Intervention de Philippe Baptiste

Commission d'enquête Réalité du détournement du crédit d'impôt recherche — Réunion du 11 mai 2015 à 14h05
Audition de M. Philippe Baptiste directeur général délégué à la science du centre national de la recherche scientifique »

Philippe Baptiste, directeur général délégué à la science du Centre national de la recherche scientifique » :

Nous avons reçu mercredi soir ou jeudi un certain nombre de questions : nous pourrons répondre à une partie d'entre elles lors de cette audition, et pour un nombre conséquent d'autres vous obtiendrez une réponse écrite de nos services.

Une présentation générale du CNRS me permettra d'emblée de répondre à certaines des questions que vous nous avez adressées. Puis je détaillerai notre politique de valorisation et de transfert, réellement directement liée au CIR. Enfin, j'aborderai le sujet du CIR, en précisant la position du CNRS.

Le CNRS compte 33 000 personnes pour un budget de 3,3 milliards d'euros, dont près de 700 millions d'euros de ressources propres, c'est-à-dire des ressources issues de contrats avec soit des tiers privés, soit des institutions publiques telles que l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou les agences européennes. Notre établissement est implanté sur l'ensemble du territoire et exerce son activité sur l'ensemble du champ de recherche à travers 1 100 laboratoires, y compris une quarantaine de laboratoires situés à l'étranger mis en place avec des entreprises ou des partenaires universitaires. Une mesure d'impact qui vaut ce qu'elle vaut mais reste significative : la marque CNRS abrite quelque 43 000 publications annuelles sur la période 2007-2011.

La politique scientifique de l'organisme est très simple : avant tout, chercher à la frontière des connaissances, soit un positionnement relativement « amont » puisque nous nous situons vraiment sur une recherche qualifiée de « curiosity driven » dans laquelle les chercheurs s'emploient à pousser les frontières du savoir, avec derrière des questions d'excellence académiques sur lesquelles je reviendrai plus tard. Nous ne sommes pas un organisme de recherche et développement (R&D). Évidemment, certains de nos personnels font de la R&D : quand nous construisons un accélérateur de particules, par exemple, cela s'inscrit dans un programme de R&D. Mais nous ne nous positionnons pas comme un organisme relativement finalisé avec des actions de R&D directement au service des entreprises.

Un deuxième grand axe de notre action scientifique repose sur une politique de sites car nous estimons qu'il est aujourd'hui crucial pour le pays de construire de grandes universités de recherche, et nous faisons le maximum pour y contribuer.

Un troisième axe de notre politique scientifique est consacré à la valorisation et au transfert.

S'agissant de l'excellence, compte tenu de notre orientation « amont » selon lequel notre raison d'être repose sur notre capacité à créer les nouveaux savoirs, notre positionnement vis-à-vis des autres organismes ou universités à l'étranger qui s'inscrivent sur ce même créneau est très important. Je rappellerai juste que nous comptons une vingtaine de lauréats du prix Nobel, une douzaine de médailles Fields et un prix Turing qui sont passés par le CNRS à un moment ou à un autre de leur carrière. C'est un marqueur, parmi d'autres, d'une certaine qualité de la recherche. Nous enregistrons également, dans nos concours de recrutement, un nombre très significatif de candidatures étrangères et nous recrutons plus de 30 % de lauréats étrangers, ce qui témoigne de l'attractivité du CNRS. Enfin, le CNRS figure régulièrement au classement de Thomson Reuters sur l'innovation : notre établissement faire partie des 100 premiers innovateurs mondiaux, aux côtés d'entreprises françaises telles qu'Alcatel-Lucent, Safran, Arkema...

Vous nous interrogiez également, dans le questionnaire, sur la dynamique budgétaire et de ressources humaines de l'organisme. Nous nous inscrivons dans la stabilité budgétaire : la stabilité de notre subvention pour charges de service public (environ 2,56 milliards d'euros après mise en réserve) est complétée par des ressources propres qui, certes, fluctuent d'une année sur l'autre mais se situent entre 600 et 700 millions d'euros. Une partie très significative de notre subvention d'État est consacrée à la masse salariale, à hauteur d'environ 1,2 milliard d'euros, ce qui correspond à près de 25 600 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2014. En 2010, nous comptions environ 28 000 ETPT sur un périmètre comparable, soit une légère érosion du socle d'emplois de chercheurs et d'ingénieurs qui reste relativement marginale.

S'agissant de notre politique de valorisation et de transfert, je voudrais insister sur un point en repartant de notre positionnement sur la recherche de connaissances non a priori finalisées et de l'importance de la valorisation et du transfert pour ce type de recherches. De nombreuses technologies absolument omniprésentes dans notre vie quotidienne proviennent de découvertes totalement inattendues ou simplement motivées par la pure curiosité des scientifiques. Quelques exemples : le laser, le téflon, les antibiotiques, le graphène... Aucun de ces objets, qui ont bouleversé nos technologies et notre société, n'est sorti d'un programme de R&D. Des applications et des procédures de transfert et de valorisation sont nées d'un certain nombre d'explications de phénomènes physiques initialement menées dans un but de progression des connaissances. Je pourrais généraliser en vous parlant de relativité restreinte et générale qui n'a pas été créée pour faire des GPS (« Global Positioning System »). La cryptographie moderne est basée sur des travaux en théorie des nombres datant de plusieurs siècles. La machine de Turing a été inventée comme un pur objet de l'esprit avant de préfigurer l'ordinateur. Idem pour la création du Web. Il suffit d'observer l'histoire pour voir à quel point ce type de travaux de recherche mène à la valorisation et au transfert. Sans recherche fondamentale, il n'y a donc pas de recherche appliquée. Il n'y a pas de recherche technologique sans recherche fondamentale. Je ne suis pas certain de savoir ce qu'est la recherche technologique, mais je suis sûr qu'un jour quelqu'un me l'expliquera.

Des politiques publiques exclusivement centrées sur une intensification de cette recherche technologique relèveraient d'une vision très datée de la recherche et de l'innovation, assise sur l'idée d'un fonctionnement extrêmement linéaire de l'innovation évoluant de la recherche académique à la recherche technologique, au développement industriel et à la mise sur le marché. Toutes les études ont montré, au cours des trente dernières années, qu'une telle chaine linéaire de l'innovation n'existe pas. Dans le débat sur le CIR, qui n'est justement pas un outil de linéarité, c'est quelque chose qu'il faut garder à l'esprit.

La valorisation de nos travaux au CNRS passe par différents types d'outils et de protocoles. Le premier est l'accord de transfert de technologie. La principale forme de transfert de technologie est la licence qui est accordée à un industriel pour l'exploitation commerciale d'un brevet qui a été déposé par le CNRS et par ses partenaires. En découle évidemment une contrepartie sous la forme de versements forfaitaires ou de redevances. L'organisme, en général, conserve la propriété du brevet. Pour donner un ordre de grandeur : nous déposons entre 600 et un peu moins de 800 brevets par an, nous disposons de 4 500 familles de brevets en stock et de 1 438 licences actives. Les redevances que nous percevons s'élèvent à environ 10 millions d'euros par an. Nous obtenions, il y a quelques années encore, grâce à un anti-cancéreux particulièrement efficace, le Taxotère, entre 40 et 60 millions d'euros de plus. J'ai bon espoir que nous retrouvions, d'ici deux ans, des niveaux comparables avec une ou deux nouvelles molécules proches d'une mise sur le marché.

Le deuxième type de transfert de technologie est le contrat de recherche. Tous les mots sont importants : on s'inscrit véritablement dans une relation contractuelle autour de recherches. Nous ne nous situons donc pas sur la prestation de service, ou alors très marginalement. Nous nous situons sur un objet de recherche que nous construisons conjointement avec des partenaires industriels et nous menons des activités de recherche ensemble. La durée de ces contrats varie énormément. Les brevets issus de ces recherches collaboratives sont déposés, en général, en propriété conjointe entre le CNRS et le partenaire industriel et, très souvent, ce dernier peut les exploiter directement. Pour ce type de collaboration, nous ne sommes pas généralement sur des modèles en coûts complets puisqu'il s'agit de recherche que nous construisons ensemble. C'est pourquoi nous opérons plus sur du coût marginal avec une copropriété du résultat. Ces accords peuvent être établis au cas par cas avec des entreprises de taille diverse. Avec de grands acteurs industriels français (25, tous dans le CAC40), nous avons des accords cadres qui structurent sur le plan national pour plusieurs années la manière dont nous travaillons ensemble : Air liquide, Arkema, Veolia, EDF, GDF, Michelin, Peugeot, Pierre Fabre, Thales, Total...

95 % de nos laboratoires sont des laboratoires mixtes entre universités, le CNRS et éventuellement un autre établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST). En quelque sorte, des joint ventures entre plusieurs acteurs de la recherche dont un qui sera chargé de gérer le laboratoire. En découlent des problématiques de systèmes d'information qui ne sont pas encore à un niveau d'opérabilité suffisant, si bien que la remontée d'informations est d'une fiabilité qu'il faut prendre avec précaution. Sur les années 2011, 2012 et 2013, nous oscillons entre 3 000 et 2 300 contrats par an et, en montants, entre 111 et 95 millions d'euros. Affirmer une tendance serait difficile compte tenu des remarques liminaires sur la fiabilité des données. En revanche, ce qui est très frappant, dans l'évolution du nombre de contrats selon qu'ils sont conclus avec des grands groupes ou des petites et moyennes entreprises (PME), est une montée très significative du nombre de contrats avec ces dernières au cours de ces quatre dernières années. On passe environ de 20 % à 40 % entre 2010 et 2014.

Autre moyen de valorisation très important : la création d'entreprises à travers des laboratoires rattachés au CNRS et à ses partenaires. Depuis qu'il est possible de créer des start-up, c'est-à-dire depuis les lois Allègre de la fin des années 1990, nous avons créé 1 100 start-up dans les laboratoires du CNRS. Ce chiffre démontre avant tout que, dans ces laboratoires où nous réalisons de la recherche académique assez fondamentale, il existe une appétence très forte des chercheurs pour aller créer des start-up. L'image, qu'on entend encore circuler de temps en temps, de chercheurs isolés dans leur tour d'ivoire et qui ne seraient pas intéressés par les relations socio-économiques est totalement fausse. Nous rencontrons, cependant, une difficulté à faire croître ces entreprises et ce n'est plus tellement notre métier. Trouver un petit peu d'argent au début de la création de ces entreprises à travers des aides qui sont très nombreuses et très variées de différents niveaux de collectivité publique (départements, régions, Europe...), c'est facile. Ensuite, récolter des fonds au moment où on a lourdement besoin de capital, c'est beaucoup plus difficile et on arrive à des choses un peu étonnantes dans le paysage national avec des taux de survie de ces entreprises technologiques innovantes provenant de laboratoires très élevés mais de grosses difficultés à croître. Quand il s'agit de lever 500 000 euros pour débuter, ça peut se faire, mais quand il s'agit de lever 10 millions d'euros, c'est plus compliqué. Elles peuvent se vendre à l'étranger éventuellement ; ce n'est pas forcément très grave mais ce n'est pas entièrement satisfaisant.

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