Intervention de Bertrand Schneiter

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 17 juin 2015 : 1ère réunion
Audition de M. Bertrand Schneiter président de la commission des participations et des transferts

Bertrand Schneiter, président de la commission des participations et des transferts :

J'indique d'emblée que la commission que j'ai l'honneur de présider traite de nombreux dossiers qui ne sont pas publics : vous m'excuserez de ne pouvoir entrer dans le détail de certains de leurs aspects.

La Commission des participations et des transferts est une autorité administrative indépendante de fait, reconnue comme telle par le Conseil d'Etat pour une double raison : la loi qui l'a créée a prévu l'indépendance de ses membres et ses avis ont force contraignant sur les décisions du Gouvernement en matière de privatisations - ce que l'on appelle désormais « cessions de participations publiques ».

Si l'on s'en réfère à l'exposé de M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, lors de son audition, les caractéristiques de la Commission ne sont pas comparables, dans tous les domaines, à celles des autres autorités administratives indépendantes. Elle ne jouit pas, pour commencer, de l'autonomie budgétaire. Il est vrai que c'est aussi le cas de quelques autres, et je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il soit nécessaire, dans l'action qui est la nôtre, de disposer de moyens propres garantis au-delà de ce qu'exige le fonctionnement courant.

La reconnaissance du Conseil d'Etat a été confortée par la loi relative à la transparence de la vie publique, qui l'inclut clairement parmi les AAI, ainsi que par les textes relatifs à la gestion des patrimoines financiers des membres des autorités intervenant dans le domaine économique.

La Commission joue un rôle qui attire rarement l'attention du public. Il est pourtant incontournable dans les cessions du patrimoine public et répond à l'exigence formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 juin 1986 qui veut que l'évaluation de la valeur des entreprises à transférer soit faite « par des experts compétents totalement indépendants des acquéreurs éventuels » ; qu'elle soit « conduite selon les méthodes objectives couramment pratiquées en matière de cession » ; que le transfert soit interdit « dans le cas où le prix proposé par les acquéreurs ne serait pas supérieur ou au moins égal à cette évaluation » et que le choix des acquéreurs ne procède « d'aucun privilège ».

Il en découle que les membres de la Commission doivent présenter des garanties d'expérience et de compétence, ainsi que d'indépendance. Dès la loi de 1986, un régime très strict d'incompatibilités a été prévu pour prévenir de possibles relations des membres du collège avec les acquéreurs éventuels, ainsi qu'avec les entreprises privatisées : toute fonction rémunérée en leur sein leur est interdite au cours des cinq années qui suivent le terme de leur mandat.

La Commission mène sa mission différemment selon qu'elle statue sur des opérations de marché ou hors marché. Pour les premières, il suffit, en principe, qu'elle fixe un prix de cession minimal, les règles du marché devant assurer le respect des autres conditions, comme l'absence de privilège. Même en ce domaine, cependant, la Commission est très attentive au déroulé de la procédure, tant pour les opérations de bloc que pour celles qui sont conduites au fil de l'eau, du type de celle sur Engie annoncée hier par les ministres - bien que la loi n'indique pas clairement qu'un avis conforme est requis dans ce cas.

Pour les secondes, où le risque d'inégalité de traitement est plus important, la Commission est appelée à se prononcer très précisément sur la procédure, sur le cahier des charges, sur l'ensemble des éléments permettant de garantir que la valorisation a été respectée et que le choix de l'acquéreur a été aussi respectueux que possible de l'égalité des chances.

Je rappelle pour mémoire qu'hors les cas de saisine légale, la Commission peut être saisie par le Gouvernement sur d'autres dossiers. Il est ainsi arrivé qu'elle le soit sur des opérations ne relevant pas du portefeuille de l'Agence des participations de l'Etat (APE). Récemment, elle a été saisie pour avis sur la valeur des fréquences radioélectriques. Les avis que nous rendons dans ce cas restent consultatifs mais en pratique, les valeurs que nous indiquons sont respectées.

Les compétences de la Commission ont été élargies et précisées par l'ordonnance de 2014, qui a éclairci les modalités de notre intervention. Puis, dans le projet de loi pour la croissance et l'activité, à ce stade de son examen, les seuils, fixés par l'ordonnance à 1 000 emplois ou 150 millions de chiffre d'affaires ont été réduits de moitié, à l'initiative des parlementaires.

L'intervention de la Commission a deux effets positifs sur le processus de cession. Le premier, que je qualifierais d'effet de procédure, n'est pas directement visible, car il est préventif. La présence de la Commission au coeur de la procédure pousse les parties prenantes à ne présenter que des dossiers ayant des caractéristiques acceptables. Les fonctionnaires de Bercy ont plus d'une fois renoncé à présenter un dossier, jugeant qu'il n'était pas tenable en l'état. Le deuxième effet est de sécurisation. Les décisions de cession sont susceptibles de recours. Le juge administratif est appelé à se déterminer sur le moyen de l'erreur manifeste d'appréciation. Or, le ministre n'a pas à motiver ses décisions de cession, si bien que dans les quelques cas où le Conseil d'Etat a été appelé à se prononcer, ce sont souvent les éléments fournis par la Commission qui l'ont convaincu qu'il n'y avait pas d'erreur manifeste.

Quel est le coût de notre intervention ? J'ai quelque scrupule à le dire, mais nous ne coûtons pas cher. Notre budget de fonctionnement est d'environ un million, un quart de la dépense, cela vaut de le préciser, étant lié à la décision de nous loger dans le même bâtiment que le Conseil d'Etat, rue de Richelieu. La rémunération de nos membres, plus importante que dans d'autres AAI, se justifie par notre mode de fonctionnement. Nous sommes un collège d'experts, au sens où l'entend le Conseil constitutionnel dans les termes que j'ai rappelés. Nous avons individuellement le devoir d'examiner chaque dossier dans tous ses éléments et de nous prononcer en usant de notre capacité propre d'expertise. Le régime d'incompatibilités étendu qui s'impose à nous a cette conséquence que nous n'avons pas, le plus souvent, d'autre activité économique. Alors qu'une AAI comme l'Autorité des marchés financiers a besoin de compter des représentants des milieux économiques, qui assurent la transmission entre les intervenants et l'Autorité, c'est tout le contraire pour nous.

Quelles sont les évolutions en cours ? L'ordonnance de 2014 a, je l'ai dit, simplifié notre intervention, et le projet de loi « Macron » prévoit d'ajouter quelques éléments qui n'avaient pas pu y prendre place en vertu des termes de la loi d'habilitation. D'où son article 45, qui introduit des modifications substantielles non pas tant pour assurer l'indépendance de la Commission, qui n'a jamais été mise en cause, que pour répondre à la théorie des apparences, qui est désormais la règle en la matière et qui impose, à côté de l'exigence de parité déjà par la loi, que les mandats ne soient pas renouvelables.

Je m'en tiens là pour laisser place à vos questions, en m'excusant auprès du rapporteur de n'avoir encore renvoyé qu'une réponse partielle à son questionnaire, que je complèterai prochainement. C'est la rançon de nos moyens limités : nous sommes une toute petite maison.

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