Intervention de Pierre Frogier

Réunion du 29 juin 2015 à 16h00
Accession de la nouvelle-calédonie à la pleine souveraineté — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Pierre FrogierPierre Frogier :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, comme l’ont fait les précédents intervenants, je tiens à saluer la présence dans nos tribunes de M. le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie et de M. Roch Wamytan, qui, en 1998, alors qu’il présidait le FLNKS, a signé l’accord de Nouméa aux côtés de Jacques Lafleur et de Lionel Jospin.

À l’instar de chacun de ceux qui m’ont précédé, je veux saluer les travaux du comité des signataires de l’accord de Nouméa réuni le 5 juin à l’hôtel Matignon, et cela pour deux raisons : tout d’abord, parce qu’un compromis a été trouvé, à la fois, sur la définition du périmètre des électeurs appelés à participer à la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté et aussi sur le lancinant contentieux du corps électoral des prochaines élections provinciales ; ensuite, parce que, à cette occasion, le Premier ministre nous a fait part de la feuille de route de l’État, dans la perspective de la consultation de sortie de l’accord de Nouméa.

Sur le premier point, monsieur le rapporteur, je me réjouis que, comme vous les y invitiez, nos collègues de la commission des lois aient adopté à l’unanimité les amendements du Gouvernement issus des travaux du comité des signataires. Nous avons ainsi pu réécrire le projet de loi délibéré en conseil des ministres le 8 avril dernier, car ce texte n’était pas satisfaisant, c’est le moins que l’on puisse dire !

Même si beaucoup reste à faire sur le corps électoral provincial, nous avons mis un terme à plusieurs années de malentendus, de vaines tensions, de crispations. Que de temps perdu et d’énergie dépensée vainement !

Je note, madame la ministre, que, en février 2014, je proposais de réunir en urgence ce comité pour traiter de ces questions. Cette demande était alors restée sans réponse…

Je constate, par ailleurs, qu’il a fallu la mobilisation, dans la rue, de milliers de nos concitoyens, à Nouméa, pour que le Gouvernement prenne, enfin, conscience de cette situation délétère dont le président de l’Assemblée nationale a été le témoin, puis l’interprète auprès du Premier ministre. Permettez-moi, aujourd’hui, de lui renouveler mes remerciements.

Sur ces sujets délicats – il s’agit de méthode, mais la méthode complique souvent la tâche lorsqu’elle n’est pas adaptée aux enjeux ! –, le Gouvernement s’est trop longtemps résigné à prendre acte soit des décisions de la Cour de cassation, soit des avis du Conseil d’État, au préjudice de la volonté politique fondatrice des accords. Par ricochet, les forces politiques locales se sont laissé entraîner dans des débats techniques devenus dangereux et qui les dépassaient.

Madame la ministre, en réunissant les signataires, sans les enfermer dans un relevé de conclusions écrit d’avance, le Gouvernement a rendu possible cette avancée inattendue. Je voterai donc ce projet de loi organique, tel que l’a amendé la commission des lois, parce qu’il est conforme aux conclusions du comité.

Dans le même temps, et de manière cohérente, le Premier ministre nous a enfin précisé la feuille de route que l’État entendait mettre en œuvre dans la perspective de cette consultation. Pour tout vous dire, c’est l’essentiel du message que je souhaite vous transmettre cet après-midi, mes chers collègues : de la technique, nous passons à la politique.

Je cite le Premier ministre :

« La consultation sur l’accession à la pleine souveraineté écartée en 1988, puis repoussée en 1998, se tiendra au plus tard en novembre 2018 en application de l’accord de Nouméa. La question qui sera posée sera très claire : pour l’accès à la pleine souveraineté, c’est-à-dire l’indépendance, ou contre, c’est-à-dire pour le maintien dans la République française. »

« Voilà la feuille de route de l’État. Il ne s’agit pas d’une position personnelle […] : c’est la stricte application de l’accord, auquel aucun Gouvernement ne peut déroger de manière unilatérale. […] À moins, bien sûr, qu’un nouveau consensus se dégage entre vous autour de l’idée d’un nouvel accord supposant une révision de la Constitution […] ».

Si cette intention, clairement affichée il y a trois semaines, écarte le soupçon et la méfiance qui, depuis trois ans, pesaient sur nos relations, elle exige désormais que chacun prenne ses responsabilités.

Il n’y a qu’une alternative : soit nous choisissons la voie du laisser-faire et de la facilité, et ce sera le scrutin d’autodétermination ; soit nous empruntons la voie du destin commun en devenir, par un dialogue apaisé et respectueux entre partenaires, et ce sera le consensus qui nous mènera vers un nouvel accord.

Ceux qui privilégient la voie du laisser-faire et de la facilité se rassurent en constatant le rapport de force électoral favorable au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France, et ils crieront victoire au lendemain de la consultation.

Le paradoxe, c’est qu’ils sont convaincus que, le lendemain même de la consultation, les indépendantistes n’auront d’autre choix que de s’asseoir autour de la table pour négocier un nouvel accord. Se sont-ils seulement posé la question de savoir si les électeurs, qui se seront exprimés majoritairement pour l’appartenance à la République, admettront que de nouvelles négociations s’engagent avec les indépendantistes au lendemain d’une consultation gagnée ? La sanction sera tombée et le temps de la négociation sera passé.

Le camp du laisser-faire et de la facilité réunira, aussi, ceux des indépendantistes qui se réfugient, trop souvent, dans la lettre de l’accord, souvent par confort politique ou électoral, plutôt que de s’attacher à en faire vivre l’esprit. Ils contribueront à faire naître de faux espoirs, desquels naîtront de nouvelles frustrations au sein de leur jeunesse.

À l’inverse, la voie du destin commun en devenir, c’est le camp de la responsabilité. Il pourrait réunir ceux qui considèrent que nous n’avons pas signé les accords de Matignon et de Nouméa pour, trente ans plus tard, tout effacer d’un trait de plume et faire comme si rien ne s’était passé ; ceux qui considèrent que nous n’avons pas signé les accords de Matignon et de Nouméa pour rouvrir les vieilles blessures.

Vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, c’est le camp que je choisis, car j’ai l’ambition qu’un nouveau consensus se dégage autour d’un nouvel accord, inscrit cette fois-ci dans la durée. C’est la solution la plus sage, parce que la plus conforme à l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa. Cette démarche devra s’engager, sans exclusive, sans préalable et elle devra s’étendre à l’ensemble des forces économiques, sociales et culturelles de la Nouvelle-Calédonie.

En ouvrant la voie à un nouvel accord, le Premier ministre nous a placés face à nos responsabilités. Nous ne pourrons pas y échapper, car le processus du référendum est illusoire quand il prétend trancher brutalement ce qui doit être apaisé par le débat. Le combat à mener, en faveur de la paix et du dialogue, est le plus redoutable, parce qu’il est d’abord livré contre soi-même et qu’il suppose que l’on soit capable d’avancer vers l’autre, de le comprendre, dans les deux camps d’ailleurs. C’est toute la noblesse de l’engagement politique auquel je crois.

Il ne nous reste donc qu’à trouver nous-mêmes les voies de la sagesse pour construire notre destin commun, c’est-à-dire notre citoyenneté calédonienne dans la nation française. Nous devons compter sur nos propres forces, nos propres ressources, notre propre capacité à inventer un avenir à nul autre pareil.

Monsieur le président du Sénat, madame la ministre, mes chers collègues, pour la renommée de la France dans le Pacifique, pour être au rendez-vous des espoirs nés de la signature des accords par Michel Rocard, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, pour saluer la détermination de Lionel Jospin à imposer en 1998 la solution consensuelle de l’accord de Nouméa, pour honorer le discours du président Sarkozy lors de sa visite officielle en Nouvelle-Calédonie en 2011, pour que l’esprit du dernier comité des signataires, présidé par Manuel Valls, ne soit pas un espoir sans lendemain, je vous appelle à œuvrer aux conditions du consensus entre les forces politiques, afin de rendre possible ce qui est nécessaire.

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