Monsieur le président, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, nous voici parvenus à une phase cruciale du processus de sortie prévu par l’accord de Nouméa.
En tant que partenaire impartial, mais actif, de ce processus, le Gouvernement doit mettre en œuvre toutes les conditions pour que la consultation prévue sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, si importante pour l’avenir du territoire, se déroule de manière incontestable.
Nous avons tous en mémoire ce qui s’est passé au cours des années quatre-vingt. Je salue bien sûr furent alors des acteurs importants et qui sont aujourd'hui présents dans l’hémicycle, M. Frogier, sur les travées, et M. Wamytan, dans les tribunes. Notre objectif à tous est de faire en sorte que les échéances prévues soient respectées dans l’atmosphère la plus paisible possible.
À cet égard, permettez-moi de citer, pour rappeler l’esprit dans lequel doit se dérouler notre travail, ce que disait Aimé Césaire des accords de Matignon, dans lesquels il voyait une victoire : « Et d’abord une victoire sur soi… La plus grande des victoires. Sur la douleur intime. Sur le ressentiment. Sur la légitime méfiance. » Les acteurs calédoniens ont en effet dû surmonter tout cela.
Aujourd'hui, je me félicite de l’esprit qui a présidé aux discussions ayant eu lieu récemment, lesquelles nous ont permis d’avancer d’une manière significative.
Si les questions de procédure et de constitution de listes que nous allons évoquer cette après-midi semblent extrêmement techniques, elles sont importantes, nous le savons, pour que la consultation se déroule de la manière la plus sereine et la plus incontestable possible.
Le projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté a été déposé par le Gouvernement en avril dernier, pour tenir compte des conclusions du comité des signataires du 3 octobre 2014.
Ce texte vise à élargir les possibilités d’inscription d’office sur la liste électorale pour la consultation, dès lors que les intéressés remplissent les conditions fixées à l’article 218 de la loi organique du 19 mars 1999, afin de les dispenser de démarches et de formalités lorsque cela est juridiquement et matériellement possible.
Il a également pour objet d’améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales chargées d’établir la liste électorale pour la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté et de procéder à la révision annuelle de la liste électorale pour les provinciales.
Le congrès de Nouvelle-Calédonie, présidé par M. Yanno, présent dans les tribunes, a émis sur ce projet de loi un avis négatif, tout en prenant le soin de motiver très précisément cette position. À la suite de cet avis, le Gouvernement s’était engagé à procéder à une série de consultations afin d’identifier, parmi les amendements proposés par le congrès de Nouvelle-Calédonie, ceux qui étaient susceptibles de faire l’objet d’un large accord entre les partenaires calédoniens.
Compte tenu des tensions constatées sur place, notamment à l’occasion de la visite de la mission parlementaire conduite par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, le Premier ministre a répondu positivement à la demande, formulée par plusieurs partenaires, de convoquer une réunion exceptionnelle du comité des signataires. Ce comité est en effet l’instance politique habilitée à aborder les questions d’orientation politique qui se posent à la suite de l’accord de Nouméa.
Cette réunion, présidée par le Premier ministre, Manuel Valls, s’est tenue le 5 juin dernier en ma présence. Elle fut en effet exceptionnelle, à la fois par son thème – les questions électorales –, par sa durée – plus de douze heures – et par la qualité de ses conclusions.
Je tiens à saluer ici, très solennellement, au nom du Gouvernement, l’ensemble des acteurs politiques qui ont su rendre possible ce compromis extrêmement important pour la Nouvelle-Calédonie. Je salue également le rôle constructif joué par les principaux acteurs, tant du côté non indépendantiste que du côté indépendantiste. Enfin, je veux particulièrement souligner, monsieur Frogier, le rôle déterminant que vous avez joué pour que cette rencontre soit conclusive.
Ce comité a en effet permis de renouer le dialogue entre les différents partenaires. Le dialogue fut franc, sincère et animé par la conviction qu’une solution politique pouvait être trouvée, autrement dit qu’une nouvelle impulsion politique devait et pouvait être donnée.
Les partenaires se sont ainsi accordés sur la nécessité d’étendre à la plupart des citoyens calédoniens nés sur le territoire la procédure d’inscription d’office, laquelle permettra de les dispenser des formalités d’inscription sur les listes électorales. L’administration se chargera de la constitution des dossiers de demande d’inscription sur les listes électorales et les soumettra aux commissions électorales compétentes. Il s’agissait là d’une demande forte des partenaires calédoniens. Au total, ce sont plus de 80 % des électeurs potentiels qui verront leur inscription facilitée et n’auront aucune démarche individuelle à accomplir.
Les partenaires sont en outre convenus d’améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales. Le président de chaque commission pourra lancer des mesures d’investigation en cas de doute sur les cas qui lui seront soumis. Les partenaires se sont également entendus pour intégrer dans les commissions électorales une personnalité qualifiée indépendante, en qualité d’observateur. Il s’agissait, là aussi, d’une demande forte, motivée par la nécessité que le travail de ces commissions soit incontestable.
Le sujet des listes électorales spéciales provinciales, objet de tensions et de contentieux réguliers, a également fait l’objet d’échanges approfondis. Faisant preuve de responsabilité, les partenaires calédoniens ont pris acte de la nécessité politique de surmonter leurs divergences de vue et de régler ce litige, de préférence avant le prochain comité des signataires, qui se tiendra à l’automne 2015.
Des experts de confiance seront mandatés pour procéder à une évaluation quantitative du litige électoral, et ce dans le strict respect de l’anonymat vis-à-vis des tiers des personnes concernées. Il s’agit en effet non pas de préempter le règlement de ce litige, mais d’avoir une vision claire du champ qu’il recouvre.
À n’en pas douter, ce comité des signataires fera date dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, chacun ayant reconnu d’une manière claire que les préoccupations des autres partenaires n’étaient pas illégitimes.
Les Calédoniens ne s’y sont pas trompés et ont accueilli cet accord avec soulagement et espoir.
Ils se sont aussi félicités que l’État, troisième partenaire de l’accord de Nouméa, tout en conservant son équidistance, soit aussi un acteur pleinement engagé dans le processus, comme l’a réaffirmé le Premier ministre à l’occasion de ce comité.
Très clairement, et tous les participants en sont convenus, il « s’est passé quelque chose » ce vendredi 5 juin 2015, certains commentateurs allant même jusqu’à évoquer « un petit miracle ». Que l’on soit croyant ou pas, il est désormais capital de ne pas laisser retomber le souffle qui a animé cette réunion et d’entretenir ce nouvel état d’esprit.
Dans la foulée de la réunion du 5 juin, le Gouvernement a préparé une série de quatre amendements visant à transcrire en droit cet accord politique. Les partenaires calédoniens en ont débattu à Nouméa, sous l’égide du Haut-Commissaire de la République, ce qui a permis d’améliorer leur rédaction. Ils ont par la suite été adoptés à l’unanimité en commission des lois, ce dont le Gouvernement se réjouit. À cet égard, je remercie chaleureusement de son travail Philippe Bas, président de la commission des lois, grâce à qui cette adoption a été possible.
Je conclurai en rappelant que le Gouvernement n’a pas souhaité ouvrir la discussion sur d’autres sujets, aussi légitimes soient-ils, que ceux qui ont été évoqués le 5 juin dernier. Je le dis notamment à l’intention de notre amie Catherine Tasca, qui connaît bien la complexité des équilibres politiques en Nouvelle-Calédonie : le Gouvernement n’a pas voulu prendre le risque de fragiliser par de nouveaux débats un compromis sur lequel l’ensemble des partenaires se sont retrouvés. Je suis sûr qu’elle le comprendra.
D’autres vecteurs organiques relatifs aux outre-mer seront présentés au cours de cette mandature. Et je sais que les élus de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française pourraient, dans les prochains mois, porter une proposition de loi organique ; le Gouvernement l’accueillera avec bienveillance. Peut-être votre proposition trouvera-t-elle sa place dans ce texte, madame Tasca.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de ce projet de loi organique et son adoption constituent la première pierre d’un chantier plus vaste qui nous mènera jusqu’en 2018. La République a toujours répondu présente à chacune des étapes importantes de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Cette fois encore, elle sera au rendez-vous.
Pour sa part, conformément aux orientations fixées par le Président de la République, François Hollande, lors de son discours au centre Tjibaou de Nouméa du 17 novembre 2014, l’État assumera pleinement ses responsabilités en préparant de manière non partisane la sortie de l’accord de Nouméa.
Pour mener à son terme et réussir le processus des accords de Matignon et de Nouméa, nous avons besoin du concours de tous. Le Gouvernement a confiance dans le sens des responsabilités de tous les acteurs politiques, qu’ils soient issus de la majorité ou de l’opposition, pour bâtir ensemble l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. C’est exactement ce que nous nous apprêtons à faire cette après-midi.