Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, le présent projet de loi organique n’est pas seulement un texte technique ayant pour objet de clarifier les règles électorales qui régiront la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Il s’agit en réalité d’un texte de la plus grande importance visant à permettre aux Calédoniens d’appréhender l’avenir institutionnel de leur territoire de manière sereine, afin de faire un pas supplémentaire vers le « destin commun ».
C’est sous l’actuelle mandature du congrès de Nouvelle-Calédonie que se conclura, au plus tard en novembre 2018, le long processus entamé en 1988 avec les accords de Matignon-Oudinot, signés sous l’égide du Premier ministre Michel Rocard, et poursuivi par l’accord de Nouméa de 1998, conclu sous l’impulsion du gouvernement de Lionel Jospin. Ce processus, dans son intégralité, tend à construire une solution pacifiée pour l’avenir de ce grand territoire si singulier qu’est la Nouvelle-Calédonie.
Lors du déplacement d’une délégation de la commission des lois, l’été dernier, avec mes collègues Sophie Joissains et Jean-Pierre Sueur, j’ai pu mesurer le chemin parcouru. Cette délégation a permis d’évaluer l’avancée institutionnelle de ce territoire, de constater l’état des transferts de compétences et des services publics locaux et d’apprécier l’effectivité du rééquilibrage en cours. Le Parlement, en particulier notre Haute Assemblée, représentante des collectivités territoriales, se doit de porter une attention toute particulière au dossier calédonien, qui intéresse la Nation tout entière.
C’est ce que nous faisons aujourd’hui avec ce projet de loi organique qui pose les bases concrètes propres à assurer que la consultation qui sera organisée en 2018 sera incontestable.
Cette consultation est d’autant plus importante que la question à poser sera des plus claires : les Calédoniens auront à se prononcer pour l’accès à la pleine souveraineté, c’est-à-dire pour l’indépendance, ou contre, c’est-à-dire pour le maintien dans la République.
L’importance de ce moment, qui fera date dans l’histoire, rend indispensable le fait que la volonté des Calédoniens soit absolument inattaquable. Le monde entier aura les yeux rivés sur la France et nous nous devrons d’être exemplaires.
Conscients de ces enjeux et face à l’urgence de la situation – le congrès pouvant à tout moment décider de procéder à l’organisation du premier référendum d’autodétermination –, les partenaires calédoniens ont pris la mesure des questions à régler lors du douzième comité des signataires du 3 octobre 2014, afin que la liste électorale spéciale pour la consultation puisse être établie dans les meilleures conditions et le plus rapidement possible, notamment dans la perspective de l’inscription de 150 000 à 160 000 personnes, d’après les estimations.
Les signataires ont alors rappelé « leur attachement à ce que les citoyens calédoniens ne soient pas contraints d’entreprendre de démarches pour être inscrits sur les listes électorales spéciales pour la consultation de sortie de l’accord de Nouméa ». À la suite de cette réunion du comité, et après avoir pris en compte l’avis du Conseil d’État, le Gouvernement a préparé un projet de loi organique qui a été transmis au congrès de Nouvelle-Calédonie, lequel a formulé un avis négatif le 26 mars dernier, après de longs débats.
Face à ce constat, le Gouvernement a décidé de réunir un comité des signataires extraordinaire le 5 juin 2015, pour résoudre les questions cruciales, de manière à retrouver l’apaisement et permettre un fonctionnement normal des institutions calédoniennes.
Je tiens à saluer l’initiative de Pierre Frogier qui, le premier, a suggéré la tenue de cette réunion extraordinaire. Il faut aussi saluer le pragmatisme du Premier ministre, Manuel Valls, qui s’est impliqué personnellement dans le dossier, et de vous-même, madame la ministre, pour permettre de renouer les fils du dialogue et de redonner tout son sens à l’esprit de collégialité qui a présidé à la signature de l’accord de Nouméa. L’État a su ainsi faire preuve de son sens des responsabilités, en jouant le rôle qui est le sien de facilitateur et de partenaire impartial.
Je tiens surtout à saluer le travail de fond qui a été mené par les partenaires calédoniens lors de ce comité, notamment l’implication de Paul Néaoutyine, président de la province Nord, de Gaël Yanno, président du congrès de Nouvelle-Calédonie, de l’ancien président du congrès Roch Wamytan ou encore du député Philippe Gomès, que notre rapporteur a tous entendus. Contre toute attente, compte tenu de la sensibilité du sujet, l’accord qui s’est dégagé au terme de douze heures de négociations témoigne de l’extraordinaire volonté de conciliation dont ont fait preuve les signataires.
« L’esprit des accords de Matignon et de Nouméa souffle toujours », comme l’a si bien affirmé le Premier ministre. Ainsi se dessine une issue non point dictée d’en haut, mais vraiment portée par l’ensemble des acteurs calédoniens, évitant l’écueil d’une négligence des réalités politiques.
Concrètement, l’article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 définit les électeurs admis à participer à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Le projet de loi organique traite de la question centrale des possibilités de dispense de formalités pour l’inscription sur la liste électorale spéciale pour la consultation, préoccupation exprimée par le douzième comité des signataires.
Le texte initial prévoyait l’inscription d’office de deux catégories d’électeurs seulement : ceux qui avaient été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 et ceux qui relèvent du statut civil coutumier.
Eu égard à l’avis motivé du Congrès de Nouvelle-Calédonie demandant une clarification de la condition de détention en Nouvelle-Calédonie du centre des intérêts matériels et moraux – condition nécessaire pour l’inscription des électeurs nés en Nouvelle-Calédonie ou dont l’un des parents est né en Nouvelle-Calédonie – et une dispense de formalités administratives pour ces électeurs, le Gouvernement a présenté un amendement proposant d’ajouter deux nouvelles catégories d’électeurs susceptibles d’être proposés à une inscription d’office par les commissions administratives spéciales, amendement qui a fait l’objet d’un accord lors du treizième comité des signataires du 5 juin 2015. Le texte adopté par la commission des lois intègre cet amendement.
La première catégorie repose sur le principe d’une présomption de détention en Nouvelle-Calédonie du centre des intérêts matériels et moraux de certains électeurs dès lors que sont établies à la fois la condition de naissance en Nouvelle-Calédonie et l’inscription sur les listes électorales pour les élections au congrès et aux assemblées de province, qui définit la citoyenneté calédonienne.
La seconde catégorie comprend les électeurs nés à compter du 1er janvier 1989 et dont un des parents satisfaisait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998 ; cependant, en vertu de considérations matérielles, ne seront inscrits d’office que les électeurs dont un des parents a été effectivement inscrit sur la liste électorale spéciale de 1998.
Le texte de la commission permet d’acter diverses modifications du texte initial souhaitées par le treizième comité des signataires : la suppression de la possibilité pour le président des commissions administratives spéciales de rejeter les demandes manifestement infondées ; la substitution d’une personnalité qualifiée indépendante, sans voix délibérative, au second magistrat qui devait venir compléter la formation actuelle ; une redéfinition du rôle et de la composition de la commission consultative d’experts : ses attributions seront cantonnées aux questions relatives au critère tiré de la détention du centre des intérêts matériels et moraux et elle sera « également constituée de représentants désignés par le haut-commissaire sur proposition des groupes politiques constitués au congrès de la Nouvelle-Calédonie, après avis du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ».
Sur ce dernier point, le comité des signataires a exprimé le souhait que la participation ou l’association des forces politiques indépendantistes et non indépendantistes à la commission consultative s’effectuent de manière paritaire. Cette condition n’est pas reprise expressément dans le projet de loi organique. Il faudra donc que le décret en Conseil d’État fixant les règles de désignation, d’organisation et de fonctionnement de la commission d’experts assure la réalisation effective de cette condition. Le Sénat veillera à ce que la volonté des partenaires calédoniens, telle qu’elle est inscrite dans le texte de notre commission des lois, soit respectée à l’issue du processus législatif. Le groupe socialiste et républicain y sera très attentif.
Pour le maintien de cet équilibre si précieux, il est souhaitable que le présent projet de loi organique se limite à la question de la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, et uniquement à cette question, comme l’a si bien rappelé Philippe Bas. Nous partageons ce point de vue.
J’ai néanmoins souhaité déposer un amendement, au nom du groupe socialiste et républicain, mais aussi en tant que rapporteur du projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, afin de garantir l’application effective de la disposition emblématique que contenait ce texte, à savoir la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes. Il s’agit de permettre la création d’une autorité de la concurrence pour donner à la Nouvelle-Calédonie les moyens de lutter contre la « vie chère ». En 2013, l’attente était forte : la création d’une telle autorité était jugée urgente. Cependant, cette création – réclamée et votée unanimement – n’a toujours pas eu lieu. Je présenterai en détail, dans la suite du débat, mon amendement visant à remédier à la situation de blocage actuelle.
Mes chers collègues, le chemin à parcourir est encore long. Il reste beaucoup de questions à résoudre dans les années à venir, à commencer par celle des listes provinciales, à laquelle le prochain comité des signataires devra tenter de répondre dans l’esprit d’ouverture réciproque et de dialogue politique qui a caractérisé sa réunion du 5 juin dernier. S’il est du devoir de chacun de respecter le droit, sur un tel sujet, il est plus que nécessaire de permettre un dialogue, afin de trouver une solution politique pacifiée, s’inspirant de l’esprit des accords.
Aujourd’hui, notre Haute Assemblée a l’honneur et la responsabilité d’accompagner la Nouvelle-Calédonie dans son cheminement vers le « destin commun » en donnant aux Calédoniens les bases nécessaires pour pouvoir choisir en toute sérénité l’avenir qui sera le leur. Comme l’a si bien dit le Président de la République le 17 novembre 2014 devant les Calédoniens : « La solution, personne ne la connaît encore. C’est vous qui allez la formuler [...]. [La] France sera à vos côtés [...] autant que la Nouvelle-Calédonie le voudra [...]. »
Le groupe socialiste et républicain votera ce projet de loi organique avec conviction et tout l’espoir qu’inspire la volonté des acteurs calédoniens de trouver ensemble la voie juste pour leur avenir.