Nous recevons M. Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) depuis le 1er octobre 2010. Notre commission d'enquête procède à l'audition de toutes les autorités administratives indépendantes (AAI) identifiées grâce aux travaux de notre ancien collègue Patrice Gélard. Sept d'entre elles sont des autorités publiques indépendantes (API) dotées de la personnalité morale. C'est le cas de l'AFLD. Quelles sont les spécificités de ce statut et son intérêt ? Je rappelle que cette audition est publique et donnera lieu à enregistrement et à compte-rendu.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Genevois prête serment.
Je suis honoré et heureux d'être auditionné par votre commission d'enquête.
L'AFLD a été créée comme API par la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs, mais la lutte contre le dopage est antérieure à cette loi, et n'est pas circonscrite à la France. Antérieurement, la loi du 1er juin 1965 a instauré une répression exclusivement pénale du dopage, qui n'a pas donné de bons résultats ; la loi du 28 juin 1989 a introduit des sanctions administratives en sus des éventuelles sanctions pénales ; la loi du 23 mars 1999, enfin, a créé le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage auquel a succédé en 2006 l'AFLD.
En parallèle s'est développée une réglementation internationale, qui se caractérise par la coexistence de deux types de normes : une convention internationale classique, élaborée sous l'égide du Conseil de l'Europe, signée le 16 novembre 1989 et ratifiée par 52 États dont la France, et une convention de l'Unesco du 19 octobre 2005, ratifiée par 178 États, qui se réfère aux principes du Code mondial antidopage élaboré par l'Agence mondiale antidopage (AMA), fondation de droit privé suisse née en 1999 et administrée conjointement par les gouvernements et le mouvement sportif. Une troisième version du Code est en cours de transposition dans le droit français, avec la loi adoptée le 30 décembre 2014 qui habilite le gouvernement à procéder à cette transposition par ordonnances.
L'AFLD compte de nombreux atouts dans la lutte antidopage, résultant du rôle joué par les pouvoirs publics pour prolonger et amplifier les efforts du mouvement sportif dans la lutte contre la tricherie. En vertu d'une jurisprudence du Conseil d'État de 1974, l'organisation du sport en France est une mission de service public qui se traduit par un cadre juridique judicieux. Les choix opérés par le législateur avec les lois du 23 mars 1999 et du 5 avril 2006 se sont révélés, à l'usage, bienvenus. L'existence même d'une API en charge de la lutte contre le dopage doit être approuvée car elle n'est pas soumise à l'autorité politique du ministre et est indépendante du mouvement sportif : elle agit dans le cadre défini par la loi.
La composition du collège de l'Agence, conforme aux équilibres choisis par le législateur dès 1999, reflète le caractère pluridisciplinaire de la lutte contre le dopage, avec neufs membres issus de trois catégories - des juristes du Conseil d'État et de la Cour de cassation, des scientifiques et des médecins, des représentants du monde sportif - parfois assistés d'un dixième membre spécialiste du dopage animal.
Le législateur a voulu privilégier la répression administrative - l'interdiction faite au sportif de participer à des compétitions sportives - plutôt que la répression pénale, longue à mettre en oeuvre et réservée à la lutte contre les trafics. Cette compétence disciplinaire a été définie avec soin ; elle est subsidiaire et complémentaire de celles des fédérations sportives agréées. Si le sportif fait l'objet de prélèvements litigieux, il passe devant les instances fédérales qui doivent statuer dans les quatre mois, à peine de dessaisissement au profit de l'AFLD. Celle-ci peut évoquer un dossier si l'instance fédérale est jugée trop clémente ou trop sévère, afin d'harmoniser la répression du dopage quelles que soient les disciplines. Elle est compétente pour les sportifs non licenciés comme pour étendre une sanction fédérale à des fédérations omnisports. Elle rend ses décisions en matière disciplinaire dans un délai raisonnable de quatre mois, et dans le respect des droits de la défense.
L'AFLD est en outre dotée de moyens d'action conséquents. Sur le plan administratif, l'Agence regroupe différentes entités complémentaires : le département des contrôles (sanguins ou urinaires) ; le département des analyses avec le laboratoire de Châtenay-Malabry, un des 33 centres accrédités par l'AMA ; la cellule médicale examinant les demandes d'autorisation d'usage à des fins thérapeutiques ; la section juridique préparant l'activité disciplinaire ; les services horizontaux de coordination.
Nos effectifs ne sont pas pléthoriques car nous avons des relais à l'échelon local, avec trois cents préleveurs agréés et assermentés, et nous nous appuyons sur les services déconcentrés du ministère des sports, via une convention passée à cet effet.
Sur le plan financier, nous disposons d'un budget de 9 millions d'euros, financé à hauteur des neuf dixièmes par une subvention d'origine budgétaire ; en comparaison, le budget de l'AMA se monte seulement à 28 millions de dollars. À la suite des mesures de surgel et de mise en réserve des crédits qui ont affecté quelque peu notre action, nous essayons, dans un contexte budgétaire contraint, de poursuivre nos missions - tout en étant conscients de nos limites.
La lutte actuelle contre le dopage s'inspire des conclusions du très intéressant rapport de la commission d'enquête du Sénat de juillet 2013. Le code du sport privilégie des modes de détection directe du dopage qui peuvent prêter à interprétation ou à interrogation. Il convient donc de prolonger ces modes traditionnels de détection : la mise en évidence, dans le sang ou les urines, d'une substance interdite par la législation antidopage, inscrite sur une liste établie par l'AMA chaque année et avalisée par un décret du président de la République publié au Journal officiel.
Quand le prélèvement débouche sur un rapport d'analyses anormales, il est transmis à l'AFLD, qui agit comme une véritable autorité. Le sportif peut demander un échantillon B ou apporter une justification thérapeutique, que nous examinons avec la plus grande précaution.
Nous observons une tendance à la baisse du nombre de contrôles positifs, ce qui signifie soit que l'action de l'AFLD est plus efficace, soit que les tricheurs utilisent désormais des microdoses très en amont des compétitions sportives et quasiment indétectables.
Nous essayons, avec l'aide des pouvoirs publics, de compléter le dispositif par des possibilités d'intervention complémentaire. Certaines recommandations de la commission d'enquête sénatoriale ont été suivies d'effets : la réorganisation à l'échelon territorial des contrôles, avec des conseillers interrégionaux antidopage ; l'échange de renseignements entre administrations pour mieux cibler les contrôles ; la mise en place effective de commissions régionales de lutte contre les trafics, réorganisées par un décret du 26 juin 2013. Le démarrage fut un peu lent mais nous avons observé un frémissement dans la période récente.
Nous promouvons des modes de détection indirecte, conformément à la demande de l'AMA, à savoir le passeport biologique du sportif - dénommé profil biologique dans la loi française - pour mettre en évidence la prise de substances interdites à partir de plusieurs prélèvements sur un même athlète au cours d'une année et mieux appréhender ses effets. Ainsi, l'augmentation anormale de globules rouges peut sous-entendre la prise d'EPO.
Le collège de l'AFLD a pris des initiatives relayées par le Parlement. Conformément aux recommandations de l'AMA, nous avons préconisé dans une délibération du 27 octobre 2011 l'instauration de ce mode de détection, et bénéficié d'un vecteur législatif avec une proposition de loi, enrichie au Sénat par un amendement du rapporteur Jean-Jacques Lozach, devenue la loi du 12 mars 2012 qui a instauré le profil biologique. Un comité de préfiguration, que je présidais, rassemblant des scientifiques, des parlementaires et le monde du sport, a rendu un rapport en juin 2013. L'Agence a rédigé les avant-projets de décrets d'application, adoptés par son collège le 4 juillet 2013 ; les pouvoirs publics ont repris ces mesures dans les deux décrets du 27 décembre 2013 mettant en place le module hématologique du profil biologique, qui permet de détecter des autotransfusions sanguines ou la prise d'EPO.
À la suite de recommandations de l'AMA, nous avons préparé un autre avant-projet de décret, adopté par le collège le 3 décembre 2014, mettant en oeuvre le module stéroïdien du profil biologique, pour détecter la prise d'anabolisants. Le ministre des sports s'est hâté lentement et a transmis en mars le projet de décret au Conseil d'État, qui a rendu un avis favorable le 19 mai ; nous espérons donc une publication prochaine.
Associé à l'élaboration de l'ordonnance autorisée par la loi du 30 décembre 2014, le collège a rendu un avis circonstancié le 23 avril 2015 sur la base de la saisine du 10 mars, et le Conseil d'État a été saisi le 28 mai.
J'espère vous avoir convaincus qu'il y a une place pour une autorité publique indépendante en matière de lutte contre le dopage, mais qu'elle ne peut prétendre faire cavalier seul : nous devons coordonner notre action, à l'échelle nationale avec le ministre et les fédérations sportives, et au niveau mondial avec les fédérations internationales et l'AMA. « Unissons nos efforts plutôt que de nous critiquer mutuellement », disait le directeur de l'AMA. L'AFLD s'inscrit harmonieusement dans le cadre du statut d'API et d'AAI définie par la proposition de loi du doyen Gélard et du président Sueur, à une ou deux nuances près.
Je vous remercie. Vous avez été secrétaire général du Conseil constitutionnel, président de section du Conseil d'État, vous êtes un éminent représentant de la haute fonction publique. Quel est votre sentiment sur la multiplication des AAI ?
De manière générale, il convient d'éviter la multiplication des AAI afin de ne pas vider les administrations traditionnelles de leur substance. Il faut y regarder à deux fois avant d'en créer, mais ensuite jouer pleinement le jeu. C'est le mode de raisonnement adopté il y a plusieurs années par le Conseil d'État pour la création des établissements publics, accusés de démembrer l'État : si l'administration traditionnelle est à même de faire face à cette tâche, inutile de créer un organisme nouveau. Si la création est jugée nécessaire, il faut déterminer un statut et lui donner toutes les chances de réussite.
Ensuite, il convient de raisonner AAI par AAI, au cas par cas, pour savoir si elles répondent à l'attente du législateur qui les a créées. J'ai lu votre proposition de résolution qui juge les AAI insuffisamment contrôlées. Ce n'est pas le cas de l'AFLD : il y a eu la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte contre le dopage et, plus récemment, un contrôle comptable et de gestion de la Cour des comptes, à laquelle nous avons fourni plus de cinq mille pages de documents. En tant que président de l'AFLD, je trouve tout à fait normal de répondre aux sollicitations de la Cour des comptes, qui assiste le Parlement dans sa mission de contrôle, comme de répondre aujourd'hui à vos questions.
Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Quelle est votre opinion sur la multiplication des AAI ? On en répertorie 42, soit une chaque année depuis la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
Cela doit être examiné au cas par cas. La Cnil, créée par la loi du 6 janvier 1978, répond à un besoin ; avoir une instance régulatrice de l'audiovisuel indépendante du politique est une bonne chose ; l'Autorité de la concurrence joue un rôle très important dans la mise en oeuvre des politiques de la concurrence. Je comprends l'inquiétude du Parlement sur cette prolifération mais dans le cas d'espèce, l'AFLD répond à l'utilité de la lutte contre le dopage.
Nombre d'AAI comptent dans leur collège des membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes. Nous avons nous-mêmes l'habitude du cumul - même si d'aucuns souhaiteraient le supprimer. Si l'on multiplie encore les AAI, ces grands corps pourront-ils faire face ?
Le statut du Conseil d'État prévoit que les fonctions non juridictionnelles peuvent être exercées par des membres du corps en activité ou honoraires, ce qui est mon cas. Je me consacre pleinement à la présidence de l'Agence. Plus généralement, il n'est pas absurde de rechercher des personnes ayant une expérience administrative et une tradition d'indépendance. Si le choix du vice-président du Conseil d'État porte sur un membre du corps s'intéressant au sport depuis longtemps, ce n'est pas plus mal !
Vous pouvez m'interroger sur le Tour de France, la Coupe du monde, les championnats d'athlétisme : ces domaines ne me sont pas étrangers.
Je n'en doute pas, vous avez des compétences dans de nombreux domaines !
Jusqu'à quel point êtes-vous indépendant, quand votre budget dépend à 90% de l'État ? Comment est discutée cette subvention ? Vous nous avez dit que l'Agence a rédigé les avant-projets de décrets d'application...
Oui, pour gagner du temps, car selon une jurisprudence du Conseil d'État datant de 1960 - arrêt Martial de Laboulaye - on est dispensé de la consultation d'un organisme si ce dernier prend l'initiative de la mesure ; et le 11° du I de l'article L. 232-5 du code du sport prévoit que l'AFLD est consultée sur tout projet de loi ou de règlement relatif à la lutte contre le dopage. Présidant le comité de préfiguration institué par l'article 5 de la loi du 12 mars 2012, j'ai veillé à la bonne marche des travaux et, au terme de ceux-ci, j'ai rédigé - je suis membre du Conseil d'État - un avant-projet de décret approuvé par le collège, repris par le ministère des sports, examiné par la Cnil et validé par le Conseil d'État. C'est un supplément d'efficacité, me semble-t-il.
Merci de votre réponse, absolument parfaite. J'entends votre profonde conviction de grand serviteur de l'État, mais vous évoquez là un fonctionnement sur lequel le législateur pourrait s'interroger un jour.
Vous nous avez rappelé la nécessité de créer une AAI dans votre secteur, mais avez repris le laboratoire de Châtenay-Malabry. Qu'apporte une AAI par rapport à ce que peut faire l'État, dont vous dépendez presque totalement budgétairement ?
Le Code mondial antidopage cite la notion d'organisation nationale antidopage (ONAD). Une agence comparable à l'AFLD a été créée en Allemagne en 2002 ; ses maîtres mots, répétés à l'envi à l'occasion de son dixième anniversaire, sont Unabhängigkeit (indépendance) et Finanzierung (financement). L'agence britannique a la particularité de disposer de compétences non seulement de contrôle mais aussi de renseignement. Nous développons des liens avec ces agences, avec des échanges de stagiaires, des symposiums, et sommes réunis par le bureau Europe de l'AMA. Grâce à cette unité dans la lutte antidopage, nous diligentons des contrôles lors des compétitions nationales - pour les compétitions internationales, le Code mondial antidopage donne compétence aux fédérations internationales. Nous avons un département des analyses - ce laboratoire accrédité, groupement d'intérêt public devenu établissement public administratif, qui participe à la personnalité morale de l'Agence - et nous supervisons les actions disciplinaires des fédérations sportives, qui restent en première ligne dans la lutte contre le dopage, en harmonisant les sanctions.
Nous devons coopérer avec les autres intervenants. Quand j'ai diligenté le premier rapport d'activité, j'ai utilisé le terme de « coopération loyale », emprunté au vocabulaire de l'Union européenne. J'ai ainsi signé des conventions avec le ministère des sports, l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique dépendant de la gendarmerie nationale et la Direction des douanes. Cette unité d'action permet une plus grande visibilité et une plus grande efficacité de l'action ; je ne suis pas sûr qu'un bureau au sein de la Direction des sports puisse en faire autant.
En revanche, l'Agence doit poursuivre le dialogue. La politique de prévention est davantage l'apanage du ministère des sports, en liaison avec les fédérations agréées via des contrats d'objectifs ; j'ai des relations avec le mouvement sportif et j'organise chaque année des journées sur la lutte antidopage avec la commission médicale du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Je n'ai pas le sentiment de ne pas respecter les termes de la loi du 5 avril 2006.
Quelle différence faites-vous entre API et AAI ? Que vous apporte la personnalité juridique ?
Pouvez-vous faire l'exercice contraire et nous dire ce qui se passerait si les sanctions administratives de l'Agence étaient directement signées par le ministre des sports et instruites par ses services sous son autorité ? L'autorité et l'impartialité de ses décisions seraient-elles accrues ?
Notre personnalité morale distincte de l'État nous donne des possibilités supplémentaires, comme celle de bénéficier de recettes affectées. Mon prédécesseur, Pierre Bordry, militait pour l'augmentation de la taxe perçue sur les droits de cession des retransmissions des grandes compétitions sportives, dite « taxe Buffet », instaurée par la loi de finances de décembre 1999, et pour l'affectation d'une partie du produit à l'AFLD. Le Conseil d'État avait rendu un avis favorable sur cette disposition, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale mais ensuite supprimée par un amendement du gouvernement lors de l'examen au Sénat. Certains ont cru y voir une pression du monde du football... Lorsqu'elle était ministre des sports, Mme Chantal Jouanno était favorable à cette idée, mais ses successeurs ne l'ont pas reprise. Le statut d'API offre donc des virtualités, même si elles n'ont pas encore été concrétisées.
Cher Alain Richard, la loi de juillet 1989 n'a reçu quasiment aucune application. Alors que le ministre exerce un pouvoir disciplinaire sur ses agents, l'AFLD dispose d'un pouvoir de sanction plus légitime envers un tiers à l'administration, se substituant quasiment au juge pénal. Il lui faut donc répondre à une exigence d'impartialité. Même si en droit interne, l'AFLD est un organisme administratif, elle est, dans ses fonctions disciplinaires, un tribunal au regard de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme comme un tribunal et doit à ce titre répondre aux conditions d'un procès équitable.
Je suis toujours gêné quand j'entends que l'État pourrait ne pas être impartial... Mon vieux fond jacobin, sans doute !
L'appréciation de la notion d'impartialité est variable, y compris dans la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel.
que je ne citerai pas par coeur. Existe-t-il des recours contre les sanctions ?
Un recours de pleine juridiction devant le Conseil d'État est possible, c'est une garantie pour les sportifs, mais le taux de recours relativement faible prouve que les décisions sont en général bien acceptées. Le Conseil d'État a pu annuler certaines décisions pour vices de procédure, comme un délai insuffisant de communication du dossier par rapport à la date de réunion du collège, mais la Cour des comptes a jugé que le fonctionnement disciplinaire était satisfaisant. Je dirai pour ma part : très satisfaisant !
Oui, sur l'inscription de sportifs dans le groupe cible. Nous avions interprété les textes comme conférant cette compétence au directeur des contrôles, alors que le Conseil d'État a déduit d'une ordonnance du 14 avril 2010 modifiant l'article L 232-15 du code du sport que cette compétence devait être exercée par le collège, et nous a censuré par son arrêt Belhomme du 10 octobre 2012.
Je ne reviens pas sur le problème de la monoculture de ces AAI - qui ne remet nullement en cause la qualité des personnes - même si cela reste pour nous un sujet d'interrogation.
Derrière l'indépendance se posent des questions de financement, et derrière la personnalité juridique existent des capacités de contrôle différentes. Vous avez été contrôlé au travers d'une commission d'enquête parlementaire, dites-vous, mais celles-ci ne sont pas régulières. La vraie question est celle du contrôle régulier des AAI et API, notamment par le législateur. Un statut de service à compétence nationale (SCN), permettant un contrôle plus facile et plus répétitif du Parlement, n'aurait-il pas été plus approprié ?
Des manifestations sportives se tiennent dans tous les pays du monde, or tous n'ont pas une agence nationale antidopage. Comment les choses se passent-elles dans ce cas ?
Quels sont les rapports de l'AFLD avec l'AMA ? Une agence nationale n'est-elle pas trop étriquée ? Pourquoi ne pas créer une agence européenne ?
Je suis toujours étonné que l'État soit tenu comme plus partial que ceux qu'il nomme. Ma question est un peu naïve - vous savez, je suis churchillien en matière de sport : « no sport ». Vous avez justifié le rôle de l'AFLD par la mission de service public que remplit le sport. Vu de l'extérieur, on a le sentiment que coexistent deux univers sportifs : celui des vrais amateurs, et celui de l'usine à fric du sport spectacle de plus ou moins bonne qualité avec des enjeux financiers considérables. Que venons-nous faire dans cette affaire ? S'agit-il de tenter de faire croire que ces compétitions sont des modèles d'honnêteté et de probité, histoire que le sport-spectacle ne perde pas trop de sa valeur ? Compte tenu des volumes financiers en jeu, la question est importante.
Ces questions sont toutes très intéressantes. N'ayant pas réfléchi spécialement aux services à compétence nationale, je peux difficilement répondre à cette interrogation.
Chaque année, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, le secrétaire général de l'Agence et moi-même rencontrons le rapporteur spécial de la mission dont relèvent nos crédits, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission compétente. C'est l'occasion d'échanger sur les activités de l'Agence. Mme Marie-George Buffet, rapporteure pour avis de l'Assemblée nationale pour la mission Sport, le fait avec bonheur. Je suis ouvert au débat et ai souvent été auditionné. Je conçois parfaitement que le Parlement veuille exercer son droit de regard. Nous élaborons chaque année un rapport d'activité, qui est remis au Parlement.
Dans d'autres pays, les apparences sont parfois flatteuses : la convention de l'Unesco relative à la lutte contre le dopage rassemble 178 États représentant 96% de la population mondiale, mais les efforts accomplis sont très inégaux selon les pays et les disciplines. Parmi les 32 ou 33 laboratoires d'analyses accrédités par l'AMA, 18 se trouvent en Europe, 2 en Afrique... La lutte contre le dopage suppose de lutter contre le trafic de substances illicites, or seuls 70 États répriment pénalement ce type de trafic... Raison supplémentaire pour une agence nationale de donner le bon exemple, et de prendre le monde du sport au mot. Lorsqu'il n'y a pas d'agence nationale, ce sont les fédérations sportives qui font leur propre police, mais parfois dans des conditions peu satisfaisantes.
Lors de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud, 100 000 dollars ont été dépensés pour 256 contrôles avant la compétition, et une somme équivalente pour autant de contrôles pendant la compétition : ce n'est pas à la mesure de l'évènement. Nous devons rappeler à l'AMA et au mouvement sportif qu'ils doivent être non seulement croyants en matière de lutte antidopage, mais aussi pratiquants !
L'AMA a cette grande vertu de pouvoir coordonner les efforts en matière de recherche ou de rassembler les savoir-faire. Les avant-projets de décret sur le profil biologique du sportif s'inspirent de ses lignes directrices.
Une agence européenne ? En référence à la convention du 16 novembre 1989, nous essayons, au sein du Conseil de l'Europe, de dégager des vues communes pour peser davantage auprès de l'AMA ; c'est Mme Valérie Fourneyron qui représente le Conseil de l'Europe au sein de son comité exécutif.
La notion d'impartialité répond à la neutralité du service public, mais l'impartialité exigée d'un juge ou d'un organisme doté d'un pouvoir de répression est d'un niveau plus exigeant, car on raisonne en fonction d'éléments objectifs mais aussi subjectifs : voyez l'évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il y a donc des degrés, même si, comme vous, je suis très attaché à la continuité, la neutralité et l'impartialité de l'État.
Vous m'avez également interrogé sur la mission de service public liée à l'hétérogénéité des sports. Cette objection avait été formulée en 1974 devant le Conseil d'État par un membre de la juridiction - à l'époque nommé improprement commissaire du gouvernement - qui avait estimé qu'il n'était pas possible de reconnaître le caractère de service public de l'organisation du sport du fait de son hétérogénéité, opposant les professionnels aux amateurs. L'avantage, à mes yeux, est que cela permet un droit de regard de l'État, y compris lorsque l'argent est présent. Je dois pouvoir dialoguer avec la Fédération française de football mais aussi avec la Ligue. Je vais d'ailleurs recevoir des représentants des groupements professionnels pour débattre de la lutte antidopage.
J'en viens à me demander si vous n'êtes pas indispensable pour faire croire à la fiction des compétitions, alors qu'il ne s'agit que de spectacles qui rapportent beaucoup d'argent ?
Il faut prendre en compte deux aspects dans la lutte contre le dopage : d'abord, l'impératif de santé publique, tant lors des compétitions qu'à l'entraînement. En second lieu, il faut défendre l'éthique du sport et donc éviter que la compétition entre athlètes devienne une lutte entre laboratoires fabriquant des substances permettant l'amélioration artificielle de performances.
Nous nous appuyons sur la loi française et contrôlons aussi bien les compétitions amateurs que professionnelles. Nous avons ainsi contrôlé les joueurs de la dernière finale de la Coupe de la Ligue l'an passé et de la Coupe de France cette année. Aucun domaine n'est à l'abri des contrôles, quels que soient les moyens et les enjeux financiers. Une agence indépendante n'a pas peur d'intervenir.
Les membres sont nommés pour une durée de six ans et sont renouvelés par tiers tous les deux ans. Deux mandats successifs sont possibles, la proposition de loi prévoyant qu'un membre remplaçant un autre pour un mandat de moins de deux ans peut être nommé pour un nouveau mandat. En ce qui me concerne, je cesserai mes fonctions à l'expiration de mon mandat.
Lorsque je remets les coupes de la course des As, j'attends le résultat des contrôles antidopage - qui n'ont pas lieu tous les ans. Qui en décide ?
Le collège de l'Agence définit chaque année un programme de contrôles, en respectant l'équilibre entre sports individuels et collectifs. Dans ce cadre, le directeur du département des contrôles détermine la stratégie des contrôles, de façon bien évidemment confidentielle. En outre, nous laissons un quota de contrôles aux échelons régionaux et interrégionaux. Les commissions régionales permettent un échange d'information entre les diverses administrations de l'État pour mieux cibler les contrôles.
Le nombre de contrôles positifs régresse, avez-vous dit, parce que les tricheurs disposent de techniques de plus en plus difficilement détectables. Vous avez ajouté qu'il convenait de mener des contrôles indirects, plus en amont. Mais les tricheurs continueront à tricher, car qui dit compétition dit argent : comment l'Agence peut-elle anticiper sur la recherche médicale ?
Vous avez laissé entendre que les sanctions administrées par l'Agence sont justes parce qu'elles sont acceptées. Cette relation de cause à effet ne me semble pas évidente : l'acceptation d'une sanction peut simplement signifier qu'elle est jugée modérée. L'Agence n'est-elle pas trop indulgente ?
Le dopage organisé est en recul et nous rendons la tâche toujours plus difficile aux tricheurs. L'AMA, en liaison avec le ministère des sports, a organisé à l'Assemblée nationale le 12 novembre 2012 un colloque regroupant les grands laboratoires pharmaceutiques et les acteurs de la lutte antidopage afin d'inciter les premiers à faire connaître aux laboratoires accrédités par l'AMA les médicaments en cours d'élaboration contenant des substances considérées comme dopantes, afin que ceux-ci puissent élaborer des méthodes de détection. Ce travail repose sur le volontariat : les laboratoires peuvent toutefois y avoir intérêt pour lutter contre le marché noir. Je regrette que le laboratoire de Châtenay-Malabry n'ait eu à connaître que de deux substances.
Les sanctions sont-elles justes ? Les décisions du collège sont jugées légales par le Conseil d'État. J'agis dans le cadre de la loi, ce qui ne signifie pas que le collège soit laxiste. D'ailleurs, un certain nombre de sportifs contestent nos conclusions, mais leurs requêtes sont écartées. Le 5 mai dernier, un sportif contrôlé à l'EPO et évincé des Jeux olympiques de Londres a vu sa requête rejetée par le Conseil d'État. Nous nous référons aux critères du Code mondial antidopage mais il n'y a pas d'automatisme absolu des condamnations, car ce serait contraire au droit français : nous tenons compte des circonstances.
Faut-il créer une AAI pour lutter contre le travail dissimulé, avec un collège composé de représentants de la haute fonction publique, du Medef et de la CGT ?
En matière de travail dissimulé, nous disposons des conventions de l'OIT qui confèrent une totale indépendance aux inspecteurs du travail, reconnue d'ailleurs par l'arrêt du 4 novembre 1966 du Conseil d'État statuant au contentieux. A priori, misons sur l'inspection du travail et augmentons ses effectifs. Je ne recommanderai donc pas en l'état de créer une AAI dans ce domaine puisque l'indépendance est déjà assurée.
Je vous remercie pour cette réponse qui ne me satisfait pas totalement.
Nous avons en mémoire l'annonce, tardive, du dopage de grands seigneurs du Tour de France. Avez-vous agi ? Dans certains sports, en dépit des efforts, le dopage semble être une constante...
Le Tour de France est une manifestation internationale qui, d'après l'article 15 du Code mondial antidopage, relève de la fédération internationale. Cette dernière peut agir seule mais aussi, par voie de convention, avec une agence nationale. Celle-ci peut en outre demander à effectuer des contrôles supplémentaires, même pour une compétition internationale. Si la fédération internationale n'est pas d'accord, on sollicite l'arbitrage de l'AMA. Depuis que je suis président, l'Agence a recherché un accord avec l'Union cycliste internationale, conformément aux préconisations faites le 6 novembre 2010 par les experts de l'AMA qui avaient supervisé le Tour de France 2010. Nous l'avons perfectionné d'année en année : ainsi les contrôles n'ont pas lieu seulement pendant le Tour mais aussi en amont, grâce à la localisation des sportifs et à l'échange d'informations entre l'Agence nationale et la fédération internationale sur le profil biologique des sportifs. Nous prévoyons des contrôles aussi inopinés que possible pendant le Tour. Nous avons également demandé à la Fondation antidopage dans le cyclisme, qui relève de l'Union cycliste internationale, d'annoncer la conservation des échantillons prélevés pour des analyses ultérieures afin qu'elles bénéficient des progrès de la technique, sur le modèle de ce que fait le Comité international olympique. Nous sommes en cours de discussion sur les mêmes bases avec l'UEFA dans la perspective de l'Eurofoot qui se tiendra en France l'année prochaine.
Puis, la commission auditionne Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine.
Nous recevons Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine, accompagnée de M. Stanislas de Champroux, chargé de mission au sein de la mission Opérations immobilières des administrations centrales et autorités administratives indépendantes. France Domaine est un service de la direction générale des finances publiques rattaché directement au directeur général dont les missions sont définies par l'article 2 du décret du 3 avril 2008. Il représente l'État propriétaire tant dans les relations internes à l'État - entre administrations ou avec les opérateurs de l'État - qu'externes, avec les occupants du domaine de l'État, les candidats à l'acquisition de biens de l'État et les prestataires de toute nature. Il a notamment en charge le suivi du plan de cession, la gestion et l'entretien des immeubles domaniaux et, plus largement, la valorisation du patrimoine immobilier de l'État. Vous avez donc en charge le suivi des AAI, mais jusqu'où porte votre contrôle ?
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Nathalie Morin et M. Stanislas de Champroux prêtent serment.
Il n'y a aucune incompatibilité de fond entre les statuts des AAI et le respect par ces autorités des orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État. Les AAI sont des autorités indépendantes, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas soumises à l'autorité hiérarchique d'un ministre, mais, exception faite des API qui ont une personnalité juridique et des ressources propres, les AAI dépendent pour leur budget d'un ministère. L'immobilier est une fonction support ; sa gestion rationnelle et économe est pertinente pour tous. Il y a d'autant moins atteinte à l'indépendance de ces autorités que la politique immobilière de l'État intègre dans ses critères la réponse aux besoins exprimés par les occupants. Le caractère fonctionnel d'une solution immobilière est examiné de très près et est au coeur des avis que nous délivrons. Les AAI ont ainsi généralement besoin de grandes salles de réunion et, pour celles qui prononcent des sanctions, de salles d'audience. Elles sont composées de personnalités qualifiées venant d'horizons divers et l'accessibilité de leurs locaux est essentielle. Pour autant, le respect des ratios d'occupation pour le personnel et les plafonds de loyers doivent s'appliquer.
Dans la pratique, les relations entre France Domaine et les AAI sont compliquées car mal assises juridiquement. Pour ce qui est de la soumission des AAI à l'avis domanial, il faut distinguer deux cas de figure. La situation des AAI dépourvues de personnalité juridique n'est pas explicitement tranchée dans le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). D'après France Domaine, le CG3P et le décret de 1986 conduisent à penser que les AAI sont soumises à l'avis domanial. Celui-ci prévoit en effet que sont soumis à cet avis tous les services qui perçoivent des financements de l'État et qui font l'objet d'un contrôle budgétaire permanent de la part d'une autorité nommée par l'État. Mais ce raisonnement est fragile, car il repose sur une assimilation et le support juridique est réglementaire et non législatif.
Pour les API, la situation est plus simple : ne sont soumises à l'avis domanial que celles pour lesquelles les textes constitutifs le prévoient expressément. C'est le cas de l'Autorité des marchés financiers (AMF), de la Haute autorité de santé (HAS) ou du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C). Nous avions tenté en 2010, lors de l'examen d'un projet de loi portant simplification domaniale, d'étendre aux autres API la soumission à l'avis domanial, mais cette proposition n'a pas prospéré car elle risquait d'être qualifiée de cavalier législatif. Nous parlons ici d'un avis domanial simple, avant la mise en oeuvre de la politique immobilière de l'État. Cet avis ne porte que sur la conformité au prix du marché des valeurs locatives. La conformité de l'opération aux orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État découle des circulaires de 2009, non du CG3P, et ne semble pas applicable aux AAI.
J'en viens à l'obligation de produire un schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI). Un courrier d'octobre 2011 de la ministre chargée du domaine a demandé à chaque président d'AAI de produire un SPSI. Si la portée symbolique d'un tel courrier est forte, sa portée normative l'est beaucoup moins. Sur les 38 AAI sollicitées, seules 13 ont produit un SPSI, dont certains sont très succincts.
La relation entre France Domaine et les AAI dépend donc essentiellement de la bonne volonté des présidents de ces AAI : certains ont joué le jeu, d'autres, moins. Sous l'impulsion du Parlement, des progrès significatifs ont été réalisés depuis 2010. Le rapport de Nicole Bricq sur les loyers de l'État a fait ressortir des marges de progrès pour les AAI, tant du point de vue des ratios d'occupation que des prix locatifs au mètre carré. Ces données sont actualisées tous les ans dans le cadre des questions que les parlementaires adressent à l'administration pour la préparation de l'examen du projet de loi de finances. Toutefois, ces données sont déclaratives, et France Domaine n'a aucun moyen de s'assurer de leur fiabilité.
Le parc est désormais beaucoup mieux connu grâce à l'enquête de 2011 et aux actualisations. Des actions efficaces ont été conduites sur les loyers. En 2012, France Domaine a renégocié systématiquement les baux franciliens supérieurs à 100 000 euros. Ainsi, le bail du Conseil supérieur de l'audiovisuel est passé de 575 euros le mètre carré à 431 euros. Certaines AAI ont spontanément demandé à France Domaine de les assister dans des renégociations de baux. Ainsi, le Défenseur des droits, autorité pourtant constitutionnellement indépendante, s'est rapproché de nous lors de sa création en 2012 par fusion de quatre entités : il a été décidé d'abandonner deux sites et de renégocier les baux des deux autres. En 2014, les baux du Défenseur des droits et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ont été renégociés par France Domaine pour aligner leur durée sur l'arrivée de ces deux autorités sur le site de Fontenoy fin 2016. Cela a permis une économie annuelle de 900 000 euros.
Même si elles ne passent pas par France Domaine, certaines AAI appliquent les orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État : c'est le cas de l'AMF, qui a négocié seule son loyer en 2013, obtenant une diminution de 30 %. La HAS, qui est déjà sur une localisation très vertueuse, à Saint-Denis, en a fait de même en 2012. L'exigence d'économies se diffuse donc, et France Domaine se rapproche des AAI lorsqu'approche l'échéance du bail.
Des opérations de relocalisation ont été conduites : la Commission nationale des comptes de campagne est passée de l'avenue de Wagram, à 523 euros le mètre carré, à la rue du Louvre, à 400 euros. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), particulièrement exemplaire, a quitté Paris pour Montrouge et Fontenay-aux-Roses. Le projet Fontenoy regroupera sept AAI à la fin 2016.
Certaines AAI ne se sont pas relocalisées, non par mauvaise volonté, mais parce que les circonstances ne le permettaient pas : l'Autorité de la concurrence occupe ainsi deux immeubles locatifs dont les loyers sont très faibles et un immeuble domanial qui ne leur coûte rien. La Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) n'a pas non plus déménagé car son avenir n'étant pas assuré, il n'est pas opportun de lancer des négociations.
Les AAI qui se créent se rapprochent spontanément de nous : ce fut le cas de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP), que nous avons localisée rue de Richelieu, dans un immeuble déjà pris à bail par l'État où des locaux étaient vacants.
Ainsi, même si les relations ne sont pas institutionnellement cadrées, France Domaine a noué des contacts avec diverses AAI depuis 2010 pour renégocier des baux ou changer de localisation.
Les AAI sont de plus en plus vertueuses, ce qui signifie qu'elles ne l'ont pas toujours été et que certaines ne le sont toujours pas. Vous souhaitez une clarification des relations entre les AAI et France Domaine, pour mettre fin au flou juridique actuel. Pourrions-nous disposer d'un tableau de la situation foncière de chacune de ces AAI, comprenant les surfaces, les emplacements, les loyers, les ratios d'occupation ? Pourriez-vous nous parler des mauvais élèves ?
Ce tableau existe : il a été fourni à la commission des finances de l'Assemblée nationale dans le cadre du questionnaire sur le projet de loi de finances pour 2015. Mais France Domaine ne peut garantir la fiabilité des informations...
Je dis simplement que nous n'avons pas été en mesure de nous assurer de la véracité de ces données. Les postes de travail des AAI sont globalement en augmentation : est-ce le reflet de la réalité ou est-ce afin de modifier le ratio d'occupation ?
Ce tableau a le mérite d'exister et de faire ressortir les loyers supérieurs aux normes acceptées par France Domaine à Paris, à savoir 400 euros le mètre carré.
J'en viens aux AAI que vous avez qualifiées de mauvais élèves. Nous avons assez peu de contacts avec l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) qui n'a pas transmis de SPSI et qui a pris à bail 750 mètres carrés dans Paris sans nous consulter, ni en amont, ni en aval. Certes, le prix au mètre carré est inférieur au plafond, mais les charges sont extrêmement élevées de sorte que le prix total est important.
L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), quant à elle, loue 27 000 mètres carrés et a refusé de transmettre un SPSI, considérant qu'elle relève de la Banque de France. Elle est locataire en centre d'affaires, solution extrêmement coûteuse, avec des loyers, charges comprises, entre 640 et 700 euros le mètre carré. Ces solutions sont habituellement réservées à de plus petites surfaces. L'enjeu est donc très important.
Elle a une implantation au Mans, à 130 euros le mètre carré, et une autre à Paris.
Je vous adresserai le tableau récapitulatif. L'ACPR dispose de deux locations, l'une au 61, rue Taitbout, d'une surface de 17 293 mètres carrés et l'autre au 53, rue de Châteaudun, de 10 549 mètres carrés.
On nous annonce 650 postes de travail pour la première location et 471 pour la seconde. La norme est de 12 mètres carrés de surface utile nette par poste de travail.
En 2011, l'ACPR a fait répondre à la ministre par le gouverneur de la Banque de France qu'elle se considérait en dehors du champ.
Non, car le gouverneur nous a dit qu'un SPSI nous serait adressé ultérieurement. Mais rien n'est venu.
Les débats ont été assez longs avec le Défenseur des droits car il voulait soit intégrer Fontenoy de façon très anticipée, fin 2014, soit prendre seul une location afin de tenir compte de l'échéance première des baux. Le directeur de cabinet du Premier ministre a tranché : le Défenseur des droits rejoindra Fontenoy dès la fin 2016, dans les conditions initiales. Nous avons donc renégocié son bail.
Tout à fait. Les sept AAI qui y seront logées pourront mutualiser un certain nombre de fonctions supports. Ce sera une maison des libertés publiques, regroupant le Défenseur des droits, la Cnil, la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada)...
Les collèges des AAI se réunissent en moyenne une fois par mois. Ne pourrait-on mutualiser davantage les locaux, pour réaliser des économies ?
Il faudrait une maison des AAI ! Plus sérieusement, prenez-vous en compte les économies d'énergie ?
Compte tenu de notre association souvent tardive et limitée dans la négociation d'un bail, nous n'avons jamais eu à intervenir sur l'optimisation énergétique d'un bien.
Comme le Défenseur des droits reste dans ses anciens locaux durant deux années supplémentaires, nous avons demandé au bailleur de prendre à sa charge la réfection des ascenseurs et le réaménagement de certains locaux.
Ce fut le cas de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), futur Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hceres), mais une renégociation est en cours. C'est aussi le cas de l'ACPR, de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), du Défenseur des droits - mais la situation est transitoire -, du H3C. Deux ans avant l'échéance des baux, nous signalons aux AAI qu'il conviendrait de renégocier ou de chercher une autre localisation.
Vous représentez l'État propriétaire mais ne disposez pas des outils juridiques pour imposer aux AAI votre intervention.
En effet. Nous proposons notre assistance, mais nous ne sommes pas fondés à intervenir en opportunité, comme nous le faisons pour les services de l'État.
Les localisations sont concentrées à Paris, et même dans certains quartiers. Comment le justifie-t-on ? Il semble que les animateurs d'AAI soient issus d'un vivier assez restreint, résidant à l'intérieur d'un périmètre limité...
Des membres du Conseil d'État, par exemple ! Les AAI n'en sont souvent pas très éloignées.
Cette concentration est réelle. Mais même avec une assise juridique plus solide, il serait difficile à l'État propriétaire de contester la localisation d'une AAI. Il faudrait bien évaluer ses besoins, et cela risquerait d'entrer en conflit avec le principe d'indépendance de l'AAI.
C'est au moment de la création de l'AAI qu'il faut y penser. Du reste, la diversité des AAI est totale, qu'il s'agisse du statut des membres, de la durée de leur mandat, qui peut être renouvelable ou non... Or c'est l'État qui paie, par des crédits budgétaires ou en mettant des ressources à disposition. La plupart des AAI étant créées par une loi, c'est aussi au législateur à se pencher sur la question.
Certaines sont dans du domanial, c'est-à-dire qu'elles occupent des immeubles appartenant à l'État. C'est le cas de l'une des trois implantations de l'Autorité de la concurrence, de l'ASN à Fontenay-aux-Roses, de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, de la Commission nationale du débat public, de la Commission nationale d'aménagement commercial, de la Commission paritaire des publications et agences de presse et de la Commission de la sécurité des consommateurs. Le coût est alors indirect : c'est celui du coût d'opportunité de la détention par l'État d'un immeuble qui ne dégage pas de loyer.
Non, aucune n'est propriétaire de son bien.
Le Médiateur du cinéma est logé au sein du Centre national de la cinématographie, qui est propriétaire des murs. Il va d'ailleurs être déplacé.
Par la presse ! Nous sommes vigilants. Nous avons ainsi bien noté la naissance de la HATVP, dont les critères d'implantation souples ont permis une installation peu onéreuse pour l'État et, à ce titre, exemplaire.
Le principe d'autonomie des AAI va-t-il jusqu'à leur laisser toute latitude pour choisir leur lieu d'implantation ? Elles ne décident pas de leur budget, par exemple. Leur indépendance n'est donc pas absolue, et je ne vois pas pourquoi l'État ne pourrait pas les déplacer. En quoi une AAI implantée à Bordeaux, Clermont-Ferrand, Lyon ou ailleurs serait-elle moins efficace ?
J'ai simplement voulu dire que France Domaine n'est pas légitime pour contester les arguments d'une AAI qui fait valoir qu'elle doit être proche des juridictions parisiennes, des gares...
Les tarifs de location ne sont pas les mêmes selon les villes, selon les arrondissements...
Exactement. Si le fonctionnement des AAI est marqué par une grande diversité, le recrutement y est assez uniforme, et elles sont regroupées dans des lieux que certains qualifieraient de privilégiés.
C'est au secrétaire général du Gouvernement, M. Marc Guillaume, que nous avons auditionné, qu'il revient d'intervenir. Votre rôle est plutôt celui d'un expert.
Elles demandent conseil lorsque leur projet correspond aux critères, et qu'elles savent donc que nous le validerons, ou lorsqu'elles ont effectivement l'intention de suivre notre conseil.
La dernière AAI à avoir été créée est le Médiateur du livre. Comment êtes-vous intervenus ?
J'avoue que j'ignorais son existence.
Le Médiateur du livre est un membre de la Cour des comptes. Il y est donc sans doute installé. Nous l'auditionnerons.
En effet, les magistrats de la Cour des comptes respectent les ratios d'occupation.
J'ai été brièvement membre de la Cada. À l'époque, elle ne disposait pas de locaux en propre mais se réunissait au Conseil d'État.
La Cada est désormais installée au 35, rue Saint-Dominique à Paris. Elle dispose de 274 mètres carrés, qu'elle partage avec d'autres AAI dépendant du Premier ministre. Toutes seront déplacées à Fontenoy, le bien sera donc bientôt complétement libéré.
Merci pour ces informations, qui nous montrent bien la diversité des AAI, dont certaines ont de leur indépendance une idée qui pose problème. Nous formulerons des préconisations.
Tous les services et opérateurs de l'État sont régulièrement auditionnés par le Conseil pour l'immobilier de l'État (CIE) sur la mise en oeuvre de leurs schémas de stratégie immobilière. Le CIE, composé de parlementaires et de personnalités qualifiées, pourrait auditionner aussi les AAI.
Pensez-vous que des AAI pourraient avoir le statut de service à compétence nationale ?
Je ne suis pas certaine que la définition d'un service à compétence nationale s'applique bien à leurs activités. Et cela ne changerait rien à notre problématique immobilière.
La capacité de contrôle de France Domaine sur les implantations immobilières serait mieux renforcée par des dispositions législatives imposant de soumettre un SPSI et de recueillir un avis domanial enrichi que par un changement de statut des AAI. L'avis domanial enrichi permet en effet de se prononcer non seulement sur la conformité du loyer aux prix du marché mais aussi sur celle de l'implantation aux orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État.
Nous créons des AAI sans nous soucier de leur encadrement. Nous devons combler cette lacune législative.
La réunion est levée à 16 heures 50.