Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 23 juin 2015 à 14h30
Renseignement — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Bernard Cazeneuve :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 16 juin dernier s’est conclue par un accord, qui vous permet de vous réunir aujourd’hui pour examiner et, je l’espère, pour approuver le texte élaboré par les représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Lorsque j’ai présenté le projet de loi en première lecture devant le Sénat, tout d’abord devant la commission des lois et la commission des affaires étrangères, puis dans cet hémicycle, j’ai formé le vœu que le Sénat puisse, dans la grande tradition républicaine, exercer tout son rôle pour consolider juridiquement le texte présenté par le Gouvernement puis amendé par les députés. Ce vœu a été exaucé grâce au travail remarquable conduit par les sénateurs sous l’autorité du président-rapporteur Philippe Bas. Je tiens donc à souligner combien la version du texte qui est soumis à votre approbation à l’issue de la réunion de la commission mixte paritaire est inspirée des travaux qu’a menés le Sénat en première lecture.

Lors de l’examen du projet de loi, vous avez forgé toute une architecture de contrôle, qui repose sur une idée simple et que je trouve, pour ma part, incontestable : plus une technique de renseignement est intrusive, plus elle suppose des garanties procédurales renforcées. Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire reprend très précisément cette philosophie, ce qui se matérialise par la reprise des amendements votés par le Sénat dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire. Je pourrais citer par exemple le délai de conservation des interceptions de sécurité courant à partir du recueil et non de la première exploitation, de la saisine automatique du Conseil d’État pour autoriser une intrusion domiciliaire après un avis négatif de la CNCTR ou encore les restrictions à l’usage du IMSI catcher.

Ces amendements provenant du Sénat ont été pour l’essentiel conservés. Il existe d’autres exemples ; je sais que le Sénat fera ce travail important d’inventaire qui démontre une fois de plus l’ampleur de la contribution de la Haute Assemblée à la rédaction de la loi. J’invite d’ailleurs chaque observateur de la vie politique à s’y référer, tant ces travaux sont incontestables.

Même s’il n’est pas d’usage de faire de longs discours à l’occasion de l’examen des conclusions d’une CMP, j’aimerais préciser la position du Gouvernement sur certains amendements adoptés en commission mixte paritaire, commission qui réunit les députés et les sénateurs et à laquelle n’assiste pas le Gouvernement, comme vous le savez.

La commission mixte paritaire a adopté deux amendements ayant pour effet que les techniques mises en œuvre sur le territoire national à l’égard de ressortissants étrangers non résidents n’aient pas à faire l’objet d’un contrôle de la CNCTR. Le Gouvernement est très défavorable à cette proposition, pour des raisons de nature constitutionnelle.

Vous connaissez la position constante du Gouvernement : chaque mesure doit être appréhendée à l’aune des garanties juridiques dont elle est assortie. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est en effet très restrictive quant aux possibilités d’instituer des différences de traitement au détriment des étrangers, même non résidents, dans l’application de la loi française sur le territoire national. En particulier, il est difficile d’admettre de telles différences lorsque le droit à la protection de la vie privée est en jeu. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose de revenir sur ces dispositions en adoptant des amendements de suppression et s’engage à convaincre les députés d’adopter des amendements identiques pour ne pas obérer la réussite de la lecture des conclusions de cette CMP.

Par ailleurs, deux amendements de précision vous seront soumis pour clarifier les rédactions issues de la commission mixte paritaire. Naturellement, le Gouvernement a apporté son aval aux amendements déposés par M. Bas, qui permettent de fluidifier la rédaction issue de la commission mixte paritaire.

J’en arrive à une dernière disposition, sur laquelle le Gouvernement n’a pas déposé d’amendement, mais souhaite préciser l’interprétation qu’il fait du texte et l’application qu’il en aura.

La CMP a souhaité rétablir une disposition issue de l’Assemblée nationale relative à l’échange d’informations entre les services de renseignement et entre les services et les autres administrations. Je tiens à préciser – je souhaite que cela figure au compte rendu de nos travaux – que ces dispositions seront mises en œuvre dans le strict respect des exigences de proportionnalité, pour une finalité déterminée, au profit de services limitativement énumérés et dans le respect des missions de ces derniers. Par exemple, les services réalisent des signalements aux caisses d’allocations familiales de bénéficiaires de prestations sociales partis se rendre sur un théâtre de guerre et ne répondant donc plus au critère de résidence sur le territoire national nécessaire à l’attribution des allocations, afin qu’il soit mis un terme au versement pour éviter de donner une source de financement à des activités terroristes. C’est dans ce type de cas très précis, très circonstanciés, avec des garanties préservées que cette mesure sera mise en œuvre.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je souhaitais formuler. Je remercie une fois de plus le président-rapporteur Philippe Bas, le rapporteur pour avis Jean-Pierre Raffarin et l’ensemble des sénateurs pour la qualité du travail accompli tout au long de la discussion de ce texte. Comme il s’y était engagé, le Président de la République soumettra au Conseil constitutionnel le projet de loi au terme de l’examen parlementaire, comme le lui autorise la Constitution, ce qui permettra encore de renforcer toutes les garanties autour de ce texte.

Je vous remercie une fois encore, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir contribué à donner un cadre à l’activité des services de renseignement – cela n’avait pas été fait jusqu’à présent –, dans un contexte où les progrès de la technologie ont fait leur œuvre. Ce cadre les conduira désormais à intervenir sous l’effet d’un double contrôle : celui d’une commission administrative indépendante, la CNCTR, dont la composition et les modalités de fonctionnement garantiront un haut niveau de contrôle, et celui du juge administratif, qui pourra aller jusqu’à la saisine du juge pénal lorsqu’il sera constaté par le Conseil d’État ou même par la CNCTR que, dans le cadre de la mobilisation d’une technique de renseignement, une infraction pénale aura été commise.

Le contrôle parlementaire a également été renforcé, puisque la délégation parlementaire au renseignement disposera désormais d’une possibilité d’effectuer de puissants contrôles sur l’activité des services de renseignement, ce qui n’était pas le cas avant cette législature, au moment où cette délégation parlementaire a été instituée. C’est dire la volonté du Gouvernement et de l’ensemble de la représentation nationale de faire en sorte que l’activité des services de renseignement permette, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, de protéger résolument et fermement les Français contre des risques dont nous avons vu à quel point, lorsqu’ils se traduisent par des actes destinés à saper les fondements de la République, ils peuvent être meurtriers et nous conduire à devoir relever des défis.

Nous souhaitons que cette loi fasse entrer notre pays dans la liste des démocraties dont les services sont contrôlés de la façon la plus exigeante et la plus rigoureuse qui soit.

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