Monsieur le président, madame la rapporteure, messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, mon associée et moi-même allons commencer par un court exposé liminaire sur le CIR ; nous aurons ensuite plaisir à répondre à toutes vos questions.
Je me concentrerai pour ma part sur l'objet, mais aussi sur l'historique et la réalité du CIR.
Le titre de la commission d'enquête est parlant : il utilise en effet le terme de « détournement » ; or, comme son nom l'indique, le CIR relève de l'impôt et donc de la fiscalité. En tant que tel, ce sujet procède de la loi d'airain de la fiscalité, qui fait que ceux qui la connaissent le moins en parlent le plus.
Ceci explique, dans le foisonnement de communications sur la fiscalité, et sur le CIR en particulier, la somme d'erreurs, d'imprécisions, d'amalgames ou de fantaisies qui finissent par brouiller les esprits, alors que la réalité est bien plus prosaïque.
J'ai été très impliqué dans le nouveau CIR, François d'Aubert, alors ministre de la recherche, m'ayant demandé en 2003 de lui présenter des idées afin de modifier le régime de l'époque et le rendre compétitif vis-à-vis des régimes étrangers. Selon lui, le CIR entraînait alors peu de recherche dans notre pays, et la France ne comptait pas assez d'emplois de chercheur. Il désirait remédier à cette situation.
J'avais donc procédé à une étude mondiale des différents régimes de CIR, dont j'avais extrait les meilleures pratiques. Mes conclusions avaient été à l'époque retenues par le ministre et surtout le législateur français...
En premier lieu, j'avais recommandé de changer le régime, seulement fondé sur l'accroissement des dépenses de recherche. En 2002-2003, le CIR n'était pris en compte que si les dépenses de recherche s'accroissaient. Ceci rendait le régime assez peu intéressant et privilégiait l'accroissement sur le maintien, ce qui n'était guère favorable à l'emploi. Nos voisins étaient bien plus attractifs.
Il fallait donc passer de l'accroissement au niveau absolu des dépenses de recherche pour que le CIR présente un intérêt.
En second lieu, j'avais préconisé, m'inspirant en cela des régimes des autres pays, que le CIR soit remboursable si l'entreprise ne payait pas d'impôt sur les sociétés. Au-delà de l'intérêt que cela présentait pour la trésorerie des PME, cela permettait de comptabiliser le CIR comme un produit d'exploitation en IFRS, et non comme une ligne d'impôt, ce qui valorisait les comptes des entreprises et les intéressait davantage.
Ces deux grands arguments ont été repris par le ministre puis par le législateur. Cela a abouti à la réforme du CIR de 2004, qui a ensuite été modifiée plusieurs fois. On a ainsi transformé un régime assez peu séduisant en un régime intéressant pour l'emploi des chercheurs, car c'était bien la logique qui était - et qui est toujours - recherchée.
Ce régime n'est pas destiné à la compétition fiscale : son seul objet, depuis 2003, est de compenser la surtaxation que connaît la France en matière de travail qualifié. On avait jusqu'alors favorisé le travail peu qualifié et ignoré le travail qualifié. C'était un vrai problème, entre autres, pour l'emploi des chercheurs. Le coût du chercheur étant plus élevé en France qu'ailleurs, on a eu l'idée du CIR pour compenser cette situation. Pourtant, si l'on compare le CIR au coût du travail du chercheur, la France est juste dans la moyenne. Cela laisse une chance à l'attractivité naturelle de notre pays en matière de recherche, étant donné la qualité de son enseignement, ses capacités en mathématiques et son grand développement intellectuel. Sans CIR, compte tenu de la surtaxation des emplois qualifiés, le talent naturel de la France en matière de recherche ne s'exprimera pas, et le pays n'investira pas dans l'emploi des chercheurs. C'est là toute la philosophie du CIR.
Dans le monde, il existe plusieurs types de CIR ou de fiscalité incitative en matière de recherche. Un premier type de régime cible l'intelligence économique. Il aide, fiscalement ou par subvention, à localiser la propriété intellectuelle dans le pays considéré. On trouve ces régimes au Japon ou en Belgique. Ces pays ne s'intéressent pas à l'emploi des chercheurs, mais au savoir, à l'intelligence économique et à la propriété intellectuelle.
Le second type de régime cherche à développer une recherche ou à attirer les chercheurs dans un pays, alors que celui-ci ne possède que peu de tradition en la matière. On pense aux Pays-Bas, ou à l'Italie, qui copient le régime français et essayent de le rendre plus attractif pour créer de l'emploi et de la recherche. Des régimes comme ceux de la France ont pour vocation de permettre aux talents naturels de s'exprimer, malgré des handicaps structurels, comme la surtaxation du travail qualifié dans notre pays.
Depuis 2004, le CIR a également permis de gérer d'autres événements. L'environnement de la recherche, en France, s'est détérioré en dix ans. La baisse des budgets de la défense n'est pas une bonne nouvelle pour l'emploi des chercheurs. Le budget de la défense a toujours un impact indirect très fort sur l'innovation et la recherche dans tous les pays. La baisse de notre attractivité, à la suite des diverses réformes fiscales de ces dix dernières années, et la perte de notre compétitivité auraient dû entraîner la baisse de l'emploi de chercheur en France. Or, depuis 2008, la recherche est probablement le seul secteur d'activité où l'emploi a continué à progresser dans notre pays.
La philosophie du CIR a donc porté ses fruits. Les montants aujourd'hui en jeu permettent une certaine vitalité de l'emploi. C'est une bonne nouvelle. Il conviendrait de s'inquiéter si cela ne coûtait rien !
Lorsqu'on parle de détournement, le soupçon se porte souvent sur les grandes entreprises. Selon la presse, les grands groupes appréhenderaient plus que leur juste part du CIR, au détriment des PME.
La loi sur le CIR n'est pas une loi en faveur des PME, mais en faveur de la recherche. Elle doit s'appliquer à tout le monde, quelle que soit la taille de l'entreprise. Certes, les grands groupes réalisent plus de recherche en valeur absolue que les PME - ce qui est assez naturel, puisqu'ils emploient davantage de chercheurs - mais, proportionnellement, pas plus que les PME. C'est une fiction qui ne résiste pas à l'observation de la réalité.
Quant au détournement ou à la fraude, on ne les rencontre jamais dans les grands groupes, qui sont cotés et qui ont des procédures de contrôle interne extrêmement complexes. Ce n'est pas là que réside le risque.. En effet, les sociétés qui fraudent le CIR sont de petite taille, se créent puis ses ferment en relativement peu de temps, pour partir à l'étranger. Du fait de leur taille, on les comptabilise toujours dans les PME. La fraude au CIR, qui n'est pas plus importante, selon moi, que la fraude fiscale en général, se rencontre dans ce type de sociétés, et non dans les entreprises du CAC 40 ou du SBF.
À mon sens, le CIR est un bon régime. Certes, il est perfectible. Du fait de mes fonctions, je passe un certain temps à essayer de convaincre des investisseurs américains ou chinois d'investir en France et d'y installer leur centre de recherche, seul point attractif qu'offre notre pays.
J'échoue très souvent, car on me dit que, si ce régime est intéressant, chaque année néanmoins - et la presse anglo-saxonne s'en fait l'écho - on parle de le réformer, même si on ne le fait pas. Ceci produit des dégâts colossaux. Un centre de recherche représente 50 millions d'euros ou 100 millions d'euros d'investissements. Personne ne veut investir autant si les choses doivent changer un an après ! Cela nous fait beaucoup de mal, surtout vis-à-vis des Américains, plus au fait des règles européennes que ne le sont les Asiatiques. Les Américains préfèrent donc investir en Allemagne, pays réputé plus stable de ce point de vue. On perd ainsi bêtement les centres de recherche, alors que notre régime demeure bien plus intéressant que le système allemand.
En second lieu, ce régime vise à convaincre les individus. Notre système est aujourd'hui assez peu intéressant pour les chercheurs américains, le poids de la CSG sur les revenus du travail faisant qu'ils sont taxés deux fois, une fois en France, une autre fois aux États-Unis. Les chercheurs américains, surtout seniors, n'ont donc pas tellement envie de payer deux fois l'impôt. Notre régime ne sait pas résoudre cette question. On pourrait donc l'améliorer pour attirer davantage de centres de recherche.
Pour autant, même avec ses imperfections, cela reste un bon régime qui a fait ses preuves. Nous aurons besoin d'un CIR aussi compétitif tant que nous taxerons autant le travail qualifié. On peut supprimer le CIR si, demain, on se met au niveau de nos voisins en matière de taxation du travail qualifié. Tant que ce ne sera pas le cas, on aura besoin du CIR - à moins d'accepter une baisse significative de l'emploi des chercheurs en France.
Mon associée va à présent entrer dans le détail du fonctionnement pratique du CIR...