Intervention de Françoise Férat

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 1er juillet 2015 à 9h00
Reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages — Examen du rapport pour avis

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, rapporteure pour avis :

Notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages sur deux points : la réforme de la procédure d'inscription des sites prévue aux articles 69 à 71 ; ensuite l'article 74, par lequel, en séance publique, par les députés ont supprimé le dispositif « bâches publicitaires sur les chantiers des monuments historiques », institué par la loi de finances pour 2007.

Avant d'aborder ces deux points, j'évoquerai brièvement l'Agence française de la biodiversité qui fait l'objet du titre III du projet de loi. Cette nouvelle agence résulte de la fusion de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, des Parcs nationaux de France, du groupement d'intérêt public Atelier technique des espaces naturels et de l'Agence des aires marines protégées. Elle en reprend les missions, en particulier le développement des connaissances sur la biodiversité, la formation et la communication sur la biodiversité, la gestion d'aires protégées, ou encore l'appui à l'exercice des missions de police administrative et de police judiciaire relatives à l'eau, aux milieux aquatiques et à la biodiversité ainsi que la lutte contre la bio-piraterie.

Ces thèmes relèvent directement du champ de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et du code de l'environnement. C'est pourquoi, même si nous pourrons avoir un oeil sur l'installation et le développement de cette nouvelle agence, nous ne l'avons pas fait entrer dans le champ de notre saisine pour avis. L'Assemblée nationale s'est assurée que la nouvelle agence entretiendrait des liens avec le monde scientifique et les bases de données qui existent déjà, par exemple celle de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité ; c'est le sens, également, de l'institution d'un conseil scientifique, placé sous l'autorité du conseil d'administration de la nouvelle agence. Ces précautions, prises par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, vont dans le bon sens.

Je n'aborderai donc pas, dans mon rapport pour avis, cette nouvelle agence, mais rien ne nous empêchera, par la suite, de vérifier par exemple que les établissements supérieurs de recherche s'y « connectent » bien, pour que les connaissances sur la biodiversité se diffusent dans l'enseignement et dans la communication. Je sais que plusieurs de nos collègues y sont particulièrement attachés.

J'en viens aux deux volets de notre saisine, sur lesquels j'ai conduit des auditions, mesuré la portée du texte et sur lesquels je vous proposerai des amendements. Une précision : l'examen de ce texte en séance plénière vient d'être reporté à la rentrée de septembre et si nous l'examinons malgré tout aujourd'hui, c'est pour nous caler sur le calendrier de la commission au fond qui établit son texte la semaine prochaine.

Premier sujet, la réforme de la procédure d'inscription des sites, opérée par les articles 69, 70 et 71 du projet de loi.

La matière est technique, mais de grande portée pratique, nous le savons dans la gestion de nos territoires.

Depuis une vingtaine d'années, nous recherchons à mieux concilier la protection du patrimoine et le développement des territoires. Les schémas d'action publique changent : la protection du patrimoine, ce n'est plus la « mise sous cloche » de quelques « joyaux », à l'abri de règles et d'empêchements confiés au préfet et aux architectes des bâtiments de France (les ABF), mais on passe à un modèle plus coopératif et fondé sur le projet territorial, où la protection vise aussi « l'écrin », des aires plus vastes et où l'on parle d'abord de valorisation du patrimoine... et d'attractivité du territoire dans son ensemble. Le tout dans une gouvernance plus ouverte aux citoyens, avec des procédures d'information et de participation du public conformes à l'article 7 de la Charte de l'environnement.

Ce passage d'un modèle à l'autre demande un renouvellement des outils : je vous fais grâce des concepts et sigles qui ont fleuri ces dernières décennies, nous en reparlerons prochainement lors de l'examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) qui comporte une nouvelle réforme importante pour le patrimoine bâti.

Ce qui nous occupe aujourd'hui, c'est ce que l'administration appelle « la politique des sites inscrits » : le passage d'un modèle à l'autre, en plus des outils nouveaux, exige de faire le tri dans les sites aujourd'hui inscrits sur les listes départementales. On trouve de tout dans ces listes, car la procédure d'inscription, qui nous vient de la grande loi de 1930, est restée quasiment intacte et a servi à des usages bien différents au cours du temps, alors même que des outils bien plus précis de protection étaient mis en place.

La France compte aujourd'hui près de 3 000 sites classés, qui couvrent environ un million d'hectares, soit 1,5 % du territoire et où la protection est « globalement » assurée, même si des procédures sont trop lourdes - là encore, nous en reparlerons dans la LCAP. En plus de ces 3 000 sites classés, il y aurait 4 800 sites inscrits, qui représenteraient 2,5 % du territoire et où l'on trouve vraiment de tout : c'est ici que le projet de loi nous propose de faire une sorte de « un grand ménage de printemps » pour répartir ces sites inscrits dans les nouvelles cases de la protection.

Le Gouvernement fait un double diagnostic, que je partage très largement à travers ce que m'en ont dit les professionnels :

- alors que l'inscription sur la liste départementale des sites devait être l'antichambre du classement, pour adopter des mesures protectrices, cette inscription a été utilisée pour bien d'autres motifs, sans cohérence. Cette liste départementale devait inventorier les monuments naturels et les sites dont la conservation ou la préservation présente un intérêt général « au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque » ; en fait, les outils se sont multipliés, avec leurs géographies propres, sans cohérence et avec des règles différentes, au prix d'une grande dispersion des moyens consacrés à la protection ;

- car, et c'est le deuxième constat, l'inscription sur cette liste départementale n'assure pas une protection suffisante : sur un site inscrit, l'avis de l'ABF est consultatif et l'on fait à peu près tout ce que l'on veut, du moment que l'on ne démolit pas ce qui a justifié l'inscription. L'administration estime que l'inscription, finalement, ne protègerait que les territoires sans pression foncière. Dans le même temps, les sites inscrits mobilisent beaucoup les ABF, les services territoriaux de l'architecture et du patrimoine désormais intégrés à la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) et, pour les espaces naturels, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), qui relèvent du ministère de l'écologie, puisque les propriétaires doivent annoncer leurs travaux au moins quatre mois à l'avance.

Pour résoudre ces problèmes, le Gouvernement propose, avec l'article 69 du projet de loi, de « geler » la liste des sites inscrits et de redistribuer le « stock » des sites actuellement inscrits dans trois catégories, d'ici 2026 :

- les sites « dont la dominante naturelle ou rurale présente un intérêt paysager justifiant leur préservation » : cette « nouvelle liste » serait établie par arrêté ministériel après avis de la commission supérieure des sites, perspectives et paysages (la CSSPP) ;

- les sites qui méritent d'être classés, soit comme espace naturels, avec les outils du code de l'environnement, soit comme espaces bâtis, avec les outils renouvelés du code du patrimoine ; on classerait donc les sites les plus intéressants d'ici 2026, par décret et après enquête publique ;

- enfin, tous les autres sites, c'est-à-dire ceux qui sont dégradés de manière « irréversible », au point qu'il ne serait plus utile de les protéger, et ceux qui, en fait, bénéficient d'une protection équivalente, au titre d'un dispositif plus récent que l'inscription. La radiation de la liste interviendrait alors par décret en suivant la même procédure que pour l'inscription.

Ce « grand ménage de printemps » inquiète les élus aussi bien que les techniciens que j'ai auditionnés, mais plus encore ce « gel » de la liste, c'est-à-dire l'impossibilité à l'avenir d'inscrire des sites à protéger.

Le Gouvernement a beau souligner qu'un nombre finalement restreint de sites se verraient « désinscrits », ce que nous retenons, c'est que l'impossibilité d'inscrire désormais un site nous privera d'un outil souple et apprécié de gestion territoriale soucieuse de patrimoine.

Les associations d'élus, les ABF, et, bien entendu, les associations protectrices du patrimoine, tous s'interrogent sur les motivations profondes de cette réforme : certes, il faut mettre de l'ordre, de la cohérence, classer les sites qui méritent de l'être, résoudre les cas de superposition, simplifier les procédures ; mais pourquoi « geler » la liste, qui peut continuer à jouer le rôle d'antichambre du classement et qui donne un accès très utile aux ABF et aux services territoriaux de l'architecture et du patrimoine ? Pourquoi devoir « fermer » la liste sous prétexte qu'on y met enfin de l'ordre ? L'un n'empêche pas l'autre... L'objectif pour le Gouvernement n'est-il pas surtout de recentrer ses forces sur le patrimoine le plus sensible, quitte à laisser les collectivités territoriales orchestrer elles-mêmes la protection de leurs territoires ?

Les députés ont, très logiquement, rétabli la possibilité d'inscrire des sites, mais ils l'ont fait de manière particulièrement restreinte, pour les seuls sites qui se trouvent à proximité de sites classés, en gros pour l'écrin qui entoure le joyau.

Je vous proposerai d'aller dans le même sens, mais un peu plus loin, en rétablissant la possibilité d'inscrire et de maintenir des sites sur la liste départementale.

Deuxième sujet, la suppression des bâches publicitaires lors de travaux sur les monuments classés ou inscrits. La règle, au nom de la protection du cadre de vie, c'est l'interdiction de la publicité, à l'intérieur des agglomérations, à moins de 100 mètres et dans un champ de visibilité des immeubles classés ou inscrits : c'est l'article L. 581-8 du code de l'environnement. Cependant, en loi de finances pour 2007, nous avons autorisé une dérogation en cas de travaux et lorsque ces travaux nécessitent la pose de bâches : une partie de la bâche peut comporter une publicité et les recettes publicitaires sont affectées au financement des travaux : c'est l'article L. 621-29-8 du code du patrimoine, que les députés ont supprimé en séance publique contre l'avis du Gouvernement et de la commission - et que je vous proposerai de rétablir. Plusieurs d'entre nous avaient réagi dès la loi « Macron » : c'est dire l'émoi qu'a provoqué la suppression subreptice de ce dispositif.

Cette dérogation est fortement encadrée : la demande d'affichage publicitaire fait partie du dossier des travaux, elle est instruite par la DRAC qui vérifie des éléments matériels - par exemple la surface de la publicité ne doit pas dépasser la moitié de la bâche, les recettes attendues doivent être annoncées ; la DRAC vérifie aussi, selon le décret en Conseil d'État, « la compatibilité du contenu de l'affichage, de son volume et de son graphisme avec le caractère historique et artistique du monument et de son environnement, sa destination et son utilisation par le public » : c'est tout à fait dérogatoire en matière de publicité, la DRAC est en position de négocier la forme, la taille, le message et de dire non en opportunité.

Comment les choses se passent, cependant, et y a-t-il eu des excès, qui provoquent un mécontentement et la volonté de supprimer cette dérogation, malgré son apport pécuniaire aux travaux sur les bâtiments classés et inscrits ?

Je vous fais part, rapidement et simplement, de ce que j'ai entendu en audition :

- les avantages, d'abord, sont évidemment pécuniaires, quoique les chiffres soient difficiles à connaître. Le dispositif concerne uniquement Paris, à une ou deux exceptions près, et encore, seulement les zones touristiques du centre de la capitale : depuis 2007, environ 20 millions d'euros de recettes publicitaires auraient été affectées aux travaux, avec des « pics » importants et qui auraient été décisifs, par exemple les 2 millions dégagés pour la restauration de la Conciergerie. Avec, à la clé, de l'activité pour les métiers de la restauration, dont les savoir-faire sont menacés par le repli des crédits publics ;

- autre avantage, en tout cas pour certaines opérations, il peut y avoir une scénographie qui rende les bâches plus esthétiques que si elles étaient « brutes de chantier » : puisque les bâches sont nécessaires, autant les utiliser en particulier pour le trompe l'oeil ; des publicitaires acceptent de jouer le jeu, avec des résultats convaincants, où la marque est finalement assez discrète - voyez la bâche qui couvre en ce moment l'Hôtel Lutetia, dans le 7e arrondissement de Paris, elle ne me choque pas ;

- troisième argument pour, la temporalité : l'affichage publicitaire est strictement limité à la durée des travaux, nous sommes largement en deçà de ce qui se faisait par exemple dans les années 1930, lorsque la Tour Eiffel était illuminée par le nom d'une célèbre marque automobile française et son double chevron ;

- Y a-t-il eu, cependant, des excès ? Je crois que oui, mes interlocuteurs de la DRAC d'Île-de-France l'ont reconnu, mais il ne faut pas oublier que ce dispositif était nouveau et que les publicitaires sont habiles. Telle opération a choqué, parce que voir un monument historique « enveloppé » par une marque, et devenir le porte-étendard de cette marque, cela peut apparaître comme une appropriation de la chose publique, des symboles de notre histoire, le tout à bon prix puisque ces localisations sont extrêmement rares. Dans son choix en opportunité, du reste, la DRAC, donc le préfet de région, pose des limites : si des travaux sur l'Élysée ou Matignon sont entrepris, ou encore sur l'Assemblée nationale ou le Sénat, je doute qu'un affichage publicitaire y soit réalisé. Alors, pourquoi le Palais de justice et la préfecture de police de Paris ? Effectivement, il peut y avoir un problème, quand le monument abrite un service actif de l'État ou du pouvoir en général et il faut tenir compte des protestations ;

- autre problème, le nombre de publicités : quand bien même elles sont temporaires, il ne faudrait pas que, passant d'un bâtiment à l'autre, elles transforment certains axes - la Seine au centre de Paris, par exemple - en une sorte de « couloir publicitaire » à ciel ouvert. Ici encore, c'est au préfet de l'assurer et je crois qu'il y a encore beaucoup de marge ; la réalité, c'est que ces bâches sont nouvelles et qu'elles peuvent encore choquer, même si elles sont raisonnables.

Pour toutes ces raisons, je vous propose d'agir en deux temps : d'abord, rétablir la dérogation telle qu'elle existe aujourd'hui, ne serait-ce que pour les opérations en cours ; ensuite, continuer à travailler sur le sujet pour, éventuellement, y apporter des améliorations dans la LCAP, où nous aurons la main. Pour aujourd'hui, je vous proposerai donc un amendement tendant à supprimer l'article 74.

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