En creux de notre discussion sur la justice prud’homale, deux visions du travail s’opposent. D’un côté, l’on fait comme si le salarié et l’employeur étaient sur un pied d’égalité, comme si l’entreprise était un monde sans hiérarchie. De l’autre, et c’est mon point de vue, on considère qu’un lien de subordination s’instaure forcément entre les deux parties. Dépendance économique et contexte de crise de l’emploi ne font qu’aggraver les relations entre employeur et employé, par nature déjà inégalitaires.
C’est en prenant en considération cette inégalité par nature qu’ont été créées des organisations, des instances et des relations collectives de travail, afin d’organiser la protection des salariés. C’est, au final, cette logique qui est aujourd’hui remise en cause au travers de l’article 83. Les membres du groupe CRC peuvent admettre que les délais devant les conseils de prud’hommes aujourd’hui ne permettent pas un jugement rapide et efficace des affaires. Nous en sommes conscients, c’est la protection des salariés et la justice sociale qui sont freinées.
Cependant, tous ceux qui fréquentent les conseils de prud’hommes s’accordent à dire que si les gouvernements successifs n’avaient pas détruit les moyens des prud’hommes, la situation ne se serait pas dégradée. Là est le nœud du problème, monsieur le ministre : vous achevez en l’occurrence une instance collective blessée et agonisante au lieu de panser les plaies.
Parmi les critiques que soulève le présent article, tellement massif que l’on peut s’interroger sur sa cohérence et sa pertinence, j’évoquerai la professionnalisation des conseils de prud’hommes. Faut-il rappeler au Gouvernement que les conseillers prud’homaux ne sont pas des juges, mais sont des militants, qu’ils soient patrons ou salariés ? De fait, il ne nous paraît pas judicieux d’interdire « toute action concertée de nature à arrêter ou à entraver le fonctionnement des juridictions », car cela ne reviendrait ni plus ni moins qu’à retirer aux conseils de prud’hommes leur spécificité militante.
Cette critique, qui n’en est qu’une parmi les nombreuses que suscite cet article – Jean Desessard en a évoqué quelques-unes ; je pense, pour ma part, à la réduction de la durée globale de formation malgré le renforcement positif de la formation initiale, à l’introduction du référentiel pouvant suppléer le conseil de prud’hommes et visant à uniformiser des situations bien trop différentes, ou encore à la remise en cause de l’égalité face à la justice par l’instauration d’un bureau spécial –, nous conduit à demander la suppression de ce texte rétrograde et dangereux pour la protection des salariés et de leurs droits.