La réunion est ouverte à 14 h 05
Nous recevons avec joie notre ancien collègue M. Patrice Gélard, auteur de nombreux rapports sur les Autorités administratives indépendantes (AAI), dont le premier en juin 2006 pour l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, où il était question « d'objet juridique non identifié ». Monsieur Gélard, vous avez le sens de la formule ! Ce rapport reposait sur deux études universitaires, l'une générale menée par Mme Marie-Anne Frison-Roche et l'autre de droit comparé, par M. Jean-Marie Pontier. Votre rapport fait largement autorité et il a eu un immense mérite : pour la première fois le Parlement s'interrogeait sur cette question.
En juin 2014, vous avez fait le bilan huit ans après, avec un résultat saisissant. Le nombre des AAI a augmenté et leurs formes se sont diversifiées, à tel point qu'il est difficile d'en faire une liste précise. Vous présentiez deux pistes : dresser cette liste ; définir un statut général applicable. Vous avez déposé une proposition de loi et une proposition de loi organique en septembre 2014, dont le président Sueur a accepté d'être co-auteur afin d'éviter leur caducité après votre départ du Sénat. Nous reprenons aujourd'hui le flambeau !
Avec humilité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrice Gélard prête serment.
Je dois vous l'avouer : depuis que je ne suis plus sénateur, je suis devenu membre d'une autorité administrative indépendante (AAI), la Commission nationale d'aménagement commercial.
J'ai ainsi découvert qu'elle me coûtait plus qu'elle ne me rapportait, que nous y travaillions beaucoup et que nous étions hébergés par le ministère de l'économie et des finances dont nous sommes indépendants - jusqu'à un certain point. J'ai été surpris d'être soumis à une déclaration d'intérêts, alors que tous les membres représentent par construction des intérêts : communes, départements, ou assemblées parlementaires.
Le nombre d'AAI augmente mais elles se camouflent de plus en plus, sous des appellations diverses telles qu'autorité publique indépendante, ou des statuts différents : constitutionnel comme le Défenseur des droits, ou législatif, mais à un degré variable, certaines relevant de décrets pour de nombreux aspects.
Le problème de la logistique n'est en général réglé ni par la loi, ni par le règlement. Les locaux, d'abord, dont certains coûtent très cher à la location : or toutes les AAI veulent être au centre de Paris. L'idée est apparue d'un regroupement de toutes les AAI - ce qui n'est pas forcément une bonne solution, car certaines méritent une vitrine propre, comme le Défenseur des droits. Le personnel, ensuite, qui donne lieu à un mélange des genres impressionnant : fonctionnaires détachés ou pseudo-détachés, c'est-à-dire cumulant l'avancement dans leur corps d'origine et avantages spécifiques à l'AAI où ils travaillent. Il y a des économies de moyens à faire, par exemple en évitant qu'il y ait une voiture et un chauffeur par autorité. Il faudra réfléchir sur le statut du personnel, dont les liens avec les ministères risquent de porter atteinte à l'indépendance des membres eux-mêmes, car ces agents préparent le travail, rédigent les décisions, comme au Conseil Constitutionnel où l'influence du secrétaire général est bien connue.
Le nombre des AAI pose problème, mais aussi leur indépendance. Le statut des membres désignés par l'Assemblée nationale, le Sénat ou les collectivités territoriales varie considérablement. Certains sont bénévoles ou presque : pour ma part, chaque séance me coûte 100 à 150 euros nets, et je devrai en plus payer des impôts sur les maigres indemnités que je perçois ! Il n'en va pas de même partout... Si les fonctions sont lourdes, la rémunération est indispensable, mais elle ne doit pas être trop élevée. Il faudra légiférer sur ce point.
Certaines AAI ont des réseaux locaux, comme le Défenseur des droits ou le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Certaines n'en ont pas et ignorent dès lors ce qui se passe sur le terrain - elles n'en ont pas les moyens, parfois pas le désir. Cette anomalie doit être étudiée à la loupe. La question fondamentale reste : pourquoi l'État multiplie-t-il avec la complicité des parlementaires le nombre des AAI ?
Il y en a de plusieurs sortes : celles qui bénéficient de ressources propres, et s'assurent ainsi une indépendance financière dont ne peuvent se prévaloir les autres, pas même le Défenseur des droits ; celles qui peuvent infliger des sanctions et celles qui ne nuisent à personne - je ne crois pas, personnellement, que le statut d'AAI pour ces dernières, soit utile. Les gouvernements ont profité de l'institution des AAI pour se désengager officiellement, disant : ce n'est plus mon problème, si cela tourne mal, je ne suis plus engagé. En réalité, l'Etat les contrôle toujours, puisqu'il les finance et nomme leurs membres.
Il faudrait s'interroger sur leur utilité. Certaines sont indubitablement nécessaires : le Défenseur des droits est un des éléments constitutifs de la démocratie, comme la Cnil. D'autres sont superfétatoires, comme cette AAI logée à la Banque de France, alimentée par elle, dont le président est le gouverneur et dont tous les membres sont nommés par la Banque de France... C'est une commission interne à la Banque de France, non une AAI ! Toute administration doit avoir un médiateur, mais il n'est pas nécessaire qu'il lui soit extérieur. Les AAI qui ne donnent que des avis devraient être des commissions internes. Il faudrait aussi prolonger l'étude comparative avec l'étranger, pour déterminer les structures qui existent par obligation européenne, dans tous les Etats membres - mais là aussi, d'autres formules sont peut-être à inventer.
Vous concluez en vous interrogeant sur l'utilité de chacune d'entre elles : auriez-vous l'amabilité de répondre à cette interrogation ?
C'est une interrogation de pure forme : je pense que 80 % d'entre elles devraient disparaître, en étant fusionnées, remplacées ou remises à leur place de commission interne.
Nous avons été confrontés au même problème lorsque nous avons créé le Défenseur des droits. Les responsables de deux institutions fusionnées se sont changées en tigresses, pour défendre sinon leurs petits, du moins leur institution. La loi de Parkinson s'applique...
Vous êtes membre d'une AAI : je ne vous demanderai pas si elle est utile.
Elle le sera tant qu'il n'y a pas de schémas de cohérence territoriale (SCOT) sur tout le territoire. Ensuite, les litiges pourront être réglés par les tribunaux.
Le curriculum vitae des membres des différentes AAI révèle qu'ils sont tous des représentants de ce que je n'ose appeler une nomenklatura ; du moins, ils présentent un certain profil, voire un profil certain. Ils siègent parfois dans plusieurs AAI, tout en ayant des fonctions dans les grands corps de l'État et exerçant des missions diverses...
L'État a gardé bien des aspects de ce qu'il était sous le Consulat et l'Empire. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose : nous y gagnons une bonne organisation. Je ne parlerai pas de nomenklatura, mais d'une aristocratie du pouvoir.
Je pense aux bénéfices ecclésiastiques de l'Ancien Régime. De nos jours, dans cette église sans Dieu, ces gens sont tous les mêmes, ils se marient entre eux, viennent des mêmes écoles, du même milieu.
Vous oubliez le mérite. Le tour extérieur est là pour le récompenser. Bien des conseillers d'État nommés au tour extérieur, comme Erik Orsenna, le méritent amplement.
Nous ne remettons pas en cause la compétence de la haute fonction publique ; nous nous demandons s'il est sain que presque tous les membres des AAI en soient issus, d'autant plus qu'elles se multiplient.
Ils sortent tous du même moule, avec au surplus des nominations à caractère politique : cela saute aux yeux si l'on compare celles qui ont été prononcées par l'exécutif avant et après l'élection présidentielle...
Nous ne sommes pas capables d'assumer en même temps les fonctions d'adjoint au maire d'une commune de 15 habitants et celles de parlementaire, mais les membres d'AAI sont particulièrement compétents, ils peuvent participer à de nombreuses instances qui auraient chacune besoin de leur présence.
Cela ne fait-il pas partie des caractéristiques des hauts fonctionnaires, au-dessus d'un certain niveau, d'être interchangeables ? L'activité des juges administratifs, l'activité de conseil juridique d'un conseiller d'État se réduisent avec l'ancienneté. C'est que l'État doit avoir des représentants partout. Il en va de même au Medef : ses dirigeants siègent au conseil d'administration de nombreuses entreprises...
Certains sont membres de conseils d'administration d'entreprises publiques. Les grands corps peuvent-ils fournir autant de travail et de compétence ?
Certaines demandent un engagement très lourd, comme la Cnil, alors que d'autres se réunissent une fois par trimestre. Celle à laquelle j'appartiens siège une fois par semaine, car nous devons rattraper le retard accumulé pendant trois mois, faute d'une nomination. L'État a un nombre trop limité de responsables pour que les tâches n'incombent pas toujours aux mêmes, on le voit dans les cabinets ministériels ou d'autres fonctions. Le vivier - exclusivement parisien - devient trop étroit.
Un tiers des magistrats à la Cour des comptes y siège vraiment : tous les autres sont dans la nature !
Vous dites que 80 % des AAI ne se justifient pas. Si notre rapport arrivait à la même conclusion, quelles pourraient en être les recommandations pour les 20 restantes ?
Les nominations ne devraient pas être renouvelables. Les AAI devraient avoir des garanties financières d'indépendance : aujourd'hui, une de leurs préoccupations majeures est d'allier mendier chaque année leur budget. Elles devraient également être placées, comme le Gouvernement, dont elles sont des démembrements, sous le contrôle permanent du Parlement.
J'apprécie particulièrement vos propos. Les rémunérations sont très variables : en 2010, elles étaient comprises entre 30 000 et 300 000 euros ! Patrice Gélard explique qu'elles peuvent se cumuler, puisqu'on peut être membre de plusieurs d'entre elles et percevoir également une retraite de la fonction publique. À une époque où la sensibilité du public est très forte sur ces questions - nous, élus, y sommes confrontés souvent - la commission d'enquête devrait pourvoir disposer de chiffres actualisés et ce, pour l'ensemble du personnel. Nous devrions aussi réfléchir à un statut homogénéisé et à la nécessité absolue d'un contrôle permanent du Parlement.
Ces points figurent dans le questionnaire que j'ai adressé aux AAI ; nous veillerons à obtenir des réponses précises.
J'apprécie la parole - indépendante, sans aucun doute - du doyen Gélard. Si 80 % des AAI devaient être rattachées aux ministères, il en resterait donc huit à neuf. Puisqu'il est difficile de mesurer leur indépendance, pourquoi ne pas toutes les supprimer ? Quels seraient les obstacles ? Quel est le nombre des AAI qui existent par obligation européenne ?
Le regroupement, en projet, de plusieurs AAI dans des locaux communs produira des économies. Nous ne pouvons pas rattacher aux ministères le Défenseur des droits, la Cnil ou le CSA. L'indépendance d'organismes de ce type est importante pour la démocratie. En revanche, l'agence de lutte contre le dopage n'a pas à être une autorité indépendante.
C'est souvent un argument pour justifier l'existence de l'institution que l'on dirige. Mais, selon moi, une seule peut s'en prévaloir.
Les AAI sont de deux types : celles qui ont pour but d'améliorer la liberté, en donnant des recours au citoyen ; celles qui ont pour but de faire croire qu'il y a de la concurrence là où il n'y en a pas.
Ma question vous paraîtra peut-être naïve ; les AAI ont été créées pour défendre les grandes libertés publiques, ce qui exigeait l'indépendance. Elles semblent aujourd'hui constituées pour faciliter le désengagement du Gouvernement. L'indépendance est garantie par la neutralisation des membres, comme au Conseil constitutionnel, grâce à la diversité des nominations. Ce n'est pas le cas des médiateurs, par exemple. La collégialité garantit-elle l'indépendance ?
L'État veut se désengager, ou plutôt donner l'impression qu'il le fait sur des dossiers sensibles, avec une indépendance de statut, mais pas de fonctionnement. Il reste à la manoeuvre.
Les médiateurs ou le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sont seuls, mais leur indépendance est assurée par l'impossibilité d'être nommés deux fois. Voyez le cas de M. Delarue : personne n'aurait songé à discuter son indépendance ! Le Défenseur des droits n'est pas si seul : il est assisté de trois collèges. La collégialité ne doit pas donner lieu à des modalités trop compliquées, qui s'additionnent - parité entre hommes et femmes, respect du pluralisme entre majorité et opposition, équilibre intérieur et extérieur - et rendent la vie impossible. L'Autorité où je siège compte quatre hauts fonctionnaires, des personnalités qualifiées dont une nommée par le président de l'Assemblée nationale et une par celui du Sénat, avec leurs deux suppléants, qui doivent être de l'opposition et du sexe opposé, et quatre représentants des départements, des communes, des régions et des intercommunalités. Il n'a pas été explicitement prévu que leurs fonctions cessent avec la fin du mandat électif : le représentant des départements se demande s'il est toujours membre ou non !
Jean-Pierre Sueur et moi ne voulions pas que soient inclus dans le collège des représentants des collectivités locales, défendant surtout leur collectivité. Les collèges du Défenseur des droits sont composés d'experts intelligemment choisis. Dans tous les cas, c'est la compétence qui doit l'emporter, non le sexe.
Vous semble-t-il sage que des membres d'AAI disposant de pouvoirs très importants, dans le domaine économique notamment, puissent être nommés administrateurs de grandes sociétés cotées en bourse ?
C'est comparable à l'ouverture de la profession d'avocat aux parlementaires.
Je ne veux pas faire de procès d'intentions ; mais est-ce raisonnable ?
C'est une réalité récente. Certaines AAI ont des pouvoirs de sanction, leurs décisions peuvent être soumises au contrôle du Conseil d'État ou de la Cour de cassation ; cela n'est-il pas gênant qu'y siègent des membres de ces juridictions ?
Je me demande si nous ne pourrions pas rebaptiser les AAI des autorités administratives interdépendantes ? Quelle forme pourrait prendre le contrôle parlementaire ?
Nous avons obtenu depuis 2006 que les AAI rendent compte devant les commissions compétentes du Parlement - seules deux ou trois d'entre elles ne le font pas. Nous avions pensé à l'établissement d'un commissaire du gouvernement au sein de chacune d'elles, mais cela n'a pas été mis en place dans plus de quatre ou cinq. Un représentant du Parlement pourrait enquêter sur place et sur pièces, comme le fait aujourd'hui la commission des finances. Il faut surtout établir un rapport de confiance. M. Delarue, ainsi, venait régulièrement nous rendre compte, sans se plaindre du montant de ses crédits. Ce n'est pas difficile : se voir une fois par trimestre...
J'ai rencontré de nombreux responsables d'AAI qui relèvent du Premier ministre. Ne pourrait-on pas regrouper le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui agissent dans un domaine comparable ?
Lorsque j'étais rapporteur sur le projet de loi relatif au Défenseur des droits, j'étais partisan de cette fusion. Mais je m'étais heurté à une résistance très active, qui tenait à la personnalité de M. Delarue : une fusion aurait pu paraître le désavouer. Si nous la faisions maintenant, cela pourrait passer pour un procès a posteriori contre lui. Mais au fond, je suis d'accord avec vous. La différence entre leurs tâches n'est pas un bon argument car le Défenseur entend comme le Contrôleur des gardiens et des détenus.
La mesure passera mieux, psychologiquement, s'il ne s'agit pas du seul regroupement.
Je veux rendre hommage à M. Delarue, un homme exceptionnel, dont la mission était très difficile. Le Défenseur des droits pourrait récupérer tout le réseau du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Sa personnalité exceptionnelle a justifié la position de la commission des lois.
La situation de free lance du Contrôleur représente un avantage dans ce type de situation. Je craignais, à l'époque où l'on envisageait un regroupement, que l'essentiel finisse par disparaître.
Le nombre d'AAI évolue au rythme d'une création par an au moins. Dans le projet de loi Macron, l'Autorité de la concurrence voit son champ d'action considérablement étendu, y compris vis-à-vis des professions juridiques. Est-ce une conséquence des dispositions européennes ? Est-ce souhaitable ?
Cette évolution, ni souhaitable ni due à des obligations européennes, est une solution de facilité pour le Gouvernement, qui se dégage de certaines responsabilités sur des organismes apparaissant comme indépendants.
Je remercie M. Gélard dont l'audition a été très importante pour la commission, comme ses rapports, qui constituent une base de travail formidable.
Puis, la commission auditionne M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence.
La commission d'enquête reçoit M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, afin de poursuivre sa revue exhaustive des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. L'Autorité de la concurrence est une AAI qui veille au libre jeu de la concurrence et apporte son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés aux échelons européen et international. Elle a remplacé le Conseil de la concurrence créé en 1986, avec des pouvoirs élargis en matière d'enquête, en application de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie et de l'ordonnance du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence. Le collège compte 17 membres, dont le président, nommés pour cinq ans par décret. Le président de l'Autorité, choisi pour ses compétences juridiques et économiques, est nommé par le président de la République selon la procédure de l'article 13 de la Constitution.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Lasserre prête serment.
L'Autorité de la concurrence est l'héritière du Conseil de la concurrence, créé sous l'impulsion de M. Balladur lors de la libération des prix, comme contre-pouvoir, afin de vérifier que les entreprises ne s'entendaient pas pour augmenter artificiellement les prix. La loi de modernisation de l'économie a remplacé le Conseil de la concurrence par l'Autorité de la concurrence en 2009. Je salue le rôle qu'a alors joué le Sénat : le texte prévoyait une ordonnance mais M. Gérard Larcher, rapporteur, a par amendement dessiné les contours de la nouvelle institution directement dans la loi.
L'Autorité de la concurrence exerce une compétence générale. Nous surveillons le respect des règles du jeu dans toute l'économie, sans aucune exception. Cette compétence générale se renforce à mesure que la régulation ex ante se réduit. L'Autorité partage ce rôle avec la Commission européenne, qui lui confie de plus en plus de dossiers européens, dans un effort de subsidiarité.
Cinq des dix-sept membres du collège sont permanents, dont le président. Les douze autres, juges, professeurs de droit ou d'économie, ou personnalités exerçant des responsabilités dans le monde économique, ne siègent que pour les séances auxquelles ils sont invités. La séparation des fonctions garantit l'impartialité de la décision finale. L'instruction d'une part et la décision finale du collège délibérant d'autre part sont strictement distinctes.
La première compétence de l'Autorité de la concurrence est de vérifier que les entreprises respectent les règles du jeu du droit commun de la concurrence. La loi nous habilite à sanctionner les comportements illicites, pour un montant pouvant s'élever à 10 % du chiffre d'affaires mondial du groupe dont l'entreprise relève. Un réseau européen des autorités de la concurrence a été créé depuis 2004 et les affaires d'entente ou d'abus de position dominante, telles que l'enquête sur le moteur de recherches Google, sont réparties entre la Commission et les diverses autorités nationales. L'autorité française est la plus active, elle a enquêté sur 236 cas depuis le 1er mai 2014, proche des 281 cas de la Commission européenne, et 112 décisions ont été prises sur le fondement du traité européen.
Nous croyons à la dissuasion : les ententes entre entreprises concurrentes endommagent l'économie, augmentent artificiellement les prix et affaiblissent la compétitivité de pans entiers de l'industrie. Nous exerçons notre rôle avec fermeté mais avec une individualisation de la sanction, afin de proportionner celle-ci aux capacités contributives des entreprises. Le montant total des amendes a dépassé le milliard d'euros l'an dernier, avec un taux de recouvrement de 99 %. Cette somme finance les missions d'intérêt général de l'État. Parallèlement aux sanctions, nous pouvons négocier des solutions et inviter les entreprises à prendre des engagements. L'an dernier, pour citer des affaires qui ont eu un impact sur la vie quotidienne, obligation a été faite à Nespresso d'ouvrir le marché des capsules de café ; nous avons rétabli la liberté tarifaire des hôteliers, le rapport de force est à présent plus équilibré vis-à-vis de Booking.com. Nous avons simplifié la vie des Français et donné des chances à des entreprises nouvelles.
Notre deuxième compétence porte sur le contrôle des structures. Nous examinons tous les projets de fusion et de rachat soumis par les entreprises. Sur 200 notifications par an, une centaine reçoit une réponse simplifiée en moins de quinze jours. Nous n'avons jamais refusé de fusion ou de rachat mais subordonnons parfois notre feu vert à certaines conditions - ce fut le cas dans 5 à 10 dossiers - en cas de fusion de chaînes de distribution par exemple.
Douze personnes travaillent sur ces 200 dossiers, soit l'effectif que la Commission européenne affecte à une seule opération. La situation est d'autant plus tendue que de plus en plus de dossiers européens sont renvoyés vers nous, comme le rachat de Dia par Carrefour, la vente des cliniques du pôle Générale de santé, de Total Gaz, Monsieur Bricolage...
La troisième activité est consultative. L'Autorité mène des enquêtes sectorielles pour formuler des recommandations au Gouvernement ou au Parlement, ou pour adresser des signaux aux entreprises. Ces travaux ont notamment porté sur les autoroutes, sur le regroupement des centrales d'achat - à la demande du Sénat -, sur le processus de normalisation et de certification, sur le marché de la publicité en ligne ou sur le statut des gares. Certains de nos avis ont inspiré des travaux législatifs, à l'image de la disposition du projet de loi Macron sur les autocars. Nous sommes très attachés à cette activité de proposition et de conseil.
L'effectif total de l'Autorité de la concurrence est de 180 personnes - ceux des régulateurs sectoriels sont souvent plus importants - pour un budget de 19,5 millions d'euros, ce qui est peu comparé à nos homologues européens.
Le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques attribue de nouvelles responsabilités à l'Autorité de la concurrence, lui demandant expertise et avis sur les tarifs des professions juridiques et la cartographie des besoins en la matière afin de déterminer les conditions d'entrée. Nous n'en avons pas les moyens ! De nouveaux pouvoirs lui sont également attribués dans le secteur de la distribution, où l'activité de l'Autorité croît avec la reprise économique qui fait éclore de nouveaux projets de fusion ou de rachat. Le nombre de plaintes, très souvent assorties de mesures conservatoires à examiner en trois ou quatre mois, a doublé entre 2013 et 2014.
L'Autorité s'est aussi vu attribuer de nouvelles compétences outre-mer, où elle est très active, tandis que la promesse publique d'augmenter ses moyens n'a pas été tenue. Nos moyens sont en régression.
Le doyen Gélard, qui a déposé un rapport et une proposition de loi sur les AAI, a estimé que 80 % d'entre elles pourraient être supprimées. En faites-vous partie ? Toutes les AAI se plaignent de leurs moyens. Qu'apporte une AAI dans le domaine de la concurrence ?
Il n'existe pas une économie de marché au monde qui n'ait son autorité de la concurrence. Si vous voulez la jungle, c'est-à-dire des réunions secrètes d'entente sur les prix entre les entreprises, supprimez-la.
En 1953 est née la Commission technique des ententes et des positions dominantes. Son rôle n'a jamais été remis en cause, mais au contraire réaffirmé par les majorités successives. La sanction appelle une certaine distance. Avant 1986, le ministre n'exerçait jamais le pouvoir de sanction dont il jouissait. En outre, la Commission européenne se chargera de ces tâches si nous ne les traitons pas.
Vous considérez qu'il est légitime et utile que vous disposiez de plus en plus de compétences.
Il ne s'agit pas de notre choix mais de celui du législateur.
L'Autorité de la concurrence a publiquement soutenu le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, notamment en ce qui concerne les dispositions relatives aux professions réglementées, sur lequel vous vous voyez attribuer de nouvelles compétences. Le Parlement n'en arrive-t-il pas à écrire la loi sous les fortes incitations de l'Autorité de la concurrence ?
Notre avis sur les professions juridiques a été rendu en janvier, après la prise de position du Gouvernement. Sur les tarifs, l'ordonnance de 1986 disposait que le prix est fixé par le Gouvernement après avis du Conseil, devenu Autorité de la concurrence, en l'absence de libre jeu de la concurrence. C'est le cas de toutes les professions réglementées du droit, qui jouissent de monopoles. Il est normal que leurs tarifs soient fixés selon cette procédure de droit commun. Nous avons cette compétence de manière générale, et l'avons exercée récemment sur les prix des courses de taxi entre les aéroports parisiens et Paris.
Est-il opportun qu'une AAI intervienne publiquement au cours du débat parlementaire ?
La loi interdit le refus d'émettre un avis. Le Gouvernement nous l'a demandé, nous ne nous sommes pas autosaisis. Non seulement l'Autorité n'est pas intervenue, mais j'ai découvert après coup cet arbitrage gouvernemental. Telle est la stricte vérité.
Non, nous ne les avons pas. Nous ne disposons pas d'antennes locales collectant des données pour établir une cartographie. Une vision plus distante des opérateurs, plus économique, n'est toutefois pas inutile. La structure des tarifs des notaires n'a pas changé depuis trente ans, or le coût de revient de ces services a beaucoup évolué.
Je n'ai pas à prendre parti sur l'arbitrage. Il a été rendu.
Il a même été question que vous ayez un regard avisé sur les avocats au Conseil...
Je voudrais qu'on cesse de m'accuser de revendiquer des pouvoirs. J'ai appris l'existence de cet amendement par notre avocat au Conseil d'État, ce qui est presque un manque de considération. Personne n'a pris la peine de m'appeler au téléphone.
Arrêtons de présenter l'Autorité de la concurrence comme étant boulimique de pouvoir. Notre institution est fragile, personne n'exercera son coeur de métier à sa place, et elle a besoin de davantage de moyens pour bien l'exercer.
Si tel était le cas je serais très préoccupé. Nous sommes les seuls à pouvoir détecter des cartels secrets et répondre aux plaintes qui nous sont adressées. S'il fallait distraire des ressources consacrées au coeur de nos missions pour répondre à ces activités de sous-traitance, la régulation de la concurrence en souffrirait.
L'Autorité de la concurrence étant généraliste, quel est l'intérêt de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), par exemple ?
Les missions des autorités sectorielles sont plus larges, aménagement du territoire, qualité du service, activité de règlementation. L'Arcep attribue les fréquences hertziennes, par exemple. Avec le développement de la concurrence, il serait logique de démanteler les instruments les plus interventionnistes de la régulation pour faire confiance au droit commun, lorsqu'une industrie se banalise. Nous recevons de plus en plus de plaintes dans les secteurs régulés, or nous n'avons pas les moyens correspondants. Nos relations sont bonnes avec ces autorités sectorielles, elles nous apportent leur expertise, notamment lors de l'examen de fusion ou de rachats. Inversement, elles peuvent nous consulter ou nous alerter grâce à leur activité de veille. Nous collaborons particulièrement avec les autorités des secteurs des télécoms, de l'énergie et de l'audiovisuel.
Nous n'avons pas encore fait directement usage de ce pouvoir interventionniste, que nous détenons actuellement seulement pour l'outre-mer. Si dans une zone, une chaîne de distribution détient une position dominante, plus de 50 % des parts de marché et des prix supérieurs à la moyenne, nous demandons d'abord des engagements, sur le dénouement d'accords d'achats communs par exemple. L'arme ultime de la cession d'actifs n'est pas la seule solution.
Nous avons été contrôlés trois fois par la Cour des comptes, mais aussi par l'Assemblée nationale en 2010, pour le rapport de MM. Dosière et Vanneste.
L'Autorité de la concurrence est hébergée dans trois bâtiments du 1er arrondissement de Paris. Beau quartier, mais nous n'avons pas les moyens de regrouper tous nos services comme nous le souhaiterions : les loyers ayant été bien négociés, ils sont très compétitifs. Nous avons confié notre cas à France Domaine, qui a négocié de nouveaux baux.
Je ne serais pas le premier à me plaindre que vous m'emmeniez à Bordeaux.
Vous avez beaucoup de travail, de compétences, de responsabilités. À quoi sert la direction ministérielle de la concurrence et de la consommation, qui se plaint d'un manque de moyens ? Elle dispose de directions régionales. Quelles sont vos relations ?
Cela a-t-il un sens de vouloir établir de la concurrence, alors que c'est impossible ? La régulation administrative ne serait-elle pas plus efficace ? Ne fait-on pas face à une illusion de marché ? On pourrait aussi parler des agissements de la grande distribution avec leurs fournisseurs et leurs sous-traitants.
Le rôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a changé en 2009, puisque certaines des attributions du ministre ont été transférées à l'Autorité de la concurrence, comme le pouvoir de statuer sur les fusions et les rachats. Elle dispose principalement de pouvoirs de protection du consommateur et aide le ministre à préparer les projets de loi et plus généralement à construire les politiques publiques. Depuis 2009, la DGCCRF dispose d'un pouvoir d'injonction et de transaction sur les ententes très locales, sur les ambulanciers par exemple.
Un commissaire du gouvernement de la DGCCRF, représentant le ministre, donne son avis à l'Autorité de la concurrence. À titre personnel, je défends cette transparence.
Monsieur Collombat, votre question est complexe, philosophique. On croit ou non à l'économie de marché. La France a fait ce choix. La formule de l'ordonnance de 1986 veut que l'État ne soit plus « le gérant de l'économie, mais le garant de la liberté des acteurs économiques ». Dans le passé, tous les prix étaient réglementés. La situation actuelle est celle de la liberté, bordée par une ligne jaune. Si nous n'avions pas de régulation, l'économie de marché mènerait à une loi de la jungle dont pâtiraient les petites et moyennes entreprises.
La rémunération varie à l'extrême selon les AAI. Comment fixez-vous les rémunérations ? En 2010, elles étaient, selon mes informations, de 183 000 euros pour le président, 125 967 euros pour les vice-présidents, et de 100 756 à 131 555 euros pour les cinq agents les mieux payés. Comment, depuis, a évolué la grille des rémunérations ?
Les transferts de compétences aux AAI se multiplient, or elles n'ont pas à répondre de leurs actes devant le citoyen de base. Est-ce démocratique ? Vous évoquez 1 milliard d'euros d'amendes sur les entreprises. Mais combien de faillites et de suppressions d'emplois ? Les contrats autoroutiers ont été passés au nom de l'État par le gouvernement de l'époque et les concessions autoroutières. Vous êtes bien une autorité indépendante de la concurrence, indépendante de tous. Aucune collectivité territoriale n'aurait pris autant de risques, surtout sans disposer de toutes les informations. Une clause de revoyure, a minima, aurait dû être ajoutée. Le rapporteur dit souvent que les AAI sont composées de l'élite française. Comment a-t-on pu laisser passer de tels contrats ?
Je déteste le mot d'élite. Je n'ai jamais voulu appartenir à une coterie, je n'ai jamais appartenu à un parti politique ni à un cabinet ministériel. J'ai fondé ma carrière sur la compétence. Je ne voulais pas prolonger mes fonctions pour un troisième mandat, le Gouvernement me l'a demandé. Je suis passé par les procédures normales et j'ai reçu un avis favorable à l'unanimité des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le pouvoir est dans la main du Parlement, il n'est pas accaparé.
Les membres du collège sont dix-sept, dont cinq permanents. La rémunération du président et des vice-présidents dépend de la loi, qui fixe l'indice, et d'un décret de 2003, modifié en 2009, contresigné par les ministres des finances et du budget, qui fixe les montants. Je n'ai pas le sentiment que l'Autorité de la concurrence soit mieux traitée que d'autres AAI. Depuis 2010, le point d'indice est gelé et les rémunérations n'ont donc pas changé.
Ma rémunération est d'environ 14 800 euros nets par mois.
Les douze membres non permanents sont payés à la vacation, pas très chèrement, en fonction du temps travaillé. Nous vous fournirons par écrit le détail de la rémunération de chacun. En tout, la somme représente pour eux environ 30 000 euros par an.
Les entreprises qui ont principalement contribué au versement des sanctions sont Procter & Gamble, Unilever, Colgate, Palmolive, L'Oréal, etc. Pensez-vous que nous avons mis en danger l'emploi dans ces entreprises ?
Au sujet des autoroutes, de grâce ! Nous avons-nous-mêmes regretté l'absence de clause de revoyure, lorsque l'Assemblée nationale nous a commandé un avis. Le Conseil de la concurrence n'avait pas été consulté lors de la privatisation des autoroutes en 2006. Il a, in extremis en décembre 2005, mis en garde le gouvernement de l'époque contre l'attribution de ces marchés à des groupes de travaux publics intégrés tels que Vinci et Eiffage, pointant le risque d'attribution des travaux à des filiales, à des prix élevés, répercutés sur les tarifs des péages. Le cahier des charges a été modifié au dernier moment pour imposer la mise en concurrence.
Les hauts fonctionnaires sont plus intelligents chez vous que dans les ministères.
Considérez-vous qu'il soit sain que des membres d'une AAI acceptent de siéger dans un nouveau conseil d'administration après avoir été nommés à l'Autorité de la concurrence ?
Nous avons une charte de déontologie et les membres du collège ont l'obligation, depuis la loi relative à la transparence de la vie publique, de fournir une déclaration annuelle, afin de prévenir tout conflit d'intérêts. Selon la loi de modernisation de l'économie, certains sont des personnalités du monde économique. Nous avons une pratique de fer sur les conflits d'intérêts. Je vous mets au défi de produire une seule critique qui aurait pu être formulée contre nous à ce sujet ! Par exemple, la secrétaire générale d'un important groupe français ne siègera jamais sur une affaire concernant de près ou de loin son secteur. La participation à un conseil d'administration exclut toute prise de position de l'intéressé sur ce secteur.
Je crois à une honnêteté majoritaire dans ce pays. Je ne voue pas les élites aux gémonies. Mais je ne crois pas que l'entrée au conseil d'administration d'une société autoroutière d'une personne auparavant nommée à l'Autorité ou au Conseil de la concurrence soit une bonne chose.
La situation est compliquée pour une autorité généraliste, quand la loi impose que des membres du collège soient issus du monde économique.
C'est une chose de nommer des personnalités du monde économique, choisies pour cette appartenance, et c'en est une autre d'accepter de siéger à un conseil d'administration postérieurement à sa nomination à l'Autorité de la concurrence.
L'Autorité des marchés financiers, la Commission de régulation de l'énergie, l'Arcep siègent en collège plénier. L'Autorité de la concurrence, jamais. Les formations du collège réunissent cinq ou six personnes et je veille à ce qu'il n'existe aucun conflit d'intérêts.
Ces collèges sont toujours placés sous la responsabilité d'un membre permanent.
Le rapport de l'Autorité de la concurrence sur les autoroutes a fait grand bruit et quelque peu discrédité les fonctionnaires de l'État. Ne craignez-vous pas que ceux-ci désormais se couvrent systématiquement en demandant un rapport à l'Autorité de la concurrence avant même de signer une concession ou un contrat ?
Ne pouvez-vous pas améliorer votre budget avec le produit des sanctions que vous infligez ?
Nous serions opposés à l'utilisation de l'Autorité de la concurrence comme une couverture, d'autant que nous ne disposons pas toujours de l'expertise et souffrons de moyens limités. La loi impose parfois notre avis préalable, dans le secteur des jeux par exemple. Nous avons été invités par l'Assemblée nationale à donner notre avis sur les conséquences de la régulation des péages autoroutiers. Notre avis a été émis ex post dans le sillage de la Cour des comptes. Je verrais avec inquiétude l'État nous faire valider à l'avance des négociations complexes.
Il est impossible de jouir directement du produit des amendes que nous infligeons, celui-ci allant au budget général de l'État au risque d'être accusé de faire du zèle. L'écart est en effet très grand entre nos 19,5 millions d'euros de budget et ce milliard d'euros. Ce montant dit assez les moyens illimités que met en oeuvre une entreprise qui risque des centaines de millions d'euros d'amende. En face, l'Autorité de la concurrence utilise ses propres forces, alors qu'il peut y avoir jusqu'à huit questions prioritaires de constitutionnalité dans une seule affaire. Nous n'avons pas les moyens de financer un avocat près la Cour d'appel de Paris. Nous écrivons nous-mêmes les mémoires devant le Conseil d'état.
En 2010, nous avons infligé une amende de 350 millions d'euros aux 11 principales banques françaises. Lors de la création de l'euro, elles avaient changé de système de compensation des chèques, en passant d'un dépôt matériel dans les succursales à une lecture optique. Elles avaient gagné en temps et en coûts administratifs, mais avaient décidé ensemble d'imposer une commission sur chaque chèque, répercutée sur les clients. En 2007, nous avons ouvert une enquête, leur demandant quelle était la justification de cette commission ; en trois semaines, elles l'avaient supprimée. Pour faire annuler l'amende par la Cour d'appel de Paris - ce à quoi elles sont parvenues, même si ensuite, la Cour de cassation nous a donné satisfaction - elles avaient consacré au dossier 20 millions d'euros, soit l'équivalent de notre budget annuel ! Il n'est pas facile d'être à la hauteur.
De certaines d'entre elles...
Très peu, quatre ou cinq par an seulement, mais il s'agit des affaires les plus lourdes, avec en face les meilleurs avocats de Paris, et des budgets illimités.
Rarement. Les sanctions sont parfois réduites. Nous vous enverrons les chiffres exacts par écrit. En 2014 - mais bien des contentieux ne sont pas réglés - elles étaient confirmées à 85 %.
Oui, pour la plupart.
Je reste préoccupé. Dans une société qui fonctionne de plus en plus à l'anglo-saxonne, où le droit devient un atout dans les batailles, les entreprises consacrent à ce poste des moyens financiers très importants. Il y a là un enjeu de pouvoir, et l'Etat est faible face à cette réalité.
Est-il sage de vous confier la régulation des professions réglementées, si vous en êtes victime ?
Elles ne nous font pas de cadeaux !
Nous pratiquons la fermeté, mais avec le sourire.
Vous semblez tellement excellent que vous deviendrez irremplaçable ! Sans doute sera-t-on tenté de vous confier des compétences de plus en plus larges. Vous avez souligné le risque d'inflation des demandes de la Commission européenne. Pour les élus, le risque est surtout que les AAI assument de plus en plus de tâches qui reviennent par nature aux politiques. J'ai du mal à articuler les relations entre l'Autorité de la concurrence et l'Arcep : de nombreux acteurs interviennent dans la régulation des télécoms, infrastructures, tarifs, etc. Ce manque de précision m'inquiète. La loi Macron comportait des dispositions sur les télécoms, la loi NOTRe aussi - et le Gouvernement nous promet une troisième loi sur le sujet.
Vos deux premières missions - contrôle et autorisation préalable des concentrations les plus importantes ; répression des pratiques anti-concurrentielles - ne posent pas de problème. Il en va autrement de la troisième et des avis que vous rendez sur toutes questions concernant la concurrence : tant que les demandes viennent du Gouvernement, soit. Mais sur les autoroutes, la rapporteure spéciale du budget sur le transport terrestre que je suis est dérangée par une demande de l'Assemblée nationale, très médiatisée de surcroît. Je veux bien que l'on vous interroge sur la tarification, mais le faire sur le contrat de concession lui-même n'est-il pas une dérive ? Il ne s'agit plus de pratiques anti-concurrentielles, mais de relations entre l'État et des entreprises privées.
Les relations rappelées par le rapporteur me gênent : comment être membre d'une AAI et, pendant son mandat, accepter un poste de secrétaire général d'une très grande entreprise ou d'administrateur dans une entreprise du BTP ? Ne ressentez-vous pas le besoin d'encadrer davantage cette troisième mission - même si c'est certainement au législateur de le faire ? Vous pourriez régler votre problème de moyens si vous donniez la priorité à vos deux premières missions, absolument incontestables.
Je vous remercie pour vos compliments, dont j'espère qu'ils ne sont pas ironiques. Les délégations de la part de Bruxelles sont plutôt une bonne chose d'un point de vue stratégique. La subsidiarité permet à des entreprises françaises de demander l'examen de leur dossier à Paris. Car ces démarches sont très consommatrices de temps !
Puis la commission auditionne M. Bertrand Schneiter, président de la Commission des participations et des transferts.
Nous recevons maintenant M. Bertrand Schneiter, président de la Commission des participations et des transferts, créée en 1986 et qualifiée d'autorité administrative indépendante par le rapport du Conseil d'État de 2001. La Commission a pour mission de rendre un avis sur le prix des cessions réalisées par l'État. Son contrôle vise à éviter que l'État ne cède à vil prix ses participations. Vous nous détaillerez, monsieur le président, les missions qui vous incombent pour remplir cet objectif.
En l'état actuel, la Commission est composée « de sept membres, dont un président, nommés par décret pour cinq ans et choisis en fonction de leur compétence et de leur expérience en matière économique, financière ou juridique ». Vous nous présenterez également, je pense, les modifications concernant le collège résultant de l'ordonnance de 2014, dont un article du projet de loi Macron propose la ratification.
Comme la loi le permet, cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié dans le Compte rendu détaillé des réunions des commissions, diffusé en version papier et sur le site Internet du Sénat. Elle est ouverte au public et à la presse et fait l'objet d'une captation vidéo.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bertrand Schneiter prête serment.
J'indique d'emblée que la commission que j'ai l'honneur de présider traite de nombreux dossiers qui ne sont pas publics : vous m'excuserez de ne pouvoir entrer dans le détail de certains de leurs aspects.
La Commission des participations et des transferts est une autorité administrative indépendante de fait, reconnue comme telle par le Conseil d'Etat pour une double raison : la loi qui l'a créée a prévu l'indépendance de ses membres et ses avis ont force contraignant sur les décisions du Gouvernement en matière de privatisations - ce que l'on appelle désormais « cessions de participations publiques ».
Si l'on s'en réfère à l'exposé de M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, lors de son audition, les caractéristiques de la Commission ne sont pas comparables, dans tous les domaines, à celles des autres autorités administratives indépendantes. Elle ne jouit pas, pour commencer, de l'autonomie budgétaire. Il est vrai que c'est aussi le cas de quelques autres, et je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il soit nécessaire, dans l'action qui est la nôtre, de disposer de moyens propres garantis au-delà de ce qu'exige le fonctionnement courant.
La reconnaissance du Conseil d'Etat a été confortée par la loi relative à la transparence de la vie publique, qui l'inclut clairement parmi les AAI, ainsi que par les textes relatifs à la gestion des patrimoines financiers des membres des autorités intervenant dans le domaine économique.
La Commission joue un rôle qui attire rarement l'attention du public. Il est pourtant incontournable dans les cessions du patrimoine public et répond à l'exigence formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 juin 1986 qui veut que l'évaluation de la valeur des entreprises à transférer soit faite « par des experts compétents totalement indépendants des acquéreurs éventuels » ; qu'elle soit « conduite selon les méthodes objectives couramment pratiquées en matière de cession » ; que le transfert soit interdit « dans le cas où le prix proposé par les acquéreurs ne serait pas supérieur ou au moins égal à cette évaluation » et que le choix des acquéreurs ne procède « d'aucun privilège ».
Il en découle que les membres de la Commission doivent présenter des garanties d'expérience et de compétence, ainsi que d'indépendance. Dès la loi de 1986, un régime très strict d'incompatibilités a été prévu pour prévenir de possibles relations des membres du collège avec les acquéreurs éventuels, ainsi qu'avec les entreprises privatisées : toute fonction rémunérée en leur sein leur est interdite au cours des cinq années qui suivent le terme de leur mandat.
La Commission mène sa mission différemment selon qu'elle statue sur des opérations de marché ou hors marché. Pour les premières, il suffit, en principe, qu'elle fixe un prix de cession minimal, les règles du marché devant assurer le respect des autres conditions, comme l'absence de privilège. Même en ce domaine, cependant, la Commission est très attentive au déroulé de la procédure, tant pour les opérations de bloc que pour celles qui sont conduites au fil de l'eau, du type de celle sur Engie annoncée hier par les ministres - bien que la loi n'indique pas clairement qu'un avis conforme est requis dans ce cas.
Pour les secondes, où le risque d'inégalité de traitement est plus important, la Commission est appelée à se prononcer très précisément sur la procédure, sur le cahier des charges, sur l'ensemble des éléments permettant de garantir que la valorisation a été respectée et que le choix de l'acquéreur a été aussi respectueux que possible de l'égalité des chances.
Je rappelle pour mémoire qu'hors les cas de saisine légale, la Commission peut être saisie par le Gouvernement sur d'autres dossiers. Il est ainsi arrivé qu'elle le soit sur des opérations ne relevant pas du portefeuille de l'Agence des participations de l'Etat (APE). Récemment, elle a été saisie pour avis sur la valeur des fréquences radioélectriques. Les avis que nous rendons dans ce cas restent consultatifs mais en pratique, les valeurs que nous indiquons sont respectées.
Les compétences de la Commission ont été élargies et précisées par l'ordonnance de 2014, qui a éclairci les modalités de notre intervention. Puis, dans le projet de loi pour la croissance et l'activité, à ce stade de son examen, les seuils, fixés par l'ordonnance à 1 000 emplois ou 150 millions de chiffre d'affaires ont été réduits de moitié, à l'initiative des parlementaires.
L'intervention de la Commission a deux effets positifs sur le processus de cession. Le premier, que je qualifierais d'effet de procédure, n'est pas directement visible, car il est préventif. La présence de la Commission au coeur de la procédure pousse les parties prenantes à ne présenter que des dossiers ayant des caractéristiques acceptables. Les fonctionnaires de Bercy ont plus d'une fois renoncé à présenter un dossier, jugeant qu'il n'était pas tenable en l'état. Le deuxième effet est de sécurisation. Les décisions de cession sont susceptibles de recours. Le juge administratif est appelé à se déterminer sur le moyen de l'erreur manifeste d'appréciation. Or, le ministre n'a pas à motiver ses décisions de cession, si bien que dans les quelques cas où le Conseil d'Etat a été appelé à se prononcer, ce sont souvent les éléments fournis par la Commission qui l'ont convaincu qu'il n'y avait pas d'erreur manifeste.
Quel est le coût de notre intervention ? J'ai quelque scrupule à le dire, mais nous ne coûtons pas cher. Notre budget de fonctionnement est d'environ un million, un quart de la dépense, cela vaut de le préciser, étant lié à la décision de nous loger dans le même bâtiment que le Conseil d'Etat, rue de Richelieu. La rémunération de nos membres, plus importante que dans d'autres AAI, se justifie par notre mode de fonctionnement. Nous sommes un collège d'experts, au sens où l'entend le Conseil constitutionnel dans les termes que j'ai rappelés. Nous avons individuellement le devoir d'examiner chaque dossier dans tous ses éléments et de nous prononcer en usant de notre capacité propre d'expertise. Le régime d'incompatibilités étendu qui s'impose à nous a cette conséquence que nous n'avons pas, le plus souvent, d'autre activité économique. Alors qu'une AAI comme l'Autorité des marchés financiers a besoin de compter des représentants des milieux économiques, qui assurent la transmission entre les intervenants et l'Autorité, c'est tout le contraire pour nous.
Quelles sont les évolutions en cours ? L'ordonnance de 2014 a, je l'ai dit, simplifié notre intervention, et le projet de loi « Macron » prévoit d'ajouter quelques éléments qui n'avaient pas pu y prendre place en vertu des termes de la loi d'habilitation. D'où son article 45, qui introduit des modifications substantielles non pas tant pour assurer l'indépendance de la Commission, qui n'a jamais été mise en cause, que pour répondre à la théorie des apparences, qui est désormais la règle en la matière et qui impose, à côté de l'exigence de parité déjà par la loi, que les mandats ne soient pas renouvelables.
Je m'en tiens là pour laisser place à vos questions, en m'excusant auprès du rapporteur de n'avoir encore renvoyé qu'une réponse partielle à son questionnaire, que je complèterai prochainement. C'est la rançon de nos moyens limités : nous sommes une toute petite maison.
Qui semble très dépendante - c'est ma première interrogation - de la « grande maison »...
Laquelle dépend cependant de nous pour l'essentiel, c'est à dire pour prendre ses décisions.
Je pensais à votre fonctionnement. Votre secrétaire général est rémunéré par la Banque de France, vos trois secrétaires par le ministère, dont vous dépendez également pour l'immobilier et l'informatique.
Vous évoquez là la fonction support. Nous ne sommes pas la seule AAI dans ce cas. Mais nous coûtons moins cher que d'autres...
Le Conseil d'Etat vous considère comme une autorité administrative indépendante. En jugez-vous de même ?
La question des moyens affecte-t-elle notre indépendance ou notre capacité à remplir notre mission ? Telle est la question. Ce serait un problème si nous jugions nécessaire de disposer de capacités propres de recours à des consultations ou expertises extérieures. Or, tel n'est pas le cas, pour deux raisons. Outre que bien souvent, le délai d'examen dont nous disposons est très court, recourir à des experts indépendants auxquels nous demanderions de refaire un travail que nos experts ont déjà fait n'aurait pas de sens. Ce qui nous est demandé, c'est de procéder à évaluation selon les méthodes usuelles. Ce que nous exigeons, dans les dossiers qui nous sont présentés, c'est que les banques-conseil ou les consultants auxquels l'entreprise ou l'Etat, via l'APE, a eu recours, sur le fondement de leur réputation, y fournissent des éléments suffisamment fouillés, comprenant différentes hypothèses de travail et des tests de sensibilité. Je puis vous dire que nous ratifions rarement la valeur centrale retenue dans un rapport. Il arrive plus d'une fois que ces experts aient à fournir, sur notre demande, un complément d'analyse, dont nous n'avons pas à supporter le coût. Je sais que c'est un débat qui restera ouvert mais j'estime très sincèrement que nous disposons ainsi de tout l'éventail des moyens usuels dont fait usage tout expert pour juger d'une situation.
Sur les sept membres du collège, en est-il qui exercent d'autres fonctions ?
Deux, dont l'un est membre du Conseil d'Etat, l'autre de la Cour des comptes. Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'exerçais encore à l'Inspection générale des finances, avec laquelle un accord a été passé réduisant mes indemnités pour tenir compte du partage de mon temps.
Je n'ai aucun doute sur leur respect des règles de déport qui président au Conseil d'Etat et à la Cour des comptes.
Comprenez bien qu'il ne s'agit pas pour nous de mettre en cause des personnes, mais de réfléchir à un système, avec ses côtés positifs et négatifs. J'observe, même si ce n'est pas une tare, que les sept membres de votre collège sont tous des anciens de l'ENA. J'observe également, même s'il est louable de considérer qu'il n'y a pas d'âge pour servir l'Etat, que l'éventail des âges est fort large, puisque l'un d'entre eux a presque franchi le siècle.
Les deux membres les plus anciens n'ont été renouvelés en 2013 que parce que ce mandat, très provisoire, devait être renouvelé dès l'été 2014. Ils n'étaient pas demandeurs. Les membres du collège sont des anciens de l'ENA, je le concède, mais leurs carrières se sont poursuivies depuis, l'un a été industriel, un autre banquier, ce qui vient tempérer cette tâche originelle...
L'expression est venue de vous... Comprenez-moi bien. Je ne nie pas que dans une AAI comme la Commission, qui a pour vocation de défendre les intérêts de l'Etat, il est important que siègent des serviteurs de l'Etat. Mais le problème est que l'on finit par retrouver toujours les mêmes personnes. Sans compter qu'il n'est peut-être pas simple pour elles de nouer le dialogue avec leurs anciens collègues en toute indépendance.
Vu la phase de carrière dans laquelle se trouvent les membres de la Commission, ce n'est pas si difficile que cela. Nos membres ont accumulé une expérience et acquis l'indépendance de ceux qui ne sont plus à la recherche de leur prochain poste, ce que renforcera encore le caractère non renouvelable de leur mandat. Si bien que cette commission est exempte de dépendance et de solidarité à l'égard de ses interlocuteurs.
Je reviens sur la position de vos trois secrétaires et de votre secrétaire général, au regard des dossiers que vous avez à traiter.
Nos secrétaires sont des assistantes administratives, qui aident au fonctionnement de la Commission, mais ne participent pas à l'instruction des dossiers.
Comment s'organise l'instruction ? J'ai cru comprendre que vous aviez recours à des cabinets d'avocats et à des experts extérieurs.
Nous fonctionnons comme un collège d'experts. Ce n'est pas sur l'avis d'un rapporteur que chacun d'entre nous se prononce, mais après avoir étudié l'ensemble du dossier. Notre secrétaire général ne prépare pas de note de position. Le système est réellement collégial et je puis vous dire que nos membres, quand ils reçoivent un dossier le jeudi soir pour examen en séance le lundi suivant passent plusieurs heures à l'étudier.
Mais recourez-vous à des prestataires extérieurs pour constituer le dossier ? Je lis dans la presse que dans celui de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, qui suscite quelque polémique, vous avez eu recours à un cabinet d'avocats.
Pas nous. Sur ce dossier, dont les éléments sont dorénavant largement connus du public, nous avons à rendre un avis, qui porte, comme vous le constaterez, sur toute une série d'éléments : le cahier des charges, le premier stade d'examen des candidatures, la valorisation...
C'est le ministre. J'aurais dû commencer par là. Les dossiers qui nous sont présentés le sont par le ministre, ou, dans le cas d'opérations de deuxième degré, par l'entreprise. Ils sont assortis de toutes les expertises nécessaires. On est là, mutatis mutandis, dans une situation de gouvernance classique. Les dossiers qui nous sont remis sont fouillés ; nous exigeons qu'ils comportent des variantes d'hypothèses et nous avons, comme je l'ai dit, la possibilité de renvoyer la copie pour les affiner.
Vous confirmez donc que vous ne recourez directement à aucun conseil extérieur, contrairement à ce que soutiennent certains médias ?
Je le confirme.
Vous donnez en somme un avis sur un dossier que d'autres ont constitué.
Nous commençons par l'étudier. Quand un dossier présente un plan d'affaires avec une projection de résultat net à trois ans, nous demandons que nous soient fournies des variations.
Vos précisions sont importantes. Vous ne prenez pas vos décisions sur le fondement d'une note de synthèse, mais rendez un avis collégial après expertise par chaque membre.
Demander une deuxième expertise sur les mêmes bases serait onéreux et n'apporterait pas plus que les variantes que nous sommes amenés à demander aux experts initiaux.
Récapitulons. Vous recevez un dossier réalisé par le ministère, qui fournit des éléments fournis par les entreprises.
Fournis aussi par la banque-conseil.
A partir de quoi, nous dites-vous, vous pouvez demander que vous soient fournis des éléments complémentaires, ou d'autres hypothèses. Qui réalise, dans ce cas, ce travail ?
La banque-conseil qui a fait le travail principal. Ce que nous demandons, ce sont des variantes au regard du cas central retenu. Il est arrivé, sans que je puisse citer nommément les cas concernés, que, considérant que le cas central n'était pas convainquant, nous renvoyions par deux fois la copie.
Je ne peux, dans les conditions de publicité que vous avez retenues, citer le nom d'entreprises.
La banque-conseil procède donc, à votre demande, à des investigations complémentaires. Comment réagit le ministère ?
Il n'a jamais fait obstacle à une telle demande.
Le Conseil d'Etat a récemment examiné une requête, relative à la privatisation de l'aéroport de Toulouse Blagnac. Il a considéré, dans sa décision du 30 décembre 2014, que « le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait illégale en raison des irrégularités ayant affecté la procédure suivie devant la Commission des participations et des transferts n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la mesure contestée ». Pouvez-vous nous éclairer sur la nature de ces irrégularités ?
Il s'agit d'irrégularités alléguées par une partie qui attaque l'Etat. Dans le propos que vous avez cité, le Conseil d'Etat ne se prononce pas, il indique la position d'une partie. J'ignore ce que peuvent être les irrégularités alléguées par cette partie. Nous avons porté la plus grande attention à toutes les étapes de la procédure. Certaines dispositions du cahier des charges, que nous avions jugées peu claires, ont été réécrites. Nous ne laissons rien passer.
Ce qui m'étonne, c'est que lorsque vous jugez qu'il y a un problème, vous vous adressier, pour y remédier, aux banques-conseil qui ont rédigé le projet initial.
Il faut bien s'entendre sur ce que l'on appelle ici un problème. Il peut arriver que l'on juge un taux d'actualisation trop élevé, mais c'est là une question d'arithmétique pure. On peut, au-delà, juger que la valorisation de la société pose problème. Cette valorisation n'est autre chose qu'une projection économique de ce que la société va donner dans les années à venir. Si nous avons le sentiment que les hypothèses d'affaires retenues ne sont pas réalistes, nous demandons des variantes. Mais il ne s'agit, là encore, que d'opérer un calcul arithmétique, à partir d'une nouvelle hypothèse.
Ce qui veut tout de même dire que votre collège a une capacité d'expertise propre.
Ses membres ont des compétences, qu'ils s'emploient à exercer au mieux, comme ils ont pu les exercer auparavant en participant, par exemple, à des comités d'audit.
En aucun cas vous ne pourriez avoir besoin de recourir à des conseils extérieurs ?
Les problèmes qui peuvent se poser sont ceux que je viens de citer. Il n'y aurait à recourir à une expertise externe que si nous en venions à mettre en cause les comptes mêmes des entreprises, ce qui supposerait un état de méfiance que l'expérience ne laisse pas imaginer.
Il est arrivé à l'Etat, quel que soit le Gouvernement, de se tromper, y compris dans des opérations de cession.
Bien sûr. Mais dans les cas où il s'est trompé, qui aurait pu éviter de le faire ?
Notre fonction est critique. Il s'agit d'exercer notre meilleur jugement.
Avez-vous tenté d'estimer si vos estimations se sont, à l'usage, révélées correctes ?
Il arrive que nous soyons appelés à revenir à plusieurs reprises sur un dossier, pour de nouvelles opérations de cession. La première chose que nous examinons, à cette occasion, c'est la manière dont on a pu passer d'une situation examinée auparavant à celle qui nous est nouvellement décrite. Et nous cherchons à mesurer ce que ces évolutions disent des prévisions sur lesquelles nous avions fondé notre avis. Hormis ce genre de cas, nous ne nous penchons pas, ex post, sur les dossiers qui nous ont été soumis. C'est le rôle de la Cour des comptes.
Mais peut-être avez-vous eu la curiosité de vous pencher sur ses travaux, qui vous ont peut-être amenés à constater, parfois, que vous vous étiez trompés ? Comprenez-moi bien. Quand je dis que vous jouez un rôle divinatoire, ce n'est pas une accusation, car on voit mal comment vous pourriez faire autrement. Et je ne mets pas non plus en cause ce que vous dites sur l'inutilité de recourir à d'autres experts extérieurs, qui ne diffèrent guère des premiers, pour faire le même travail.
Dans les affaires de marché où il arrive que des participations soient vendues à plusieurs échéances, par tranches, on nous demande de rendre un avis qui, comme le précise la loi, tient compte des conditions du marché. Notre avis est pris à un moment donné. On ne nous demande pas, quand on nous saisit, de nous prononcer sur ce que serait le moment le plus pertinent pour vendre, mais de fournir une juste appréciation de la valeur au moment considéré.
Certaines de nos estimations ont-elles été totalement démenties a posteriori ? Aucun exemple ne m'en vient à l'esprit.
N'est-ce pas, dans ces dossiers, la transparence qui importe le plus ? Aujourd'hui, tout est dans les médias, sur les réseaux, le Parlement s'en mêle, si bien que le Gouvernement est tenu d'expliquer clairement ses décisions de cession. Et pour garantir l'objectivité technique des données, une institution comme la Cour des comptes n'est-elle pas compétente ? A quoi bon une autorité administrative indépendante ?
La Cour des comptes ne peut traiter un dossier reçu le vendredi pour une opération sur laquelle il faut trancher avant l'ouverture de la bourse du lundi.
C'est en effet la caractéristique d'un certain nombre d'opérations.
Et une AAI garantit mieux ces deux exigences qu'un département ministériel ?
Ce que je puis dire, c'est que la Commission a, de ce point de vue, une réputation de sérieux incontestable.
Tout l'objet de notre mission est de comprendre dans quels cas l'existence d'une AAI est nécessaire. Je peux entendre l'argument de la rapidité et du secret, mais faut-il, pour autant, en passer par une AAI ?
S'agissant de la Commission des participations et des transferts, la question a été posée par le rapport de l'Assemblée nationale, qui évoquait la possibilité de confier notre mission à une autre autorité administrative intervenant dans le domaine économique, comme l'Autorité des marchés financiers. Or, les missions des deux organismes n'ont rien à voir.
Il serait juge et partie. On a besoin d'une instance qui lui fixe des limites.
Elle ne rend pas d'avis préalable. Si le Parlement considère que le ministère n'a pas besoin d'avis préalable à une décision de cession, ce n'est pas à moi d'en juger. Mais en 1986, et encore récemment, le législateur a jugé que l'intervention de cette Commission était la solution la plus convenable.
Quand la puissance publique a décidé de se séparer d'une partie du domaine autoroutier, avez-vous été consulté ?
La Commission a rendu, à l'époque, un avis. Je ne sais ce que le jugement ex post peut donner, mais ce dont je suis sûr, c'est que l'avis rendu, dans les circonstances économiques du moment, était celui qui s'imposait. Y a-t-il eu, depuis, des évolutions qui n'étaient pas prévues ? J'entends beaucoup dire que la manière dont ont évolué les taux d'intérêts n'était pas, alors, prévisible. Je ne sais pas, non plus, ce qu'ont été les pratiques de l'autorité gestionnaire des concessions. Ce sont des éléments qui ne permettent pas d'infirmer la validité de l'avis rendu sur le moment.
Ce que vous dites ressemble fort à une tautologie. La décision était forcément juste puisqu'on ne savait pas ce qui allait se passer ensuite. Quant au « juste prix » que vous évoquiez, il n'interdit pas de vendre plus cher si l'on estime que l'on pourra trouver un acquéreur.
L'avis que nous rendons n'interdit pas au ministre de vendre à plus haut prix.
Le but est tout de même de sauvegarder l'intérêt général. Dire que l'on ne pouvait pas anticiper l'évolution des taux d'intérêt et les choix de gestion revient à dire que vous avez toujours raison. Quelle que soit l'estimation faite au départ, elle était forcément la bonne.
L'estimation est faite à un moment donné, sur la base des informations disponibles à ce moment. Quant à savoir si l'Etat avait ou non raison de procéder à une cession, c'est une question qui ne nous est pas posée. La Commission n'est chargée que de fixer la valeur de cession. Il s'agit, pour l'Etat, de s'assurer que le prix de cession n'est pas inférieur à la valeur de ce qu'il cède.
Encore une fois, il existe une autorité publique indépendante chargée de ce travail : la Cour des comptes. La République n'est pas dénuée des moyens de savoir, ex post, si elle a bien ou mal fait. Nous suivons de près ses travaux, répondons à ses questions et lisons attentivement ses rapports.
J'ai du mal à saisir ce qu'est le volume de votre travail. Combien de dossiers traitez-vous, et à selon quelle fréquence ? Quel est votre rôle par rapport à l'APE ? Ne serait-ce pas à elle de mener la mission que vous accomplissez ?
L'APE n'est pas distincte de l'exécutif. C'est une administration sous hiérarchie du ministère et qui gère, pour son compte, les participations de l'Etat.
Notre volume de travail dépend des saisines qui nous sont soumises. Nous avons eu, au moment de la crise, une période creuse, entre septembre 2008 et l'été 2009. De même en 2012, pour des raisons tenant au calendrier électoral.
Nous n'avons pas été saisis. Il est des moments qui ne se prêtent guère à certains types de décisions.
A quoi bon une institution permanente si le plan de charge n'est pas permanent, vous demandez-vous ? Même quand nous ne sommes pas saisis, il reste un travail de fond à effectuer. Nous suivons les évolutions des entreprises, nous analysons leurs résultats. J'ajoute que les membres de la Commission sont soumis à de larges incompatibilités, ce qui suppose un engagement lourd. Une modulation de la rémunération en fonction de l'activité serait peut-être susceptible d'assurer une meilleure adaptation au rythme du plan de charge mais cela dit, depuis janvier, nous avons tenu trente séances et rendu une dizaine d'avis : la situation de 2012 s'analyse plutôt comme une anomalie. La Commission n'en est nullement responsable, et ses membres, durant cette période, n'ont en rien renié leurs engagements.
Nous sommes tout autant présents au travail dans ces périodes que dans les autres.
J'ai cru comprendre que les délais dont vous disposez pour rendre vos avis sont très courts ?
Cela dépend des opérations. S'il s'agit d'une opération de bourse, par blocs, les délais sont en effet très courts. L'appréciation de la situation boursière prend une place importante, ce qui ne veut pas dire que la valeur fondamentale de l'entreprise n'entre pas en jeu. Nous pouvons ainsi être amenés à nous prononcer en l'espace de deux à trois jours. Mais il faut savoir que nous commençons à bien connaître les entreprises susceptibles de faire l'objet de telles opérations, comme Engie, ou Safran.
C'est essentiellement sur le portefeuille de l'APE que vous vous prononcez ?
En effet. Il est arrivé que la direction du Trésor nous présente des affaires relatives à l'outre-mer. Nous avons également été saisis sur les radiofréquences par la direction générale aux entreprises.
Vos éclairages sont importants. Ils nous font comprendre que vos interventions font appel à la technique financière et exigent de la rapidité.
Comment fait-on pour valoriser des fréquences, dans une situation monopolistique ?
Nous exigeons toujours d'avoir sous les yeux des hypothèses de rentabilité économique. Quelle rentabilité pour un opérateur type à quinze à vingt ans, soit la durée d'une licence ? Nous raisonnons sur l'opérateur type, car c'est la mise en concurrence qui conduira un opérateur à penser qu'il peut aller au-delà de ce que nous avons fixé sur cette base et nous avons souvent constaté que le feu des enchères venait augmenter ce montant, qui se comprend comme un prix de réserve.
Je ne suis pas sûr qu'à l'époque, on retenait une approche DCF avec taux d'actualisation et valeur terminale...
Merci d'avoir joué le jeu. La suite de nos auditions nous amènera peut-être à vous adresser d'autres questions écrites.
La réunion est levée à 17h50