Concernant la montée en charge industrielle du Rafale, je souhaiterais rappeler que les 24 avions vendus aux Qataris et les 24 autres vendus aux Egyptiens compensent les avions prévus pour les armées françaises, dont la livraison a ainsi pu être décalée dans la LPM. Par conséquent, à l'heure actuelle, avec ces deux contrats, nous ne montons pas la cadence production mais pallions le trou de production de la LPM.
Cependant, nous nous préparons effectivement à une montée en cadence à la suite du troisième contrat, voire d'un quatrième. J'ai décidé d'anticiper cette augmentation de cadence. Je rappelle que les livraisons initialement prévues pour la France devaient s'effectuer à cadence de 2,5 avions par mois ; aujourd'hui pour des raisons budgétaires, nous en sommes à un par mois, mais cela signifie que nous avons les outillages, la surface, et que toute la chaîne est prête. Nous allons donc recruter du personnel progressivement, de façon être capable d'atteindre la cadence 3, voire au-delà, en 2019 en termes de livraison, soit dès 2016 en termes de fabrication. Nos coopérants Thalès et Safran ainsi que l'ensemble des 500 sous-traitants environ qui travaillent dans l'écosystème du Rafale vont devoir se préparer à cette montée en cadence. Nous les avons déjà réunis. Ces PME et ETI sont satisfaites de cette montée en charge. Nous n'aurons donc pas de réels problèmes à faire cette montée en cadence et nous serons à même d'assumer d'autres contrats sous un an.
Dans cette optique, il est fondamental de pouvoir embaucher du personnel bien formé. Je me permets, à cet égard, une parenthèse : les formations ne sont pas adaptées, dans ce pays touché par le chômage, et particulièrement dans le secteur de l'aéronautique qui se porte bien et qui nécessite d'embaucher des ingénieurs, des techniciens et des compagnons compétents. Nous faisons en sorte de développer l'apprentissage le plus possible, à l'image de ce qui se fait dans la région Aquitaine où nous sommes largement implantés. Le Salon du Bourget, avec « l'avion des métiers », a également été l'occasion de faire connaitre et transmettre l'amour du métier. Le message que je souhaiterais faire passer au Parlement, c'est qu'il faut essayer de regarder les besoins de l'industrie en parallèle des besoins d'éducation. Il serait paradoxal de ne pas réussir à recruter dans un pays qui compte plusieurs millions de chômeurs !
La préparation du futur va pour nous jusqu'à l'après Rafale, étant précisé que le Rafale servira nos armées pour encore au minimum 30 ans. Nous tentons actuellement de concentrer nos efforts sur un moyen terme avec l'UCAV. Le démonstrateur Neuron, qui a effectué plus de 100 vols, a permis de démontrer deux choses : d'une part, nous arrivons, par une automatisation des lois de pilotage avec un donneur d'ordre, pilote au sol, à avoir des trajectoires préprogrammées qui répondent à des besoins de mission ; d'autre part, la furtivité est excellente puisque les résultats se sont révélés supérieurs à ceux que nous escomptions. Il est important de travailler dans ce secteur des avions de combat non pilotés, car le champ de bataille s'automatise et il est important que la France et ses partenaires soient au premier plan de cette recherche. Celle-ci a déjà été conduite au niveau technologique ; maintenant il convient de préciser cette expression de besoin. Nous l'aurions souhaitée européenne, elle est franco-britannique.
Par ailleurs, il résulte de l'absence de retour technologique de l'investissement de 2 milliards de livres sterling consenti par les Britanniques dans le développement du JSF un effet bénéfique sur la coopération franco-britannique. Les Britanniques vont certes obtenir des emplois dans la sous-traitance, grâce aux « offsets », mais cela pose la question que je soulevais dans mes propos liminaires : les Européens veulent-ils juste devenir les sous-traitants des Américains ? Ou désirent-ils conserver une certaine autonomie stratégique qui repose sur la maîtrise des technologies critiques de la défense? Je crois que les Britanniques souhaitent conserver cette autonomie qui est indispensable à la pérennité de leur industrie; il faudra simplement être très attentif au pilotage de la coopération franco-britannique, dans le cadre des accords de Lancaster House, renouvelés et alimentés par les autorités actuelles britanniques et françaises. Excepté l'Italie, il n'y a pas d'autre pays qui s'intéresse à ce projet.
Je me permets une remarque : il existe en Europe, encore aujourd'hui, une préférence américaine. Les pays européens ont tendance à suivre les recommandations de l'OTAN, sous l'influence particulière des États-Unis. Pour ce qui concerne l'aéronautique de combat, la réintégration de la France dans l'OTAN n'a eu aucun impact positif pour notre industrie. L'Europe doit donc s'organiser ; nous verrons ce qu'il ressort du Conseil européen dans quelques jours. L'objectif du dernier Conseil européen destiné à ces sujets, en 2013, était le développement du drone MALE. Or, aujourd'hui, seules la France, l'Allemagne et l'Italie ont exprimé leur volonté de construire un drone MALE. Pour le reste, l'Europe va se tourner à nouveau vers le Reaper. Nous ne souhaitons pas être des sous-traitants des États-Unis ; c'est pourquoi l'achat « sur étagère » des Reaper nous a toujours inquiétés. Certes, nous reconnaissons le besoin d'acheter « sur étagère » ces drones, pour répondre aux besoins des opérations à court terme, mais ce besoin constitue surtout le résultat du manque d'anticipation des Européens. En parallèle de cet achat, il est urgent que des études soient lancées pour engager la génération d'après. Toutefois, cela peut être rattrapé et nous, les trois industriels concernés, demandons une étude à hauteur de trois fois 20 millions d'euros pour pouvoir présenter, d'ici deux ans, ce que nous serions capables de produire.
En ce qui concerne le contrat Rafale avec l'Egypte, il s'agit d'un contrat à prix export normal, sur la base du prix France auquel s'ajoutent les frais liés à l'exportation.
Pour ce qui est de la marine, deux Rafale devraient être livrés en 2015 et deux autres en 2016. Il n'y a donc pas aujourd'hui de crainte à avoir en ce domaine. Le retrait des avions Super-Etendard est en cours de préparation, afin de passer en configuration exclusivement « Rafale » sur le porte-avions. Pour compléter le propos de M. Gautier, la disponibilité des Rafale sur le porte-avions est supérieure à 90 % et j'ai vu, lors de mes visites, tant sur le porte-avions que sur la base de l'armée de l'air d'Al Dhafra des aviateurs plus que satisfaits des qualités du Rafale. La problématique liée au contrat avec l'Égypte est une problématique de court terme ; les prélèvements sur les forces françaises sont tout à fait provisoires. Nous avons par ailleurs trouvé des accords, notamment avec la SIMMAD, pour obtenir des prêts de pièces de rechange que nous rembourserons en nature très rapidement, le temps de fabriquer ces éléments prélevés. Cela ne devait donc pas affecter les disponibilités d'avions sur l'année en cours.
En ce qui concerne les ventes de Falcon, il existe évidemment un effet psychologique du fait du succès de l'équipement militaire mais cela reste un marché très différent. Je vous rappelle que 2000 Falcon volent aujourd'hui partout dans le monde, selon des contrats qui ont été fait un par un, principalement à l'export ; ils ne sont pas particulièrement liés à l'actualité des ventes de Rafale. L'image, cependant, aide toujours à vendre, ainsi que les apports en matière de technologie.
La technologie duale développée dans nos bureaux d'étude permet en effet une fertilisation croisée entre le civil et le militaire ; le civil tire avantage du militaire, notamment sur les commandes de vol, mais le militaire tire réciproquement avantage du civil grâce au processus industriel que nous avons mis en place. Notre impératif sur le Falcon c'est d'être toujours plus compétitifs pour rester concurrentiels face à l'américain Gulfstream, implanté dans le Sud des États-Unis et bénéficiant d'un coût de main d'oeuvre bien inférieur à celui de la France, de capacités de recherche et développement conséquentes et de taxes et impôts largement inférieurs à ceux pratiqués en France. Tout cela permet de construire à moindre coût qu'en France ; c'est pourquoi nous avons dû ouvrir une usine aux États-Unis, et que nous la renforçons aujourd'hui, pour l'aménagement intérieur des Falcon. Cependant nous gardons sur le territoire français la construction des Falcon et des Rafale, en spécialisant les fabrications grâce à la robotisation, à la gestion du cycle de vie et au numérique, afin de rester compétitifs face aux États-Unis, pays à la fois « low cost » et « high tech ».