Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, il me revient donc de vous présenter, au nom de M. Albéric de Montgolfier, qui n’a pu être présent ce jour, l’avis de la commission des finances : après tant de louanges, la belle sérénité qui s’est installée dans notre hémicycle risque d’être troublée !
La commission des finances s’est saisie pour avis du titre IV de ce projet de loi, qui instaure la prime d’activité. Cette nouvelle prestation sociale, créée en remplacement de la prime pour l’emploi et du RSA activité, représente un enjeu financier majeur, de l’ordre de 4, 1 milliards d’euros. Elle sera entièrement financée par le budget de l’État. La commission des finances s’est déjà intéressée au premier jalon de cette réforme : la suppression du crédit d’impôt qu’est la PPE par la seconde loi de finances rectificative pour 2014.
Dans l’ensemble, la prime d’activité proposée par le Gouvernement semble corriger certains défauts des dispositifs antérieurs. Elle répond notamment aux problèmes de saupoudrage et de décalage dans le temps de la PPE, que rappelait à l’instant Mme la ministre. De plus, elle a le mérite de remplacer deux dispositifs par une seule et même aide.
Toutefois, la commission a souhaité attirer l’attention sur certaines limites comme sur les éléments qui appelleront notre vigilance.
Premièrement, le Gouvernement nous indique que l’objectif de la prime d’activité est à la fois d’encourager la reprise ou la poursuite d’une activité professionnelle et de soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs modestes.
Il est toutefois permis de douter que la prime d’activité ait un impact notable sur le niveau d’emploi, surtout dans un contexte de chômage de masse.
De même, les temps partiels, notamment les plus petits, sont souvent subis par les travailleurs. Ce n’est donc pas la prime d’activité qui, tout incitative qu’elle soit, les conduira à travailler davantage, mais bien une politique économique différente de celle qui est conduite depuis trois ans, c’est-à-dire une politique efficace de lutte contre le chômage.
Deuxièmement, le dispositif législatif est très vague, alors même que le mécanisme de la prime est extrêmement complexe. Le projet de loi se borne, en effet, à fixer le cadre général. De nombreux éléments, pourtant substantiels, sont renvoyés au pouvoir réglementaire, par exemple, le rythme de versement et les règles de calcul.
Je m’étonne que l’ancien sénateur que vous êtes, monsieur le ministre, ne nous fournisse pas un aperçu plus clair des décisions à venir, en plus des formules très complexes émanant de différents rapports, s’agissant de dispositifs engageant profondément les finances publiques.
De plus, la complexité de la formule de calcul est telle que sa définition législative est pratiquement illisible ! Je salue à cet égard la proposition de notre collègue rapporteur de la commission des affaires sociales, qui vise à améliorer la rédaction, très elliptique, de l’article 24 du présent projet de loi pour la rendre plus compréhensible.
Troisièmement, la simplification proposée par le Gouvernement paraît bien relative.
Tout d’abord, la formule de calcul de la prime d’activité, à la fois « familialisée » et individualisée, intégrant différents bonus, est si complexe qu’il sera toujours malaisé, voire impossible, pour un bénéficiaire d’anticiper le montant qui lui sera versé sans faire usage d’un ordinateur !
Ensuite, la base des ressources prises en compte n’est désormais plus identique à celle qui s’applique au RSA socle. L’exclusion de certaines aides, utilisées par ailleurs pour le calcul d’autres prestations sociales, introduit également de la complexité, ce qui emportera des effets sur les conseils départementaux, dont il n’est pourtant pas fait mention, monsieur le ministre.
Enfin, la prime d’activité continue de reposer sur un système déclaratif, qui exigera, des bénéficiaires, la fourniture d’un certain nombre de justificatifs et, des caisses d’allocations familiales, un important travail de vérification et de gestion. Les CAF semblent prêtes à gérer cette nouvelle prestation, mais il est permis de penser que le calcul des primes d’activité sera un exercice complexe et que le risque d’erreurs restera élevé. Certes, des échanges d’informations entre l’administration fiscale et les CAF sont annoncés, mais ils ne devraient être automatisés qu’à la fin de l’année 2016.
Monsieur le ministre, le Gouvernement manque d’ambition dans ce projet. Au lieu de « replâtrer » le RSA activité existant, il aurait pu proposer une véritable réforme reposant sur un mécanisme automatique de soutien financier aux travailleurs modestes, lié à l’imposition des revenus.
Paradoxalement, au moment même où le Gouvernement annonce la mise en œuvre progressive du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, il abandonne toute orientation en ce sens dans ce texte. Il s’agirait pourtant d’une simplification majeure par rapport aux simples aménagements qui sont ici proposés.
Quatrièmement, l’ouverture de la prime d’activité aux étudiants et aux apprentis soulève au moins une question de principe, que nous voulons introduire dans ce débat afin qu’elle soit tranchée, même notre lecture diverge ici de celle qu’en fait la commission des affaires sociales. Compte tenu des seuils d’éligibilité retenus – environ 900 euros –, ne risque-t-on pas d’encourager les étudiants exerçant une activité professionnelle à travailler davantage, au détriment de leurs études ? D’autres avant moi ont souligné que la population étudiante était très composite et que les situations étaient d’une très grande diversité.
Pour la commission des finances, accorder le bénéfice de la prime d’activité aux étudiants est un mauvais signal et constitue une réponse inadaptée aux difficultés que certains d’entre eux rencontrent. Nous reconnaissons, en revanche, l’effort engagé s’agissant des bourses, qui constitue, selon nous, une bonne solution.
De plus, cette extension du champ de la prime, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement, est paradoxale au regard de son objectif principal : inciter et encourager l’exercice ou la reprise d’une activité professionnelle.
Concrètement, très peu d’étudiants et d’apprentis devraient finalement pouvoir y prétendre, compte tenu des critères très restrictifs envisagés. La somme prévue, de l’ordre de 100 millions d’euros, illustre mieux que tous les discours la limite du dispositif.
Le Gouvernement est ainsi prisonnier de ses propres contradictions : tout en affirmant que la prime a pour objectif d’inciter à l’exercice d’une activité professionnelle, il annonce l’ouverture de son bénéfice aux étudiants et aux apprentis et propose, finalement, un dispositif très circonscrit ciblant les étudiants les plus susceptibles de privilégier une activité professionnelle par rapport à leur scolarité !
L’intégration des étudiants dans ce dispositif relève d’ailleurs d’une décision politique, les études préparatoires à ce projet n’en faisant pas mention.
Notre commission des finances a par conséquent adopté un amendement qui tend à restreindre l’ouverture du bénéfice de la prime aux seuls apprentis répondant aux conditions de rémunération et de durée d’activité prévues par le texte. Nous avons souhaité déposer à nouveau cet amendement afin que le débat puisse avoir lieu en séance publique.
Enfin, d’un point de vue financier, l’enveloppe de 4, 1 milliards d’euros prévue repose sur des hypothèses de taux de recours et des paramètres de calcul difficiles à vérifier.
Le Gouvernement estime que seulement 50 % des personnes éligibles demanderont effectivement à bénéficier de la prime, mais ce taux paraît très incertain, en l’absence d’expérimentation locale préalable. Un aléa majeur pèse donc sur le coût réel du nouveau dispositif : si la totalité des personnes éligibles y avait recours, son coût atteindrait 6 milliards d’euros !
Par ailleurs, je souligne que cette enveloppe représente déjà un effort financier de 300 millions d’euros supplémentaires par rapport à ce qu’auraient coûté la PPE et le RSA activité en 2016. Or le Gouvernement propose d’élargir à nouveau le champ des bénéficiaires aux étudiants et aux apprentis, pour 100 millions d’euros de plus.
Il conviendra donc d’être très vigilant au cours de l’examen de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du budget de l’État dans les prochaines années, sur le coût de cette nouvelle prestation. Nous avons connu les débuts – et la fin ! – du RMI, un dispositif dont le coût a été multiplié par huit ou par dix par rapport aux prévisions initiales.
Dans cette perspective, et afin d’identifier de façon plus précise les déterminants de la dépense, la commission des finances a adopté un amendement, intégré au texte issu des travaux de la commission des affaires sociales, visant à compléter le rapport d’évaluation du Gouvernement prévu à l’article 28. Ces informations pourraient, en effet, se révéler utiles pour réfléchir à des ajustements visant à contenir le coût de ce nouveau dispositif.
Pour conclure, si la prime d’activité a le mérite de gommer certains défauts de la PPE et du RSA activité, le mode de calcul et les modalités d’attribution de cette nouvelle prestation sociale restent très complexes. On peut donc regretter que le choc de simplification n’ait pas inspiré le calcul du montant, de la prime d’activité, à la fois « familialisée », individualisée et agrémentée de bonus individuels. Ces mots indiquent bien que les choses ne seront pas simples !
Sous réserve de l’adoption des amendements qu’elle a proposés, la commission des finances a émis un avis favorable à l’adoption du titre IV du présent projet de loi.