Au groupe CRC, nous n’avons jamais été des fans du compte pénibilité, qui a été une façon de faire passer plus facilement la dernière réforme des retraites, c'est-à-dire le recul progressif à soixante-deux de l’âge de la retraite. Dès le début, nous avons souligné les effets limités de ce compte : le départ à soixante et un ans pour les plus âgés et au mieux à soixante ans pour les plus jeunes postulants, dans le cadre des cent points du compte. Nous avons dit que ce système ne permettait pas une véritable prise en compte de la pénibilité, une question pourtant essentielle du fait de l’intensification de la productivité et du développement des maladies professionnelles liés bien souvent à la recherche maximale du profit.
Nous avions proposé une tout autre piste : le départ anticipé à la retraite pour tous les salariés ayant exercé des métiers pénibles. Finalement, c’est tout le contraire qui a été retenu avec le compte pénibilité, un système à la fois compliqué et limité. Ses limites sont d'ailleurs tellement évidentes que le Gouvernement nous propose, à l’article 19 sexies du présent projet de loi, de revoir drastiquement à la baisse la surcotisation appliquée aux entreprises dont les salariés sont exposés aux facteurs de pénibilité : le taux de 0, 3 % passerait à 0, 1 % pour les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité, et le taux de 0, 6 % serait porté à 0, 2 % en cas de polyexposition. Rappelons que la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites prévoyait entre 0, 3 % et 0, 8 % pour un facteur de pénibilité. On ne peut pas plus clairement prendre acte des reculs.
En réalité, on le sait, dès le départ, le Gouvernement a été soumis aux pressions du MEDEF. Force est de constater qu’il cède sur tous les fronts. M. Valls a d'ailleurs parlé d’adresser un message de confiance aux entreprises… Au nom de la simplification, il reporte la prise en compte de sept facteurs d’exposition sur dix, il baisse la participation patronale et, cerise sur le gâteau pour le MEDEF, il supprime la fiche individuelle d’exposition.
À ceux qui voudraient nous faire passer pour des adeptes de la surenchère ou pour des maximalistes, je voudrais rappeler ceci : depuis la loi du 9 novembre 2010, l’article L. 4121-3-1 du code du travail dispose que l’employeur doit consigner dans une fiche « les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé, la période au cours de laquelle cette exposition est survenue ainsi que les mesures de prévention mises en œuvre par l’employeur pour faire disparaître ou réduire ces facteurs durant cette période. »
Or, à ce jour, les employeurs n’ont aucunement respecté cette obligation : les fiches n’existent toujours pas dans de nombreuses entreprises. Ils prétendent se préoccuper de la pénibilité, mais refusent la plupart du temps d’assurer la traçabilité des expositions subies par les travailleurs qui permet à ces derniers de faire valoir leurs droits. Voilà la réalité ! La traçabilité est bien la question essentielle pour faire de la prévention, pour recenser les postes de travail pathogènes et obliger les employeurs à transformer ceux-ci, car le but premier est bien d’éviter l’altération de la santé au travail.
Plutôt que de reculer sans cesse, le Gouvernement serait mieux inspiré de revoir la question de la traçabilité. En 1947, ce sont les caisses régionales d’assurance maladie, les CRAM, remplacées depuis par les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT, qui ont été chargées, mais sans succès, de cette tâche. Depuis 2011, ce sont les services de santé au travail qui assument cette mission, mais sans moyens.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre l’article 19 ter.