Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est toujours un plaisir pour moi de me retrouver devant vous, je le dis avec conviction.
J'évoquerai rapidement la situation internationale ; elle mériterait certainement de plus amples développements, mais je suis disponible pour venir une autre fois apporter des informations sur l'évolution des différentes crises.
L'actualisation était déjà prévue pour fin 2015 dans la LPM votée en décembre 2013. Il s'agissait d'une mesure de sagesse. Elle est aujourd'hui accélérée avec la procédure d'urgence, à la demande du Président de la République, en raison des développements internationaux et du très grand engagement de nos forces depuis le début 2015. Il fallait absolument agir vite. Des observations ont été émises à l'Assemblée nationale à propos de l'urgence, mais celle-ci était une nécessité : dans la situation où se trouvaient nos forces, il fallait en effet absolument définir un cadre et une perspective à moyen terme rénovés, en particulier pour rompre le rythme très dur aujourd'hui subi par nos forces, en raison de l'importance de leurs missions. L'urgence, c'est la sécurité, et il me paraît donc souhaitable que l'on puisse aboutir rapidement.
Quelques mots sur l'environnement stratégique avant d'évoquer les principales mesures d'actualisation...
Depuis le vote de la LPM, l'environnement stratégique a évolué de manière négative et très préoccupante - mes différentes auditions devant votre commission en témoignent. Depuis janvier 2015, comme tous les autres États européens, la France est directement exposée à la menace terroriste, qui a pris une ampleur et des formes sans précédent. Je crois l'avoir déjà dit au Sénat en séance publique, cette menace nouvelle se joue des frontières, et il existe une à imbrication croissante entre la sécurité de la population sur le territoire national et la défense de notre pays à l'extérieur. Il n'y a donc pas de rupture entre la menace extérieure et la menace intérieure. C'est là une donnée tout à fait nouvelle.
Cette accélération se justifie également par le fait qu'il y a eu en même temps une simultanéité des risques et une aggravation de l'ensemble des menaces ; ceci a nécessité de revenir à une actualisation plus rapide que prévue.
Par rapport aux engagements de la LPM de décembre 2013, et en raison de la soudaineté et de la simultanéité des crises, nous avons mobilisé nos forces au-delà des contrats opérationnels retenus en 2013. Nous avons régulièrement plus de 9 000 hommes déployés en opérations extérieures, un engagement sur le territoire national allant bien au-delà des 10 000 hommes pour un temps court prévu par le contrat « Protection », ainsi que des avions de combat déployés en nombre une fois et demi supérieur en gestion de crise. L'ensemble des contrats consécutifs à la LPM ont été dépassés par la simultanéité et la gravité des crises que nous vivons depuis fin 2013.
Je parle d'actualisation et non de révision, les principes fondamentaux sur lesquels nous nous sommes engagés en décembre 2013 restant les mêmes. En particulier, le triptyque protection-dissuasion-intervention doit impérativement continuer à structurer notre stratégie de défense et les missions de nos forces. J'entends parfois des voix qui suggèrent quelques abandons dans ce domaine. Je le dis avec force : ce n'est pas notre choix ni ce que je propose !
J'ajoute que ces menaces se poursuivent. Les crises sont toujours là. Il existe des éléments plutôt encourageants en ce moment, grâce à la perspective d'un règlement de paix au Mali, qui devrait se régler le 20 juin, dans la suite des accords d'Alger. Nous sommes là dans une évolution positive. J'espère que tout cela va durer.
Quant à la situation en Centrafrique, nous sommes dans un processus plutôt positif, après le forum de Bangui. On peut maintenant envisager de manière lucide des élections avant la fin de l'année, ce qui était le but recherché depuis longtemps. Du coup, le désengagement se poursuivra. Les nouvelles sont encourageantes, même si ces deux territoires nous ont réservé des surprises dans le passé.
Pour le reste, la situation en Ukraine est celle que vous connaissez ; en Lybie, les choses sont très préoccupantes, et je ne suis pas certain que les discussions de Berlin aboutiront au compromis nécessaire. En Syrie et en Irak, Daech reprend du territoire. C'est ce que j'avais dit au tout début de la crise en Irak. Après avoir pris Syrte, ils ont pris une autre ville, Haroua, à l'est, et ont maintenant deux cents kilomètres de linéaires de côtes.
La situation reste préoccupante, chacun en est convaincu. On peut craindre que les « combattants étrangers » de Syrie puissent arriver assez vite en Libye et entraîner d'autres difficultés. Nous vivons donc dans une période de menaces aggravées.
Cette prise de conscience n'a pas uniquement lieu en France. J'observe avec intérêt que d'autres pays européens ont décidé d'infléchir dans un sens positif leurs orientations budgétaires de défense. D'autres pays et d'autres acteurs se posent par ailleurs des questions. Je pense au débat qui vient de s'ouvrir en Grande-Bretagne sur la sécurité, qui va se poursuivre jusqu'à la fin de l'année, et qui ne manquera pas d'être intéressant.
Je voudrais à présent lister les neuf orientations majeures de l'actualisation, en rappelant que les grands équilibres de la LPM sont maintenus.
Premier point : le Président de la République a d'abord fait le choix de définir un nouveau contrat de « Protection » sur le territoire. L'objectif est désormais que nos armées disposent de la capacité de déployer sur la durée 7 000 soldats sur le territoire national, avec la faculté de monter presque instantanément jusqu'à 10 000 hommes pour un mois. C'est là une nouvelle donne.
Les effectifs de la force opérationnelle terrestre (FOT) seront ainsi portés à 77 000 hommes, au lieu des 66 000 initialement prévus. La contribution de la réserve opérationnelle sera également accrue. Cette augmentation de capacité de notre armée de terre représente un tournant majeur dans notre histoire militaire récente. Un choix a été fait. Si d'autres idées ont été émises, comme l'hypothèse d'une garde nationale, d'une réserve territoriale massive, ou d'un renfort da la police ou de la gendarmerie, la décision a été prise de renforcer nos unités de combat professionnelles.
Nous écartons toute idée d'armée à deux vitesses. Il faut une armée professionnelle, un commandement, du renseignement, des capacités appropriées et renforcées. Il est hors de question de considérer ces forces comme supplétives. C'est une mission militaire, qui figure historiquement parmi les missions de nos armées. C'est une activation du concept de défense opérationnelle du territoire (DOT).
Je souhaite que l'on puisse, dans les semaines et les mois qui viennent, réfléchir ensemble, avec votre commission et avec celle de l'Assemblée nationale, sur les conséquences de ce renforcement de la force opérationnelle terrestre et sur le concept de protection du territoire, pour bien marquer l'importance d'une armée professionnelle pour remplir ce rôle. Il n'y aura pas de régiments affectés à la protection du territoire et d'autres aux interventions extérieures : c'est la même armée qui aura, en fonction des décisions du chef d'état-major de l'armée de terre, des missions différentes. Les régiments auront des itinéraires et des missions sur une année qui permettront d'agir à la fois sur le territoire national ou de remplir des missions à l'extérieur, en interventions, en projection extérieure ou en prépositionnement, comme c'est le cas aujourd'hui.
Second point : le Président de la République a décidé en conséquence un allégement des déflations d'effectifs, dans le but de renforcer nos capacités opérationnelles, très sollicitées, mais aussi de faire face à certains besoins majeurs, comme les services de renseignement ou la cyberdéfense.
Prise globalement, la diminution de la déflation permettra de gager des postes au bénéfice de la force opérationnelle terrestre, de créer plus de 650 postes dans le domaine du renseignement, au moins 500 postes - pour un total de mille postes sur 2014-2019 - dans le domaine de la cyberdéfense, et de renforcer le soutien aux exportations d'armement.
Cette réduction de la déflation est de 18 500 postes. Le nombre de postes à déflater est ainsi ramené à 14 925 sur la période 2014-2019, au lieu des 33 675 prévus initialement par la LPM votée en 2013. La déflation réalisée en 2014 s'élevant à un peu plus de 8 000, il reste donc 6 918 postes à supprimer sur la période 2015-2019, ce qui reste significatif.
Troisième point : le Président de la République a décidé d'accroître la dépense de défense de 3,8 milliards d'euros par rapport à la LPM initiale.
Ces crédits additionnels vont bénéficier tout d'abord au nouveau contrat « Protection », avec 2,8 milliards d'euros consacrés aux effectifs et aux coûts d'infrastructures et de soutien afférents à ces emplois.
Ensuite, cet effort supplémentaire va permettre d'améliorer l'équipement des forces, y affectant un milliard d'euros de crédits budgétaires supplémentaires, avec 500 millions d'euros de capacités nouvelles, et 500 millions d'euros pour l'entretien du matériel, sujet que j'avais déjà eu l'occasion d'évoquer longuement lors du débat sur la LPM en 2013.
Je ne souhaite pas que le maintien en condition opérationnelle soit une variable d'ajustement, comme cela a été le cas antérieurement. Il n'y a pas de ma part de volonté de polémique : je constate simplement que, depuis un certain nombre d'années, l'entretien des matériels faisait les frais d'ajustements divers et variés. Il fallait l'arrêter ; on l'a fait ! La LPM prévoyait 4,3 % d'augmentation annuelle d'entretien programmé des matériels. On ajoute à cette augmentation 500 millions d'euros sur la période, soit 100 millions d'euros par an de plus. C'est une nécessité, car les matériels utilisés et sollicités en opérations subissent des détériorations auxquelles il faut remédier.
Par ailleurs, 500 millions d'euros seront affectés à des capacités nouvelles, auxquels s'ajoutera 1 milliard d'euros issu de la réaffectation des gains de pouvoir d'achat liés à l'évolution favorable des indices économiques, du fait de l'inflation et des prix des carburants depuis le vote de la LPM. Ce gain sera affecté non au fonctionnement, mais investi dans de nouvelles capacités.
1,5 milliard d'euros de capacités viendra donc renforcer un certain nombre de capacités, comme la composante « hélicoptères ». L'actualisation prévoit l'acquisition de sept Tigre, de six NH 90 supplémentaires, et le déploiement d'un plan spécifique destiné à améliorer la disponibilité des hélicoptères.
Nous allons également renforcer nos capacités de transports aériens tactiques, excessivement sollicités, et confirmer la livraison des six FREMM sur la période de programmation, malgré le prélèvement de la Frégate égyptienne, en accélérant ce programme pour être dans le scénario prévu initialement. Nous allons boucler le financement du troisième CSO, réalisé en coopération avec l'Allemagne. Enfin, nous équiperons nos drones de surveillance d'une charge d'écoute électromagnétique, indispensable aujourd'hui, et renforcerons les moyens de nos forces spéciales, en particulier les lunettes de vision nocturne.
L'ensemble des engagements capacitaires que j'avais pris devant vous au moment de la LPM sont maintenus. Dans le dispositif que je propose, j'accélère également les trois MRTT manquants.
Quatrième point : le Président de la République a décidé de simplifier la structure des ressources financières de la programmation militaire. Il n'y aura donc plus de ressources exceptionnelles, à l'exception des ressources immobilières et des cessions de matériel, qui ne représenteront plus que 0,6 % de la programmation financière. Tout le reste sera budgété à partir de 2015.
Ainsi, la très grande majorité des 6,2 milliards d'euros de ressources exceptionnelles qui restaient à trouver sur la période 2015-2019 seront converties en crédits budgétaires, à hauteur de 2,14 milliards d'euros, dès cette année. Le collectif permettra d'atteindre les 31,4 milliards d'euros sur lesquels le Président de la République s'était engagé.
Exit, donc, les sociétés de projet. J'ai déjà eu l'occasion de dire que j'étais preneur d'autres solutions. Celles-ci sont arrivées, et je trouve que c'est une meilleure gestion. On tourne donc la page, définitivement j'espère, des ressources exceptionnelles affectées au ministère de la défense.
Au total, notre effort de défense s'élèvera ainsi sur la période 2015-2019 à 162,4 milliards d'euros courants, contre 158,6 milliards d'euros votés en 2013.
Enfin, lors du débat à l'Assemblée nationale, vos collègues députés ont introduit trois dispositions auxquelles le Gouvernement a apporté son soutien :
- d'une part, l'inscription dans les articles de loi, et non plus dans le rapport annexé, de la clause de sauvegarde relative à la couverture des volumes de carburant nécessaires à l'activité des armées en cas de hausse des cours ;
- d'autre part, la remise d'ici fin 2015 de deux rapports du Gouvernement sur l'opportunité d'introduire dans la loi de programmation des clauses de sauvegarde financières dans le cas d'un retournement des indices économiques, et dans le cas où les cessions immobilières et de matériels ne seraient pas au rendez-vous.
Ces amendements ont été déposés par M. Lamour. Je les ai soutenus. Ils ont été intégrés dans le texte.
Cinquième point : la LPM comporte une véritable ambition pour notre industrie de défense. Par sa politique d'acquisition, l'État favorisera notre industrie du fait du surcroît d'investissements que j'ai décrit précédemment : en moyenne annuelle, le ministère dépensera 17,6 milliards d'euros pour ses acquisitions d'équipements.
La question des Rafale est maintenant derrière nous, les deux commandes fermes du Qatar et de l'Égypte étant là. Quant à l'Inde, la décision d'achat de trente-six Rafale a été prise lors de la visite du Premier ministre de l'Inde. Les discussions techniques sur la conclusion de l'accord se déroulent dans les meilleures conditions. La conclusion interviendra dans des délais assez courts, certainement avant la fin de l'année.
J'ajoute que nous souhaitons des leaders européens compétitifs. Dans cet esprit, un projet de drone MALE, qui pourrait équiper les armées à partir de 2025, s'élabore en coopération avec l'Allemagne et l'Italie. Nous avons conclu un accord avec les industriels concernés. Le débat sur le concept de drone même a été quelque peu compliqué en Allemagne, mais les choses s'éclaircissent. J'ai signé cet accord il y a environ un mois et demi.
Dans le même ordre d'idée, le rapprochement entre Nexter et KMW se déroule dans de bonnes conditions et pourrait se conclure très rapidement. Il sera bouclé d'ici la fin de l'année. Il s'agit là d'une avancée très significative.
Je précise que le chiffre des exportations de l'année 2014 est de 8,4 milliards d'euros, en augmentation de 18 % par rapport aux chiffres de 2013, eux-mêmes en augmentation de 40 % par rapport au chiffre précédent ! Nous avons déjà, en juin 2015, atteint le chiffre de 2014, niveau très significatif. Je puis vous annoncer, l'Élysée venant de le rendre officiel, qu'un nouveau contrat d'un milliard d'euros a été conclu avant-hier avec l'Émir du Koweït, lors de mon déplacement dans ce pays, pour l'acquisition d'hélicoptères Caracal, qui seront construits à Marignane - et ce n'est pas fini ! Cet accord avec le Koweït est très important, ce pays étant sous dominante anglo-saxonne totale
Sixième point : la création des associations professionnelles nationales de militaires. Même si vous avez évoqué votre réserve, monsieur le président, nous étions contraints par deux arrêts prononcés le 2 octobre 2014 par la Cour européenne des droits de l'homme. Le projet de loi instaure le droit pour les militaires de créer et d'adhérer librement à des associations professionnelles nationales de militaires (APNM) - et seulement à elles. Ces adhésions comportent les restrictions légitimes qui conviennent.
C'est une avancée pour la condition militaire, qui ne doit ni heurter, ni être précipitée, mais au contraire rassurer sur le fait qu'elle ne remet en cause ni les obligations fondamentales et constitutionnelles de nos armées, ni l'unicité du statut militaire.
Septième point : associer davantage les réserves au renforcement de la posture de protection de nos armées, qu'il s'agisse des déploiements ou de la cyberdéfense. Le projet comporte un effort sans précédent au profit de la réserve opérationnelle, qui passera de 28 000 hommes à 40 000 hommes, en favorisant un élargissement des recrutements vers la société civile, une augmentation du temps de période et de la rapidité de mobilisation.
Je me suis entretenu avec les responsables du MEDEF à ce sujet, et je pense que nous devons nous imposer comme discipline d'aboutir, car on a souvent tendance à négliger les réserves. Or, on a bien vu l'importance qu'elles pouvaient représenter.
Huitième point : nous allons lancer l'expérimentation d'un service militaire volontaire en métropole, à l'instar du service militaire adapté qui existe dans les Outre-mer. Deux centres accueilleront des jeunes à compter de la rentrée 2015, à Montigny-lès-Metz, en Moselle, et à Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne ; un troisième centre complètera l'expérimentation en 2016, à La Rochelle, pour accueillir un millier de volontaires. La défense est prête à mener l'expérimentation, mais si l'on souhaitait élargir ce dispositif, il faudrait que les choses soient financées et portées par d'autres organismes que le ministère de la défense.
Neuvièmement : l'ensemble de ces dispositions n'empêchera pas la transformation du ministère de la défense, qui est en cours. Il existait déjà des plans stratégiques pour l'armée de l'air, la marine, le service de santé et le service du commissariat des armées (SCA). Ces projets de service se poursuivront.
Il y a désormais le plan stratégique de l'armée de terre appelé « Au contact » qui va modifier de façon assez singulière cette armée : elle sera composée de sept brigades, dont une brigade d'aérocombat, la BAC, disposant de l'ensemble des hélicoptères que j'évoquais précédemment.
Je suggère à ce sujet que la commission auditionne le chef d'état-major de l'armée de terre pour qu'il vous présente l'ensemble du dispositif. C'est un changement assez significatif pour l'armée de terre, qui s'adapte ainsi à la nouvelle donne stratégique.