Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, chers collègues, j’irai à l’essentiel : concrètement, ce projet de loi d’actualisation comporte trois décisions d’importance majeure.
Premièrement, les recettes exceptionnelles prévues par la loi de programmation militaire pour la période 2015-2019 sont dans une très large mesure – à hauteur de plus de 5 milliards d’euros – remplacées par des crédits budgétaires.
Le projet de loi répond ainsi à la principale objection qui avait conduit un certain nombre d’entre nous à ne pas adopter le budget de la défense pour 2015.
On peut regretter que cette question n’ait pas été tranchée plus tôt, malgré les signaux d’alarme qui ont été tirés, notamment par notre assemblée, et que le Gouvernement se soit entêté à mettre en œuvre un « plan B » consistant en la fameuse opération de cession-relocation de matériel militaire à travers des sociétés de projet, cela alors même qu’un rapport réalisé par l’Inspection générale des finances, le Contrôle général des armées et la Direction générale de l’armement, fort opportunément classifié « confidentiel défense », concluait dès juillet 2014 que la vente des fréquences hertziennes ne serait pas au rendez-vous et émettait de fortes réserves sur les sociétés de projet, sur les plans tant financier et juridique qu’opérationnel. Je présenterai d’ailleurs un amendement visant à permettre aux commissions parlementaires de saisir la Commission consultative du secret de la défense nationale, la CCSDN, afin qu’elle puisse se prononcer sur le bien-fondé des classifications.
Toujours est-il que la raison a finalement prévalu : les ressources exceptionnelles, rebaptisées « recettes de cession », ne s’élèvent plus qu’à 930 millions d’euros, au total, de 2015 à 2019, et ne sont plus composées que de cessions immobilières, à hauteur de 630 millions d’euros, et de cessions de matériels militaires pour le solde.
Deuxièmement, le présent projet de loi prévoit d’augmenter les ressources totales du ministère de la défense pour la période allant de 2016 à 2019. Ce sont ainsi 3, 8 milliards d’euros de crédits budgétaires supplémentaires qui seront répartis sur ces quatre années, dont 2, 5 milliards d’euros après 2017.
Enfin, 18 750 équivalents temps plein seront maintenus, sur les 33 675 suppressions initialement prévues dans la loi de programmation militaire. Le coût de cette moindre déflation des effectifs représente 2, 8 milliards d’euros, sur les 3, 8 milliards d’euros de crédits supplémentaires dont bénéficie la défense.
Le milliard d’euros restant sera affecté pour moitié à l’entretien programmé des matériels et pour l’autre aux programmes d’équipement majeurs. Les programmes d’armement bénéficieront également du redéploiement de 1 milliard d’euros de crédits, grâce la baisse du coût des facteurs et des indices économiques sur lesquels se fondent les clauses d’indexation des contrats d’armement.
Le risque aurait été que le constat de gains de pouvoir d’achat du ministère de la défense ne conduise à des annulations de crédits. Le projet de loi prévoit au contraire que ces gains seront conservés par le ministère et consacrés à des dépenses d’équipement. Je tenais à le souligner.
Le projet de loi actualisant la programmation militaire va donc dans le bon sens, celui d’un renforcement et d’une sécurisation des moyens de la défense. Il remédie aux principaux reproches que l’on pouvait adresser à la loi de programmation militaire et au budget de la défense pour 2015. J’avais qualifié ce dernier d’insincère lors de son examen par notre commission, puis par le Sénat. Cela m’avait d’ailleurs valu quelques reproches. Pour autant, tout le monde savait que les recettes prévues ne seraient pas au rendez-vous. Les décisions annoncées par le Président de la République et ce projet de loi ne font que conforter cette analyse. Notre vote constituait un appel solennel adressé au Président de la République et au Gouvernement. Je me réjouis, monsieur le ministre, qu’il ait été entendu.
Il nous faudra cependant maintenir notre vigilance, afin que la défense bénéficie effectivement des ressources prévues dans le cadre de cette programmation actualisée.
C’est d’ailleurs le sens de trois amendements déposés par la commission des finances, qui ont été repris par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je veux en remercier Jean-Pierre Raffarin et nos collègues membres de cette commission.
Le premier de ces amendements porte sur les opérations extérieures, les OPEX. Le projet de loi prévoit de maintenir la provision pour les OPEX à 450 millions d’euros. C’est évidemment très en dessous du coût prévisible de ces opérations. En 2014, celui-ci a atteint 1, 12 milliard d’euros, soit un dépassement de 650 millions d’euros ; en 2015, il en ira de même.
Le maintien de la provision à ce niveau inchangé est d’autant plus surprenant que le Gouvernement, dans l’exposé des motifs du projet de loi, précise que l’actualisation est rendue nécessaire par un engagement des forces qui se situe au-delà des seuils fixés dans le Livre blanc : il n’en tire pas les conséquences financières.
Par ailleurs, le principe d’un financement interministériel demeure, mais, dans la mesure où ce financement s’effectue plus largement, dans le cadre de la solidarité interministérielle, le ministère de la défense y contribue fortement. Je constate d’ailleurs, pour le regretter, que toutes les missions et tous les ministères ne contribuent pas de la même façon et à due proportion à ce financement interministériel. Le manque à gagner pour la défense s’élève à 79 millions d’euros selon la Cour des comptes, et à 54 millions d’euros selon un mode de calcul plus favorable.
Dans ces conditions, il est difficile de parler de sanctuarisation. On aboutit à un mécanisme qui rogne les moyens de nos armées alors même que celles-ci sont engagées sur des théâtres extérieurs. Cela est d’autant plus dommageable que s’ajoute désormais le coût des opérations intérieures. Je rappelle que le ministère de la défense est en outre son propre assureur en ce qui concerne le système de paie Louvois.
C’est pourquoi la commission des affaires étrangères et la commission des finances ont proposé que le ministère de la défense ne contribue pas au financement du dépassement de la provision au titre des OPEX.
Les deux autres amendements, repris également par la commission saisie au fond, portent sur les cessions immobilières.
Il s’agit, d’abord, de rétablir la clause de sauvegarde prévue par la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et supprimée par ce projet de loi, et, ensuite, de parer aux conséquences de la loi Duflot. La plus grande part des recettes viendra de la cession des emprises parisiennes, notamment de l’îlot Saint-Germain. Si la décote Duflot devait s’appliquer, les recettes prévues ne seraient point au rendez-vous.
Sans qu’ils fassent l’objet d’amendements, deux points méritent une vigilance particulière.
Il s’agit, en premier lieu, de l’entretien des matériels. Les équipements de nos forces engagées en opération extérieure s’usent de manière accélérée, notamment dans la bande sahélo-saharienne, en raison de conditions d’usage extrêmement abrasives. Un effort important doit être consenti pour leur régénération, sinon les forces armées ne pourront maintenir leur niveau d’engagement actuel. Le présent projet de loi y affecte 500 millions d’euros supplémentaires, alors que les besoins sont chiffrés à plus de 800 millions d’euros par l’état-major des armées. Il conviendra de prêter à cette question une attention particulière, car, si l’usure des matériels n’a pas d’incidence budgétaire tant que les réparations ne sont pas effectuées, elle représente bien une consommation des ressources de l’État.
Il s’agit, en second lieu, des ressources dégagées par redéploiement des crédits, soit 1 milliard d’euros. Elles reposent sur l’hypothèse que les indices économiques – taux de change, inflation, etc. – se maintiendront à un niveau bas durant le reste de la période de programmation. Il faudra surveiller leur évolution réelle et tirer éventuellement les conséquences de celle-ci le moment venu. De ce point de vue, l’amendement adopté par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées me paraît bienvenu.
Pour conclure, je rappelle que la LPM n’a qu’une valeur programmatique, les décisions normatives dans le domaine budgétaire relevant exclusivement des lois de finances. Or nous vivons toujours sous l’empire de la loi de finances de 2015. Cela signifie concrètement que la vente de fréquences figure toujours au budget de la défense, tout comme la diminution des effectifs, et que les crédits budgétaires annoncés en substitution des recettes exceptionnelles ne sont toujours pas inscrits.
Comme l’a souligné M. Raffarin, nous réclamons depuis plusieurs semaines, et pas seulement pour nos armées, une décision modificative. Monsieur le ministre, je prends acte de la réponse que vous avez bien voulu nous apporter par anticipation. Nous menons le même combat que vous. Puisque les décisions sont prises et que nous sommes, semble-t-il, d’accord, plus tôt le budget de 2015 sera revu dans le sens que nous espérons, mieux nos armées se porteront.
La commission des finances a souhaité enrichir ce projet de loi pour la bonne cause, monsieur le ministre. N’y voyez pas malice de notre part. Notre seule motivation est de conforter et de reconnaître l’action conduite par nos militaires sous votre autorité. Je forme le vœu que ce débat et la navette parlementaire permettent de trouver un équilibre satisfaisant pour nos armées et nos soldats, auxquels nous rendons hommage.
Sous réserve de ses amendements, la commission des finances a émis un avis favorable sur ce projet de loi.