Le texte est le fruit du travail approfondi de la commission des affaires sociales et d'un examen constructif en séance publique la semaine dernière, au cours duquel 317 amendements ont été déposés et 68 adoptés. A l'exception de la suppression l'article 1er - non par la majorité sénatoriale mais bien par la majorité présidentielle -, les grands équilibres du texte ont été respectés, ce qui témoigne de l'ouverture et du pragmatisme avec lesquels j'ai voulu aborder ce rapport.
Nous avons d'abord souhaité promouvoir un dialogue social accepté par tous, en donnant toutes ses chances à la négociation. La commission des affaires sociales avait supprimé l'obligation d'instituer des CPRI et renvoyé à la négociation entre partenaires sociaux le soin de les mettre en place au niveau national ou, à défaut, au niveau régional et de les adapter. Il me semblait en effet étrange, voire provocateur, d'ouvrir ce projet par un article premier aussi directif sur un sujet qui a partiellement causé l'échec de la négociation sur la modernisation du dialogue social en janvier dernier.
Cet article fédérant un grand nombre de mécontentements et de craintes, d'ailleurs excessives, il fallait trouver un compromis qui satisfasse les salariés tout en rassurant les employeurs. Même si le Sénat a finalement supprimé cet article en séance publique, j'ai la faiblesse de penser que nos travaux pourraient utilement éclairer la réflexion de l'Assemblée nationale. Nous avions ainsi prévu que les membres des CPRI ne pourraient pénétrer dans les locaux d'une entreprise qu'avec l'autorisation expresse de l'employeur et moyennant un délai de prévenance de huit jours.
Deuxième objectif : éviter l'instabilité législative, cette faiblesse récurrente de notre pays que nous dénonçons tous. Nous avons supprimé dans ce but l'abaissement du seuil d'effectif déclenchant l'obligation d'accueillir des administrateurs salariés dans les organes de gouvernance des grandes entreprises, jugeant pour le moins prématurée une modification des règles issues de la loi de sécurisation de l'emploi, adoptée il y a moins de deux ans, et avant même toute étude d'impact ou évaluation approfondie de cette loi.
Nous avons également maintenu la possibilité, pour les membres titulaires d'un comité d'entreprise, de fixer par accord les délais dans lesquels le comité doit rendre ses avis, même en présence d'un délégué syndical -prérogative qui leur a été conférée par la même loi défendue par Michel Sapin.
Eviter l'instabilité législative, c'est aussi veiller à choisir les véhicules législatifs adaptés : voilà pourquoi le Sénat a supprimé l'article 19 bis relatif à la reconnaissance des pathologies psychiques. Ce débat a davantage sa place dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé que nous examinerons prochainement. De plus, l'amendement a été introduit à l'Assemblée nationale alors que nos auditions étaient presque achevées.
Troisième axe : donner plus de souplesse aux entreprises. Nous avons souhaité expérimenter pendant cinq ans le lissage, sur une période de trois ans, des obligations liées au franchissement des seuils de onze et cinquante salariés, proposition formulée par le ministre du travail lui-même avant l'ouverture de la négociation sur la modernisation du dialogue social. Omniprésente dans le débat public, la question des seuils brillait par son absence dans ce projet de loi, à l'exception de quelques aménagements techniques. Saisissant l'occasion, nous avons simplifié le calcul du seuil pour la mise en place et la suppression du comité d'entreprise, qui faisait partie du programme en faveur des TPE et PME annoncé par le Premier ministre le 9 juin dernier.
Nous avons renforcé l'encadrement des mécanismes de cumul des heures de délégation et de mutualisation de ces heures entre plusieurs élus au sein d'une institution représentative du personnel (IRP).
Enfin, notre quatrième objectif a été d'assurer la sécurité juridique et financière des dispositifs instaurés par le texte. Nous avons conforté les règles de la représentativité patronale en adoptant l'amendement du Gouvernement qui ne prenait en compte que les cotisations volontaires dans le calcul du seuil de 8 % d'entreprises adhérentes et en acceptant, pour répondre à une très forte inquiétude du monde agricole, que les associations et syndicats professionnels soient considérés comme des organisations d'employeurs.
Quant au compte personnel de prévention de la pénibilité, nous avons souhaité que l'homologation des référentiels de branche par les ministères concernés n'entraîne pas de dérive dans les dépenses du fonds de financement des droits ouverts pour les salariés, afin de ne pas recréer des régimes spéciaux.
Enfin, à l'article 20, la commission a remplacé le dispositif initial de négociation enchâssée des règles d'indemnisation chômage des annexes 8 et 10 par une concertation renforcée avec les partenaires sociaux représentatifs de l'ensemble de la production cinématographique, de l'audiovisuel et du spectacle. Pour la quasi-totalité des personnes que nous avons auditionnées, les nombreuses incertitudes juridiques du dispositif initial risquent, en effet, en multipliant les contentieux contre le dispositif d'agrément de la convention d'assurance chômage, de fragiliser l'édifice.
A l'article 24, nous avons réécrit les modalités de calcul de la prime d'activité. Si nous pouvons nous rejoindre sur la nécessité d'une réforme des dispositifs existants que sont le RSA-activité et la prime pour l'emploi, il nous a paru essentiel de clarifier et de préciser un dispositif trop souvent elliptique et qui renvoie très largement au pouvoir réglementaire.
Pour dissiper les incertitudes sur le coût de la réforme et sa répartition, nous avons adopté, à l'article 28, un amendement de notre collègue Albéric de Montgolfier prévoyant un suivi relativement fin des dépenses provoquées par la création de la prime d'activité.
Des dispositions ajoutées en séance ont enrichi le texte de la commission. Certains de ces apports devraient recueillir un large assentiment : inscription dans la loi du CDI intérimaire, qui est issu d'un accord entre partenaires sociaux et sécurise le parcours professionnel des salariés concernés ; possibilité de renouveler deux fois un CDD ou un contrat de travail temporaire ; aménagement du décompte de la période d'essai des apprentis ; forfaitisation de la gratification des stagiaires, une mesure qui m'était chère et qui mettra fin à un effet pervers imprévu de la loi du 10 juillet 2014.
D'autres modifications témoignent de la volonté du Sénat de faire bouger les lignes. Je conçois qu'elles suscitent des débats à l'Assemblée nationale, qu'il s'agisse de la possibilité de regrouper par accord les IRP dans les entreprises de plus de cinquante salariés au lieu de trois cents dans le projet de loi initial ou du nouveau délai accordé aux entreprises de moins de trois cents salariés pour mettre en place la base de données unique et y intégrer les nombreuses modifications prévues aux articles 13 et 14, de la prolongation jusqu'au 1er janvier 2018 des accords et plans d'action de prévention de pénibilité, de la fin du monopole syndical au premier tour des élections professionnelles, ou de la restriction du bénéfice de la prime d'activité à certains apprentis afin d'éviter tout effet d'aubaine chez les jeunes inscrits dans l'enseignement supérieur -ceux que j'appelle les apprentis-étudiants.
Sur toutes ces questions, le consensus sera sans doute difficile à trouver mais le Sénat est habitué à ce rôle de précurseur, je dirais même de lanceur d'alerte. Nos propositions sur le compte pénibilité, longtemps repoussées, voire décriées, ont ainsi trouvé un écho favorable dans le projet de loi. Je forme, par conséquent, le voeu que les apports du Sénat soient examinés avec attention par nos collègues députés.