Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi s'est réunie au Sénat le mardi 30 juin 2015.
Elle procède d'abord à la désignation de son bureau qui est ainsi constitué : M. Alain Milon, sénateur, président ; M. Jean-Patrick Gille, député, vice-président ; Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur pour le Sénat ; M. Christophe Sirugue, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
Après y avoir consacré quatre jours de séance, le Sénat a adopté, cet après-midi, le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi par 181 voix pour, 36 contre et 126 abstentions. Il a modifié une trentaine d'articles, en a adopté 17 conformes et en a supprimé 8. Il a également adopté une quinzaine d'articles additionnels.
D'une part, notre rapporteur, Catherine Procaccia, tout en se plaçant dans la logique du texte, s'est livrée à un travail d'ajustement minutieux en lui apportant une plus grande souplesse. D'autre part, le Sénat a manifesté une certaine déception face à la portée, somme toute assez limitée, de ce projet et, compte tenu de la situation très dégradée de l'emploi, il a souhaité aller un peu plus loin dans le sens de la simplification des procédures et des obligations pesant sur les entreprises avec, pour objectif, de lever plus franchement les freins à l'embauche. Au total, nous nous trouvons en présence de deux textes sensiblement différents.
Je vous prie d'excuser Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, qui se remet d'une intervention chirurgicale. Bien sûr, j'écouterai avec intérêt les exposés des rapporteurs, cependant la réunion a peu de chances d'aboutir, tant les désaccords sont nombreux et importants. J'en veux pour preuve la suppression de l'article 1er...
les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) formant véritablement un pilier du texte aux yeux de l'Assemblée nationale. Autres exemples, la suppression de la reconnaissance du burn-out en tant que maladie professionnelle ou encore du compte personnel d'activité. Sans surprise, nous constatons que nos approches divergent profondément. Je crains que la rapporteure ait du mal à me convaincre du contraire. Essayons tout de même l'exercice.
Le texte est le fruit du travail approfondi de la commission des affaires sociales et d'un examen constructif en séance publique la semaine dernière, au cours duquel 317 amendements ont été déposés et 68 adoptés. A l'exception de la suppression l'article 1er - non par la majorité sénatoriale mais bien par la majorité présidentielle -, les grands équilibres du texte ont été respectés, ce qui témoigne de l'ouverture et du pragmatisme avec lesquels j'ai voulu aborder ce rapport.
Nous avons d'abord souhaité promouvoir un dialogue social accepté par tous, en donnant toutes ses chances à la négociation. La commission des affaires sociales avait supprimé l'obligation d'instituer des CPRI et renvoyé à la négociation entre partenaires sociaux le soin de les mettre en place au niveau national ou, à défaut, au niveau régional et de les adapter. Il me semblait en effet étrange, voire provocateur, d'ouvrir ce projet par un article premier aussi directif sur un sujet qui a partiellement causé l'échec de la négociation sur la modernisation du dialogue social en janvier dernier.
Cet article fédérant un grand nombre de mécontentements et de craintes, d'ailleurs excessives, il fallait trouver un compromis qui satisfasse les salariés tout en rassurant les employeurs. Même si le Sénat a finalement supprimé cet article en séance publique, j'ai la faiblesse de penser que nos travaux pourraient utilement éclairer la réflexion de l'Assemblée nationale. Nous avions ainsi prévu que les membres des CPRI ne pourraient pénétrer dans les locaux d'une entreprise qu'avec l'autorisation expresse de l'employeur et moyennant un délai de prévenance de huit jours.
Deuxième objectif : éviter l'instabilité législative, cette faiblesse récurrente de notre pays que nous dénonçons tous. Nous avons supprimé dans ce but l'abaissement du seuil d'effectif déclenchant l'obligation d'accueillir des administrateurs salariés dans les organes de gouvernance des grandes entreprises, jugeant pour le moins prématurée une modification des règles issues de la loi de sécurisation de l'emploi, adoptée il y a moins de deux ans, et avant même toute étude d'impact ou évaluation approfondie de cette loi.
Nous avons également maintenu la possibilité, pour les membres titulaires d'un comité d'entreprise, de fixer par accord les délais dans lesquels le comité doit rendre ses avis, même en présence d'un délégué syndical -prérogative qui leur a été conférée par la même loi défendue par Michel Sapin.
Eviter l'instabilité législative, c'est aussi veiller à choisir les véhicules législatifs adaptés : voilà pourquoi le Sénat a supprimé l'article 19 bis relatif à la reconnaissance des pathologies psychiques. Ce débat a davantage sa place dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé que nous examinerons prochainement. De plus, l'amendement a été introduit à l'Assemblée nationale alors que nos auditions étaient presque achevées.
Troisième axe : donner plus de souplesse aux entreprises. Nous avons souhaité expérimenter pendant cinq ans le lissage, sur une période de trois ans, des obligations liées au franchissement des seuils de onze et cinquante salariés, proposition formulée par le ministre du travail lui-même avant l'ouverture de la négociation sur la modernisation du dialogue social. Omniprésente dans le débat public, la question des seuils brillait par son absence dans ce projet de loi, à l'exception de quelques aménagements techniques. Saisissant l'occasion, nous avons simplifié le calcul du seuil pour la mise en place et la suppression du comité d'entreprise, qui faisait partie du programme en faveur des TPE et PME annoncé par le Premier ministre le 9 juin dernier.
Nous avons renforcé l'encadrement des mécanismes de cumul des heures de délégation et de mutualisation de ces heures entre plusieurs élus au sein d'une institution représentative du personnel (IRP).
Enfin, notre quatrième objectif a été d'assurer la sécurité juridique et financière des dispositifs instaurés par le texte. Nous avons conforté les règles de la représentativité patronale en adoptant l'amendement du Gouvernement qui ne prenait en compte que les cotisations volontaires dans le calcul du seuil de 8 % d'entreprises adhérentes et en acceptant, pour répondre à une très forte inquiétude du monde agricole, que les associations et syndicats professionnels soient considérés comme des organisations d'employeurs.
Quant au compte personnel de prévention de la pénibilité, nous avons souhaité que l'homologation des référentiels de branche par les ministères concernés n'entraîne pas de dérive dans les dépenses du fonds de financement des droits ouverts pour les salariés, afin de ne pas recréer des régimes spéciaux.
Enfin, à l'article 20, la commission a remplacé le dispositif initial de négociation enchâssée des règles d'indemnisation chômage des annexes 8 et 10 par une concertation renforcée avec les partenaires sociaux représentatifs de l'ensemble de la production cinématographique, de l'audiovisuel et du spectacle. Pour la quasi-totalité des personnes que nous avons auditionnées, les nombreuses incertitudes juridiques du dispositif initial risquent, en effet, en multipliant les contentieux contre le dispositif d'agrément de la convention d'assurance chômage, de fragiliser l'édifice.
A l'article 24, nous avons réécrit les modalités de calcul de la prime d'activité. Si nous pouvons nous rejoindre sur la nécessité d'une réforme des dispositifs existants que sont le RSA-activité et la prime pour l'emploi, il nous a paru essentiel de clarifier et de préciser un dispositif trop souvent elliptique et qui renvoie très largement au pouvoir réglementaire.
Pour dissiper les incertitudes sur le coût de la réforme et sa répartition, nous avons adopté, à l'article 28, un amendement de notre collègue Albéric de Montgolfier prévoyant un suivi relativement fin des dépenses provoquées par la création de la prime d'activité.
Des dispositions ajoutées en séance ont enrichi le texte de la commission. Certains de ces apports devraient recueillir un large assentiment : inscription dans la loi du CDI intérimaire, qui est issu d'un accord entre partenaires sociaux et sécurise le parcours professionnel des salariés concernés ; possibilité de renouveler deux fois un CDD ou un contrat de travail temporaire ; aménagement du décompte de la période d'essai des apprentis ; forfaitisation de la gratification des stagiaires, une mesure qui m'était chère et qui mettra fin à un effet pervers imprévu de la loi du 10 juillet 2014.
D'autres modifications témoignent de la volonté du Sénat de faire bouger les lignes. Je conçois qu'elles suscitent des débats à l'Assemblée nationale, qu'il s'agisse de la possibilité de regrouper par accord les IRP dans les entreprises de plus de cinquante salariés au lieu de trois cents dans le projet de loi initial ou du nouveau délai accordé aux entreprises de moins de trois cents salariés pour mettre en place la base de données unique et y intégrer les nombreuses modifications prévues aux articles 13 et 14, de la prolongation jusqu'au 1er janvier 2018 des accords et plans d'action de prévention de pénibilité, de la fin du monopole syndical au premier tour des élections professionnelles, ou de la restriction du bénéfice de la prime d'activité à certains apprentis afin d'éviter tout effet d'aubaine chez les jeunes inscrits dans l'enseignement supérieur -ceux que j'appelle les apprentis-étudiants.
Sur toutes ces questions, le consensus sera sans doute difficile à trouver mais le Sénat est habitué à ce rôle de précurseur, je dirais même de lanceur d'alerte. Nos propositions sur le compte pénibilité, longtemps repoussées, voire décriées, ont ainsi trouvé un écho favorable dans le projet de loi. Je forme, par conséquent, le voeu que les apports du Sénat soient examinés avec attention par nos collègues députés.
Je salue le travail intense du Sénat qui a introduit des modifications considérables dans le projet de loi. Mais, malgré des articles adoptés dans les mêmes termes, nos positions sont irréconciliables sur des points cruciaux.
A elle seule, la suppression de l'article 1er qui crée les CPRI - il valait mieux le supprimer au vu des modifications apportées - suffit à acter nos désaccords. Le Sénat a aussi adopté une série de suppressions et de restrictions sur le mode de scrutin paritaire au début de liste des délégués du personnel (DP) et des membres du CE, la possibilité de siéger pour les représentants du personnel suppléants ou le recours à la visioconférence dans les réunions d'IRP. Le dialogue social doit être équilibré... en tenant compte du fait que le déséquilibre initial est l'enjeu même du dialogue.
L'abaissement à cinquante salariés du seuil de regroupement des IRP met à mal l'équilibre fondamental du texte adopté par l'Assemblée nationale, qui repose sur le pivot entre les articles 8 et 9, soit 300 salariés.
Dans le reste du titre I, le Sénat a voté des articles additionnels supprimant le monopole syndical de candidature au premier tour des élections professionnelles et modifiant le mode de calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires. L'Assemblée ne pourra pas y souscrire.
Je regrette profondément la suppression de l'article 19 bis reconnaissant le burn-out comme maladie professionnelle. Ce n'est pas en repoussant le sujet qu'on le traitera.
L'article 20 relatif aux règles de négociation des accords relatifs à l'assurance chômage des intermittents du spectacle a été considérablement affaibli. C'est une négation du travail de la commission où a siégé Jean-Patrick Gille, qui avait pourtant permis de mettre fin aux conflits nés durant les festivals de l'été dernier. La concertation renforcée que vous avez mise en place n'apaisera aucunement les tensions.
A l'article 21, vous avez supprimé le compte personnel d'activité. Cette mesure de bon sens est pourtant nécessaire pour sécuriser les parcours professionnels dans un contexte économique difficile où les salariés connaissent plusieurs employeurs successifs.
Vous avez restreint aux apprentis dépourvus de diplôme l'éligibilité à la prime d'activité, qui devrait être pleinement mise en oeuvre afin de tendre la main à toutes les personnes concernées par ce dispositif. Enfin, loin d'être le résultat des seules alertes lancées par le Sénat, les éléments du texte relatifs à la pénibilité sont issus d'une mission que m'a confiée le Premier ministre.
La perspective d'un accord me semble difficile, voire irréaliste, ce qui ne m'empêchera pas de proposer à l'Assemblée nationale d'adopter certains éléments introduits par le Sénat afin d'élaborer le texte le plus abouti possible dans le sens du dialogue social et de l'emploi. J'en prends l'engagement devant vous.
Le Sénat a voté ce texte deux heures à peine avant la commission mixte paritaire : une première !
Cette méthode de travail est insupportable. On ne respecte pas le Parlement. Nous recevrons le projet de loi dans la soirée, les amendements devront être déposés d'ici demain midi avant la réunion de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale à 17 heures. Un tel calendrier est inadmissible.
Beaucoup d'avancées ont été réalisées au Sénat. Je salue le travail du rapporteur, Mme Catherine Procaccia, et des sénateurs qui y ont contribué. L'amendement du Gouvernement permettant de renouveler deux fois un CDD dans une période de dix-huit mois, n'a pu être étudié par l'Assemblée nationale.
La méthode n'est pas acceptable.
Je vous remercie également pour le CDI intérimaire. Il s'agit d'une demande de la profession. Dès lors que ce texte veut offrir plus de travail à tous - on sait combien le CDD laisse perdurer une forme de précarité, face à l'emprunt, par exemple -, il est important de donner cette possibilité, qui se développera dans les prochaines années.
La suppression de la double expertise par les comités centraux d'entreprise et l'amendement de Daniel Gremillet sur la non-prise en compte des congés payés dans le calcul des heures supplémentaires sont autant d'éléments de bon sens qu'il serait nécessaire de reprendre.
Autre manifestation de conditions de travail insupportables, le fait que les amendements du Gouvernement arrivent au fil de l'eau. Après avoir déclenché un beau débat sur la représentativité patronale, celui sur l'article 18 est en train de mettre le feu aux poudres. Proposé sans concertation avec les partenaires sociaux, il s'est soldé par un échec puisque le Gouvernement a été battu.
Le groupe Les Républicains est consterné par la méthode de travail et désolé que les avancées du Sénat ne soient pas prises en compte.
Je salue le travail des sénateurs qui ont tenté de rendre du pragmatisme à ce projet et de faire tenir ses promesses au Premier ministre. Le rapporteur a déclaré qu'il serait tenu compte de certaines propositions sénatoriales à l'Assemblée nationale. Je suis curieuse de savoir lesquelles.
Vous le saurez dès demain !
Cela arrivera très rapidement, en effet, et je rejoins les propos de Gérard Cherpion sur cette méthode de travail inacceptable.
Dans nos circonscriptions, les chefs d'entreprise s'inquiètent. J'espère que toutes les propositions de bon sens seront retenues. Je déplore le décalage entre les annonces faites aux chefs d'entreprise qui créent les emplois en France et ce projet qui n'apportera ni la souplesse promise, ni les simplifications nécessaires. Attendons-nous aux déconvenues des organisations patronales, des syndicats de salariés, de nos compatriotes. Il ne faut pas compter sur ce projet, s'il est rétabli dans sa rédaction initiale, pour relancer l'activité dans notre pays.
Pour l'instant, ceux qui pensent comme les sénateurs ne sont malheureusement pas majoritaires à l'Assemblée nationale, où je crains que soient rétablies certaines dispositions comme l'article 1er. Je rejoins Catherine Procaccia : débuter un projet de loi sur le dialogue social par la création de commissions paritaires régionales n'est pas le meilleur signal d'une volonté d'amélioration du dialogue. Nous essaierons de faire au mieux, merci à vous d'avoir essayé.
Le moment est venu de constater que, comme l'a indiqué le rapporteur de l'Assemblée nationale, un compromis est irréaliste. Il n'y a pas d'accord possible mais les majorités changent.