Intervention de Nathalie Morin

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 10 juin 2015 à 14h35
Audition de Mme Nathalie Morin chef du service france domaine

Nathalie Morin, chef du service France Domaine :

Il n'y a aucune incompatibilité de fond entre les statuts des AAI et le respect par ces autorités des orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État. Les AAI sont des autorités indépendantes, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas soumises à l'autorité hiérarchique d'un ministre, mais, exception faite des API qui ont une personnalité juridique et des ressources propres, les AAI dépendent pour leur budget d'un ministère. L'immobilier est une fonction support ; sa gestion rationnelle et économe est pertinente pour tous. Il y a d'autant moins atteinte à l'indépendance de ces autorités que la politique immobilière de l'État intègre dans ses critères la réponse aux besoins exprimés par les occupants. Le caractère fonctionnel d'une solution immobilière est examiné de très près et est au coeur des avis que nous délivrons. Les AAI ont ainsi généralement besoin de grandes salles de réunion et, pour celles qui prononcent des sanctions, de salles d'audience. Elles sont composées de personnalités qualifiées venant d'horizons divers et l'accessibilité de leurs locaux est essentielle. Pour autant, le respect des ratios d'occupation pour le personnel et les plafonds de loyers doivent s'appliquer.

Dans la pratique, les relations entre France Domaine et les AAI sont compliquées car mal assises juridiquement. Pour ce qui est de la soumission des AAI à l'avis domanial, il faut distinguer deux cas de figure. La situation des AAI dépourvues de personnalité juridique n'est pas explicitement tranchée dans le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). D'après France Domaine, le CG3P et le décret de 1986 conduisent à penser que les AAI sont soumises à l'avis domanial. Celui-ci prévoit en effet que sont soumis à cet avis tous les services qui perçoivent des financements de l'État et qui font l'objet d'un contrôle budgétaire permanent de la part d'une autorité nommée par l'État. Mais ce raisonnement est fragile, car il repose sur une assimilation et le support juridique est réglementaire et non législatif.

Pour les API, la situation est plus simple : ne sont soumises à l'avis domanial que celles pour lesquelles les textes constitutifs le prévoient expressément. C'est le cas de l'Autorité des marchés financiers (AMF), de la Haute autorité de santé (HAS) ou du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C). Nous avions tenté en 2010, lors de l'examen d'un projet de loi portant simplification domaniale, d'étendre aux autres API la soumission à l'avis domanial, mais cette proposition n'a pas prospéré car elle risquait d'être qualifiée de cavalier législatif. Nous parlons ici d'un avis domanial simple, avant la mise en oeuvre de la politique immobilière de l'État. Cet avis ne porte que sur la conformité au prix du marché des valeurs locatives. La conformité de l'opération aux orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État découle des circulaires de 2009, non du CG3P, et ne semble pas applicable aux AAI.

J'en viens à l'obligation de produire un schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI). Un courrier d'octobre 2011 de la ministre chargée du domaine a demandé à chaque président d'AAI de produire un SPSI. Si la portée symbolique d'un tel courrier est forte, sa portée normative l'est beaucoup moins. Sur les 38 AAI sollicitées, seules 13 ont produit un SPSI, dont certains sont très succincts.

La relation entre France Domaine et les AAI dépend donc essentiellement de la bonne volonté des présidents de ces AAI : certains ont joué le jeu, d'autres, moins. Sous l'impulsion du Parlement, des progrès significatifs ont été réalisés depuis 2010. Le rapport de Nicole Bricq sur les loyers de l'État a fait ressortir des marges de progrès pour les AAI, tant du point de vue des ratios d'occupation que des prix locatifs au mètre carré. Ces données sont actualisées tous les ans dans le cadre des questions que les parlementaires adressent à l'administration pour la préparation de l'examen du projet de loi de finances. Toutefois, ces données sont déclaratives, et France Domaine n'a aucun moyen de s'assurer de leur fiabilité.

Le parc est désormais beaucoup mieux connu grâce à l'enquête de 2011 et aux actualisations. Des actions efficaces ont été conduites sur les loyers. En 2012, France Domaine a renégocié systématiquement les baux franciliens supérieurs à 100 000 euros. Ainsi, le bail du Conseil supérieur de l'audiovisuel est passé de 575 euros le mètre carré à 431 euros. Certaines AAI ont spontanément demandé à France Domaine de les assister dans des renégociations de baux. Ainsi, le Défenseur des droits, autorité pourtant constitutionnellement indépendante, s'est rapproché de nous lors de sa création en 2012 par fusion de quatre entités : il a été décidé d'abandonner deux sites et de renégocier les baux des deux autres. En 2014, les baux du Défenseur des droits et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ont été renégociés par France Domaine pour aligner leur durée sur l'arrivée de ces deux autorités sur le site de Fontenoy fin 2016. Cela a permis une économie annuelle de 900 000 euros.

Même si elles ne passent pas par France Domaine, certaines AAI appliquent les orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État : c'est le cas de l'AMF, qui a négocié seule son loyer en 2013, obtenant une diminution de 30 %. La HAS, qui est déjà sur une localisation très vertueuse, à Saint-Denis, en a fait de même en 2012. L'exigence d'économies se diffuse donc, et France Domaine se rapproche des AAI lorsqu'approche l'échéance du bail.

Des opérations de relocalisation ont été conduites : la Commission nationale des comptes de campagne est passée de l'avenue de Wagram, à 523 euros le mètre carré, à la rue du Louvre, à 400 euros. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), particulièrement exemplaire, a quitté Paris pour Montrouge et Fontenay-aux-Roses. Le projet Fontenoy regroupera sept AAI à la fin 2016.

Certaines AAI ne se sont pas relocalisées, non par mauvaise volonté, mais parce que les circonstances ne le permettaient pas : l'Autorité de la concurrence occupe ainsi deux immeubles locatifs dont les loyers sont très faibles et un immeuble domanial qui ne leur coûte rien. La Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) n'a pas non plus déménagé car son avenir n'étant pas assuré, il n'est pas opportun de lancer des négociations.

Les AAI qui se créent se rapprochent spontanément de nous : ce fut le cas de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP), que nous avons localisée rue de Richelieu, dans un immeuble déjà pris à bail par l'État où des locaux étaient vacants.

Ainsi, même si les relations ne sont pas institutionnellement cadrées, France Domaine a noué des contacts avec diverses AAI depuis 2010 pour renégocier des baux ou changer de localisation.

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