière de contentieux d’urbanisme est beaucoup plus rassurante, puisqu’elle est de un an et cinq mois, d’après les chiffres fournis par les différents échelons de la justice administrative. Bien évidemment, il s’agit d’une moyenne, ce qui n’exclut pas que quelques affaires aient pu effectivement durer huit ou dix ans.
En la matière, vous le savez, nous devons composer avec l’ordonnance de juillet 2013 et le décret d’octobre 2013, qui a réparti les contentieux, notamment pour les logements ayant une surface supérieure à 1 500 mètres carrés dans les zones où il y a une tension entre l’offre et la demande de logements. En l’espèce, c’est le tribunal administratif qui juge en premier et dernier ressort, sous le contrôle du Conseil d’État, juge de cassation. Cette disposition vise à réduire les délais de jugement.
Par ailleurs, force est de constater non seulement une réduction des délais, mais également une amélioration incontestable de la qualité des jugements. Un élément chiffré corrobore ce constat : en dix ans, sur 125 affaires enregistrées au Conseil d’État pour absence de délai raisonnable dans une procédure devant le juge administratif, seule une soixantaine ont donné lieu à condamnation, ce qui est toujours trop non seulement pour les victimes, mais également pour les autres parties, mais vraiment peu au regard du nombre d’affaires qui sont soumises à la justice administrative chaque année.
Madame Aïchi, vous avez rappelé, à bon droit, d’ailleurs, que la justice administrative soumettait la puissance publique au respect du droit. Il s’agit d’une mission extrêmement importante, qui répond au besoin de limiter tous les pouvoirs.
À cet égard, M. Mézard a cité quelques pays qui connaissent également une structure administrative comparable à la nôtre, mais je dois dire que, au Royaume-Uni, notre justice administrative est une véritable curiosité : les missions du Conseil d’État sont un mystère absolument insondable pour nos voisins d’outre-Manche.