Intervention de Dominique Watrin

Réunion du 24 juin 2015 à 21h30
Dialogue social et emploi — Article 19

Photo de Dominique WatrinDominique Watrin :

J’anime un atelier législatif sur la santé au travail, qui a déjà réuni une centaine de participants de milieux divers. Je veux témoigner ici d’une grande inquiétude des différents acteurs sur l’avenir de la santé au travail. La médecine du travail est en effet dans une situation de grande misère : de 10 000 médecins du travail, il y a quelques décennies, nous sommes tombés à un peu plus de 4 000 aujourd'hui. Or si l’on venait à passer sous la barre des 3 500 médecins du travail, le système se gripperait.

De nombreux dysfonctionnements sont par ailleurs constatés. Au nom d’un meilleur suivi des salariés nécessitant une surveillance particulière, la fréquence des visites médicales ordinaires est déjà passée, depuis 2000, de douze à vingt-quatre mois, et il est prévu d’augmenter la période à trente-six mois.

Les salariés nécessitant une surveillance particulière ne sont pas mieux lotis. Ainsi, à la Française de mécanique, entreprise de mon département qui fabrique des moteurs pour PSA, les retards dans les visites médicales pour les salariés – pourtant censés être mieux protégés – sont de six mois à un an, voire deux ! Or, dans cette entreprise, 450 maladies professionnelles ont été dénombrées entre 2004 et 2010 pour un effectif de 6 000 salariés.

L’article 19 du présent texte reprend en réalité les propositions du rapport du député Issindou, remis le 18 mai dernier, c'est-à-dire il y a à peine un mois, et rendu public le 25 mai dernier, soit trois jours avant le début de la discussion du projet de loi qui nous occupe aujourd'hui. Il s’agit donc d’un cavalier législatif qui mériterait d’être supprimé à ce titre par le Conseil constitutionnel.

Mes chers collègues, on nous demande de voter dans l’urgence, sans explication claire ni loyale, un texte extrêmement nocif. Les médecins du travail nous ont alertés sur certaines mesures de cet article 19 et nous ont fait part de leurs inquiétudes. Celui-ci autorise en effet à ne pas suivre les procédures nécessaires à la rupture du contrat de travail pour raisons de santé quand le salarié est atteint d’une maladie très grave, telle que le cancer, d’une pathologie très avancée dont il refuse de reconnaître la gravité ou quand il est victime de harcèlement moral. On pourrait penser qu’il s’agit de situations exceptionnelles, mais, en lisant le rapport de M. Issindou, on s’aperçoit que cette disposition pourrait avoir une application beaucoup plus large.

L’employeur pourrait « également rompre le contrat de travail si l'avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ». Dans ce cas, l’employeur serait alors réputé avoir rempli son obligation de reclassement, c’est-à-dire qu’il serait légalement exonéré de toutes ses obligations. Cela s’applique même aux salariés inaptes en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ce qui semble violer, entre autres principes, la protection renforcée de l’emploi de ces salariés. Cette mesure s’ajoute au fait que le texte fait référence aux médecins sans préciser « du travail ».

En l’état du texte, cet article semble par ailleurs autoriser l’employeur à négocier les conditions du licenciement pour inaptitude médicale pendant l’arrêt de travail, à partir des préconisations que lui fournirait le médecin du travail lors de la visite de pré-reprise, et ce avec ou sans l’accord du salarié exigé actuellement.

Le texte prévoit également la transmission d’informations sur la santé des salariés au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ce qui relève pourtant du secret médical.

Nous pensons donc qu’existe un risque potentiel de violation de données individuelles personnelles. Le médecin du travail pourrait ainsi informer l’employeur, dès la pré-reprise, de ses préconisations concernant l’état de santé du salarié et ses possibilités de maintien de l’emploi sans son autorisation. La présence de la mention classique « dans le respect du secret médial » aurait par conséquent été opportune.

Pour beaucoup de raisons, que je n’ai plus le temps de développer ici puisque j’arrive à la fin du temps qui m’est imparti, nous appelons votre attention sur les risques que présenterait cet article, s’il était voté. Il s’agit en outre, je le répète, d’un cavalier législatif. Nous demandons donc que cet article soit supprimé et que le rapport de M. Issindou, qui en est la source, soit diffusé avec toutes les explications adéquates de la représentation parlementaire. On ne peut pas voter des dispositions aussi importantes sur la médecine du travail sans disposer de toutes les informations et de toutes les données nécessaires. Nous relayons ici l’inquiétude des médecins du travail.

Mes chers collègues, nous vous invitons donc, lors du scrutin public que nous allons demander, à rejeter sans hésiter l’ensemble des dispositions de cet article 19.

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