L'examen au Parlement de cette convention est partie sur des bases un peu difficiles. Je pense que vous avez lu les articles de presse concernant son passage à l'Assemblée nationale. Il s'agit d'une convention qui, comme celle que nous venons d'examiner, est à la fois politique et stratégique. C'est le dernier acte d'une série d'indemnisation des victimes de la Shoah.
Quand on aborde le texte, certains seraient tentés de se dire : encore les victimes de la Shoah, encore des indemnisations, pourquoi faire ? 70 ans après... A première vue, cela peut susciter des incompréhensions dans un contexte financier et social difficile.
C'est la raison pour laquelle, en tant que rapporteur, j'ai souhaité organiser un certain nombre d'auditions pour mieux en comprendre le contexte, le périmètre et l'objet.
Cet accord porte sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français. Il prévoit la mise en place d'un fonds ad hoc, doté par la France, de 60 millions de dollars, pour l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français qu'elles soient de nationalité américaine ou d'une autre nationalité. Il parachèvera ainsi le dispositif de réparations mis en place graduellement depuis 1946 et marquera la fin des contentieux qui affectaient nos relations bilatérales.
En effet, la caractéristique du régime d'indemnisation mis en place en France au lendemain de la Seconde guerre mondiale, celui des déportés politiques, est d'être ouvert sous condition de nationalité - les victimes doivent posséder la nationalité française lors du fait de guerre et de la demande de pension - et il laissait donc un certain nombre de personnes sans indemnisation.
D'autres dispositions réparatrices spécifiques ont été mises en place à la suite du rapport Mattéoli, comme le régime de la restitution ou de l'indemnisation des biens spoliés.
L'accord s'inscrit dans la suite de ces mesures, en dépassant les obstacles résiduels à l'indemnisation des survivants quelle que soit leur nationalité.
L'accord permet également de solder un contentieux naissant.
En effet, à partir des années 2000, certains déportés, non-couverts par le régime en vigueur en France, ont tenté d'obtenir des réparations devant les juridictions américaines, en engageant des contentieux contre la SNCF pour complicité de crime contre l'Humanité, ou contre la SNCF et la Caisse des dépôts et consignations pour spoliation. Ces recours n'ont jusqu'à maintenant pas abouti.
Devant les obstacles juridiques liés à l'immunité reconnue aux Etats étrangers et à leurs démembrements, des projets de loi ont été introduits systématiquement depuis 2005 au Congrès américain destinés à permettre aux juridictions américaines de poursuivre toutes entreprises ayant joué un rôle dans le transport des victimes de la déportation ou devant des législatures des Etats, visant à contraindre la SNCF à des actions, voire même à conditionner l'autorisation de prendre part à des appels d'offres à l'indemnisation des victimes de la déportation.
La récurrence de ces procès et initiatives ont des conséquences lourdes, sur les activités de la SNCF aux Etats-Unis où elle est l'opérateur, à travers ses filiales, de nombreuses lignes locales de transports de voyageurs et de services de logistique, et sur son image. C'est dans ce contexte que le Gouvernement français a proposé en 2012 aux autorités américaines de rechercher une solution négociée.
La négociation a permis d'aboutir à un accord équilibré et raisonnable qui apporte une réponse aux demandes des déportés et garantit à la France une paix et une sécurité juridique durables. C'est important. Le fonds va pouvoir être saisi des réclamations de victimes et d'ayants droit de toutes nationalités, et ceux-ci renonceront dès lors à toute action contre la France à ce sujet.
L'article 1er précise notamment que la « France » doit s'entendre comme toutes ses institutions et administrations ainsi que ses démembrements, terme qui vise les entreprises ou entités publiques françaises qui bénéficient aux Etats-Unis d'une immunité de juridiction.
Il définit par ailleurs la notion de « déportation liée à la Shoah ». Le champ de l'accord concerne exclusivement les victimes des déportations consécutives aux persécutions antisémites perpétrées par les autorités allemandes d'occupation ou les autorités de fait dites « Gouvernement de l'Etat français », c'est-à-dire le transfert de ces victimes vers des camps situés hors du territoire national.
La terminologie est importante. Dans la version qui nous est soumise, le terme « Gouvernement de Vichy » qui figure dans le préambule et dans l'article 1er pouvait laisser croire à une légalité de ce régime. Cela a suscité de nombreuses protestations très légitimes lors de son examen à l'Assemblée nationale et amené le gouvernement, par un échange de lettre avec celui des Etats-Unis, à rectifier le texte en substituant à cette mention les termes : autorités de fait dites « Gouvernement de l'Etat français ».
L'article 2 énumère les deux objectifs de l'accord. Celui-ci vise, d'une part, à fournir un mécanisme exclusif d'indemnisation des personnes ayant survécu à la déportation ou leurs ayants droit à l'exclusion de toute personne déjà couverte par un autre programme d'indemnisation. D'autre part, il vise, en contrepartie, à assurer à la France et à ses démembrements, une garantie juridique durable aux Etats-Unis s'agissant de toute demande ou action qui pourrait être engagée au titre de la déportation liée à la Shoah.
L'article 5 prévoit ainsi que le Gouvernement américain s'engage :
- à s'assurer, conformément à son système constitutionnel, de la clôture de tout recours devant les tribunaux américains, pendants ou à venir, qui viserait la France ou ses démembrements quel que soit leur statut juridique;
- à prendre toute mesure nécessaire contre des initiatives juridiques ou législatives au niveau fédéral, des Etats ou des autorités locales, qui mettraient en cause l'immunité de juridiction dont bénéficient la France et ses démembrements ou viendrait contredire l'esprit ou la lettre de l'accord.
L'article 4 prévoit le transfert d'une somme de 60 millions de dollars du Gouvernement français au Gouvernement des Etats-Unis pour la mise en place d'un fonds ad hoc unique.
Cette option plutôt que l'extension des droits à pensions dans le cadre du code des pensions a été choisie afin de tenir compte des circonstances particulières. Une extension du régime des pensions à l'instar des accords bilatéraux conclus par la France avec certains pays après-guerre n'aurait pas permis :
- d'indemniser rapidement les survivants ;
- de prendre en compte, en termes d'équité, une part acceptable d'antériorité, alors que le régime est ouvert depuis 1946 ;
- de couvrir, au-delà des ayants droit du régime des pensions ;
- de plafonner le coût du dispositif, alors que nous avons une connaissance incomplète du nombre de bénéficiaires ;
- de couvrir, par un seul accord, les ressortissants américains mais aussi les déportés d'autres nationalités.
Le montant de 60 millions de dollars correspond à un point d'équilibre au regard notamment des demandes de compensations de certains avocats (200 millions de dollars).
Il a été établi en tenant compte :
- du nombre de bénéficiaires potentiels - survivants de la déportation ou leurs ayants droit pour ceux décédés après-guerre - estimé à quelques milliers à ce stade mais qui ne sera connu qu'après une procédure de recensement ; une marge d'aléas a de ce fait été prévue ; néanmoins le fonds ne pourra pas être abondé de nouveau.
- la volonté de mettre en place une indemnisation juste pour les bénéficiaires et en cohérence avec le régime des pensions par référence au niveau moyen de pension annuelle de l'ordre de 32 000 euros par an (base 2012) ;
- la nécessité de pouvoir intégrer une part encadrée d'antériorité dans les indemnisations.
Une déclaration sur l'honneur, prévue par l'article 7 de l'accord doit être effectuée préalablement à toute indemnisation par les bénéficiaires du fonds pour exprimer leur renoncement, eux et leurs ayant droit, à toute possibilité de demande reconventionnelle ou de tous recours contre la France et ses démembrements pour des faits au titre de la déportation liée à la Shoah.
Dans le souci de simplifier les démarches des demandeurs, par définition très âgés, qui pour la plupart résident sur le sol américain et en possèdent la nationalité, les négociateurs ont choisi de confier aux autorités américaines l'instruction des dossiers. Elles seront seules chargées de recevoir et d'examiner les demandes sur la base de critères qu'elles auront établis discrétionnairement et unilatéralement ainsi que de verser les indemnités aux bénéficiaires.
Compte tenu du souhait exprimé par les autorités françaises d'une indemnisation en cohérence avec le niveau de pension versé dans le cadre du régime en vigueur, l'indemnisation pour les déportés survivants devrait avoisiner 100 000 dollars, ce qui équivaudrait à trois années de pensions d'invalidité en droit français. Il a été reconnu là aussi en cohérence avec le régime applicable en France que les ayants droit et les héritiers seraient indemnisés sur la base de montants inférieurs.
L'article 6 précise les engagements de procédure. Une autorité désignée par le Gouvernement américain assurera l'examen des demandes et la répartition des fonds après une information des bénéficiaires potentiels. Les réclamations éventuelles relèveront de sa seule responsabilité. Le Fonds sera géré gratuitement par les autorités américaines.
Il s'agit donc d'un accord de réparations individuelles, morales et financières négocié à l'initiative de la France. Il ne saurait être assimilé à un accord de réparation de guerre entre Etat vaincu et Etat vainqueur.
L'idée de faire contribuer la SNCF à l'indemnisation a été écartée d'emblée par la partie française. Elle aurait eu pour effet de reconnaître sa responsabilité indirecte alors qu'un arrêt du Conseil d'Etat de 2007 l'a exonéré, ainsi que tous les démembrements de l'Etat, de toute responsabilité.
L'article 3 de l'accord encadre les catégories de bénéficiaires en énumérant une série d'exclusions visant à éviter les doubles indemnisations. Il n'y a donc pas de rupture d'égalité dans la mesure où les bénéficiaires de l'accord ne sont pas dans une situation comparable avec les nationaux français. L'objectif est, au contraire, de répondre en équité à des cas d'exclusion de notre régime de pension.
Le compromis qui a été trouvé a été considéré comme un bon point d'équilibre par les deux parties.
La discussion à l'Assemblée nationale a été focalisée sur une rédaction maladroite. La présence dans le Préambule et à l'article premier d'une référence au « Gouvernement de Vichy », aurait pu prêter à confusion sur le sens de l'accord. Il a donc été demandé au Gouvernement de lui substituer l'expression communément acceptée de « l'autorité de fait, se disant gouvernement de l'Etat français » - utilisée dans l'ordonnance du 9 août 1944.
L'article 79 de la Convention de Vienne sur le droit des traités permet de corriger cette erreur, par voie d'échange de notes diplomatiques, ce qui a été réalisé en juin. Après sa ratification, l'accord sera publié au Journal officiel dans sa version corrigée, qui seule fera foi entre les parties. L'accord a reçu un bon accueil des parties concernées. Il a recueilli le soutien de la communauté juive française et des grandes organisations juives américaines, lesquelles n'étaient d'ailleurs pas à l'origine des contentieux et des campagnes de lobbying au Congrès, davantage provoqués par les cabinets d'avocats, en s'appuyant sur la procédure d'action de groupe, comme souvent aux Etats-Unis.
Au Congrès, l'annonce de sa signature a été reçue favorablement, y compris par les élus signataires de nombreux projets de loi.
Les avocats et plaignants ont pris acte de la conclusion de l'accord mais ont néanmoins poursuivi leurs démarches devant les tribunaux, ce qui confirme la nécessité de voir l'accord entrer rapidement en vigueur.
Le Département d'Etat américain a suivi et accompli toutes les procédures internes requises avant la signature du texte par les deux parties. Il revient donc désormais à la France d'achever sa procédure interne. L'Assemblée nationale a adopté le présent projet de loi le 24 juin.