ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. - Dans le débat sur la pollution de l'air, la question du transport automobile, qui fait l'actualité, ne doit pas occulter l'impact, scientifiquement prouvé, de l'activité agricole : je le vois lorsque je dois prendre des arrêtés d'interdiction d'épandage lors de pics de pollution. Nous développons donc différentes stratégies pour limiter les émissions de gaz et de particules.
La première est de concevoir un modèle de production agricole qui vise à réduire globalement des intrants, dont les phytosanitaires, mais aussi de l'utilisation des énergies fossiles. Nous cherchons aussi à limiter les émissions de gaz liées à l'élevage : nous avons ainsi lancé dès février 2013 un grand plan Énergie méthanisation autonomie azote (EMAA), qui vise à la fertilisation des sols par la matière organique ; nous recouvrons les fosses à lisier, pour limiter les émissions d'ammoniac. La loi d'avenir pour l'agriculture a consacré le principe d'agro-écologie : il s'agit de revoir notre modèle de production, pour qu'il soit moins consommateur en intrants et plus performant économiquement.
À la suite du Grenelle de l'environnement, le plan Ecophyto de Michel Barnier avait fixé l'objectif d'une baisse de l'utilisation des phytosanitaires de 50 % d'ici 2018. Or à mon arrivée en 2012, leur utilisation était en hausse ! Nous l'avons donc repensé à travers un plan Ecophyto II en le liant à la stratégie agro-écologique. Le modèle conventionnel, celui du développement de l'activité agricole des années 1970 à aujourd'hui, tablait sur la spécialisation des productions végétales, afin de ne retenir que les variétés les plus productives : on éliminait toute concurrence grâce aux phytosanitaires. Si l'on ne change pas de modèle, on ne pourra pas réduire l'utilisation des phytosanitaires. Le plan Ecophyto II fixe de nouveaux objectifs, plus réalistes : moins 50 % en 2025, avec un objectif intermédiaire de moins 20 % en 2020.
Autres stratégie nouvelle : les certificats d'économies de phytosanitaires. On donne la responsabilité de faire diminuer la vente de ces produits à ceux qui les vendent. Si l'objectif d'une baisse de 20 % en 2020 n'est pas atteint, il y aura des sanctions financières. C'est donc une responsabilisation collective. Les certificats sont accordés à ceux qui font baisser leurs ventes, qui peuvent à leur tour les vendre aux moins performants.
Notre stratégie valorise également les mécanismes naturels. En France, l'industrie du bio-contrôle, qui a fait des progrès énormes, est très performantes. Elle repose sur la lutte intégrée - utilisation de coccinelles contre les pucerons - mais aussi sur la stimulation de la résistance des végétaux aux parasites ou l'utilisation des phéromones pour empêcher la reproduction des parasites : c'est la confusion sexuelle, qui marche très bien pour la banane.
Ces différentes actions forment une stratégie : il faut repenser la globalité du modèle de production pour qu'il cesse d'être dépendant des phytosanitaires. Il nous faut passer à l'agriculture écologiquement intensive, chère à Michel Griffon.
Alors que la consommation de phytosanitaires augmentait globalement, certaines fermes Ecophyto ont réussi à réduire leur utilisation de 15 %. Techniquement, c'est faisable ! Il faut maintenant accompagner les agriculteurs, qui ne peuvent pas prendre sur eux tous les risques d'un échec potentiel. J'avance mes pions petit à petit, en posant des jalons, en changeant par exemple les référentiels de l'enseignement agricole. Le processus est en cours. Cela prend du temps, mais je suis confiant.
Nous avons obtenu des résultats impressionnants sur l'épandage aérien. Dans les quatre grandes filières concernées - riz, banane, vigne et maïs -, les surfaces traitées par épandage aérien ont été réduites de 93 % entre 2008 et 2014, passant de 181 500 hectares à 11 910 hectares, avec une baisse de 72 % entre 2013 et 2014 ! Au 31 décembre 2015, l'épandage aérien sera interdit sauf dérogation exceptionnelle.
L'industrie du machinisme agricole connaît aussi de grands progrès. Je tiendrai bientôt un Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire pour flécher le suramortissement de 140% vers l'application du plan Ecophyto dans le matériel. Certains nouveaux pulvérisateurs qui ciblent mieux les plantes permettent d'économiser 30 à 40 % de produits. C'est bon pour l'agriculteur, c'est bon pour l'environnement. Encore une fois, nous avons une approche globale, qui a des conséquences sur l'air, sur l'eau, sur les sols, sur la biodiversité. Je suis partisan, vous le savez, de limiter le labour des sols et d'utiliser les vers de terre, qui travaillent sans interruption, gratuitement - et qui aiment ça ! Trois tonnes de vers de terre à l'hectare, ça vous remue 700 tonnes de terre par an, en profondeur.