Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 7 juillet 2015 à 14h30
Éloge funèbre de jean germain sénateur d'indre-et-loire

Marisol Touraine :

Monsieur le président, je vous remercie de l’hommage que vous venez de rendre à Jean Germain, auquel s’associe l’ensemble du Gouvernement. En son nom, je voudrais à mon tour saluer la mémoire de celui qui fut un grand élu local, un parlementaire passionné, mais aussi, pour moi, un ami de longue date.

Jean Germain, c’est avant tout une histoire rare entre un homme et un territoire, une histoire qui aura vu « le petit gars de Bourgueil », comme il aimait lui-même malicieusement s’appeler – car Jean Germain était un vrai malicieux, au regard qui pétille, au sourire qui réchauffe et au trait d’esprit qui, parfois, assomme –, remonter la Loire pour être élu maire de Tours, fonder et présider sa communauté d’agglomération, puis devenir sénateur d’Indre-et-Loire.

Remonter la Loire : dans cette simple tournure tient une des clés du caractère de Jean Germain. Remonter le courant, c’est ce qu’il aura eu le sentiment de faire sa vie durant, lui qui aura commencé avec un CAP de pâtissier – il lui en était resté le goût de la cuisine ! – et finira docteur en droit, lui qui deviendra président de l’université bien que n’étant que maître de conférences, lui qui enlèvera une ville détenue depuis trente-six ans par la droite et réputée inexpugnable. Jean Germain aura toujours eu à cœur de faire mentir les destinées écrites par certains pour d’autres qu’eux.

Ce qu’il était parvenu à faire pour lui, il souhaitait ardemment que tous puissent le réaliser. Rien ne devait pouvoir entraver la volonté et le mérite. C’est une des clefs de son engagement.

C’était donc un tempérament profondément ligérien que celui de Jean Germain. À l’image de celle de la Loire, qu’il aimait tant, son apparente quiétude cachait un cours que rien ne pouvait détourner, une liberté que rien ne pouvait forcer. À l’image de la Touraine, terre de tempérance et de raison, il abhorrait les outrances, les excès et les dogmes.

De ces traits procédèrent naturellement les lignes de force d’un engagement politique au sein de la gauche républicaine et sociale-démocrate, résolument sociale-démocrate.

C’est ainsi qu’il rejoint, très jeune, les rangs de la Convention des institutions républicaines, au côté de François Mitterrand. Il sent dans ce mouvement et son leader cette capacité à concilier les idéaux et le réel, cet équilibre toujours précaire que la gauche a, dans ces années-là, tant de mal à atteindre. Et si Jean Germain n’a pas eu de mentor, François Mitterrand fut néanmoins pour lui une figure tutélaire, avec laquelle il partageait l’amour des lettres, de l’histoire, une certaine forme de spiritualité et, il faut bien le dire, la conviction que l’habileté en politique n’est pas forcément un vilain défaut. Jean Germain était habile, avec ce que cela, parfois, recèle de complexité et d’ambiguïté.

Mais Jean Germain n’était pas un homme d’appareil. Il ne concevait l’engagement que comme une manière de changer les choses, ce qui exige d’être sur le terrain, d’agir concrètement.

En 1982, encore étudiant, il rejoint André Laignel, tout nouveau président du conseil général de l’Indre, en tant que directeur de cabinet. En plein élan de décentralisation, tout est à inventer et à redéfinir. Le duo s’y emploie, avec enthousiasme. L’aventure est alors joyeuse et de cette coopération naît une amitié qui durera quarante ans. Elle trouvera de nouveau à s’employer quelques années plus tard, lorsque Jean Germain redeviendra le directeur de cabinet d’André Laignel, nommé secrétaire d’État à la formation professionnelle, puis à l’aménagement du territoire.

Jean Germain agit, donc, mais il voudrait tellement le faire chez lui, à Tours !

Seulement, en cette fin des années quatre-vingt, il est encore illusoire pour un homme de gauche d’espérer créer une brèche dans la citadelle de Jean Royer. Qu’à cela ne tienne ! Si l’on ne peut encore s’occuper des affaires de la ville, on peut au moins commencer par moderniser son université.

Jeune maître de conférences en droit, il se met en tête de devenir président de l’université François-Rabelais, fonction pourtant traditionnellement dévolue au corps des professeurs, et il y parvient. Il conduira de nombreux chantiers, avec toujours pour objectif de démocratiser l’accès à l’enseignement, de mettre l’université en prise avec la société et le monde du travail ; et de l’ouvrir sur l’Europe, car il est aussi un grand Européen.

Il trouve même un terrain d’entente avec Jean Royer, à savoir un programme immobilier permettant de conserver l’université en centre-ville, montrant une fois encore que, pour lui, l’intérêt général doit primer ce qu’il appelle les « politicailleries ».

Jean Germain était un enseignant apprécié de ses étudiants, il devint un président estimé de ses collègues. Mais en ce mitan des années quatre-vingt-dix, il ne sait pas encore qu’il va bientôt devenir un maire aimé des Tourangeaux.

En 1995, l’imprévisible se produit. À la faveur de la désunion de ses opposants, Jean Germain remporte l’élection municipale et succède au « roi Jean », celui avec qui il croise le fer au conseil municipal depuis plusieurs années, mais dont il respecte la droiture et reconnaît la stature. La victoire est, il faut l’admettre, une surprise. La fête n’en est que plus belle ! Toutefois, passé la liesse, le regard se dessille vite : on savait que la ville était devenue indolente ; on s’aperçoit qu’elle est, en outre, dans un état financier critique !

Jean Germain est un homme de gauche, un gouvernant adroit, mais aussi – on le sait au Sénat plus qu’ailleurs – un spécialiste des finances publiques. Il parviendra à restaurer l’attractivité de la ville, tout en la redressant financièrement, avec toujours pour maîtres mots « réunir et rassembler ».

Réunir et rassembler les Tourangeaux, quelles que soient leurs origines, leurs appartenances, leurs classes sociales ou leurs générations.

Réunir et rassembler un territoire jusqu’alors fractionné, en aidant les élus de l’agglomération à dépasser leurs clivages et parfois leurs vieilles rancunes pour bâtir la communauté d’agglomération. Jean Germain signa l’un des succès dont il était légitimement le plus fier. Il prolongera cette réconciliation des territoires en siégeant au conseil régional, où il sera le loyal et efficace premier vice-président de Michel Sapin, d’Alain Rafesthain, puis de François Bonneau.

Réunir et rassembler, enfin, les familles politiques autour d’une base qui soit la plus large possible. Jean Germain savait que l’union est la meilleure garante des victoires électorales, et surtout à quel point elle préserve de l’hégémonie stérilisante. La diversité était pour lui un impératif.

Élu avec moins de 43 % des voix en 1995, il le sera avec plus de 62 % en 2008 : tout est dit !

Cette trajectoire trouvera sa consécration avec l’entrée de Jean Germain au Sénat en 2011. Cette chambre, moins sensible aux vibrations partisanes et aux soubresauts de l’opinion, lui correspondait parfaitement. Il était fier d’y siéger et heureux, je le crois, d’avoir pu réaliser ce qui était pour lui un accomplissement.

Je sais qu’il était ici un collègue estimé et une voix que l’on écoutait au sein de la commission des finances. Je ne doute pas qu’il était également, pour beaucoup ici, un ami apprécié.

Jean Germain aura donc été pour nombre d’entre nous une présence bienveillante. Il aimait transmettre et accompagner, mais sans jamais étouffer les personnalités et les aspirations. Il prenait chacun comme il était, sans vouloir le changer, tout en l’amenant, par petites touches, à s’accomplir. « Le soleil doit briller pour tout le monde », disait-il souvent. Il faisait ce qu’il fallait pour cela, en accordant sa confiance et en laissant une grande autonomie à ses équipes. Toute une génération – des jeunes, mais pas seulement – a émergé autour de lui. Il aimait aussi à mettre en situation des personnalités d’horizons divers issues de la société civile.

Vous me permettrez un mot personnel. Cette bienveillance, j’en ai moi-même bénéficié quand je suis « entrée » en politique, en Indre-et-Loire. Il m’a soutenue et encouragée avec une confiance vraie lors des élections législatives de 1997 et après. D’autres que lui auraient vu une potentielle concurrence : le monde politique n’aime pas toujours les nouvelles têtes… Lui a vu une chance de faire avancer nos idées dans le département. Je suis heureuse et fière d’avoir pu lui donner raison.

Cette bienveillance, certains l’ont pourtant trahie. Je ne reviendrai ici ni sur les circonstances ni sur les protagonistes – ils n’ont pas leur place en cet instant. Je veux simplement exprimer la colère et la tristesse, toujours aussi présentes : la colère contre les cyniques et les cupides, qui l’ont conduit à ce geste ; la tristesse que nous, ses proches, éprouvons de n’avoir pas vu la faille qui en lui s’élargissait.

Pour conclure cet éloge, j’emprunterai les mots de François Mitterrand, des mots que Jean aurait reconnus et appréciés :

« Je parle au nom de la France lorsque je dis [...] qu’elle a perdu l’un de ses meilleurs serviteurs et qu’elle en prend conscience sous le choc d’un drame où se mêlent grandeur et désespoir, la grandeur de celui qui choisit son destin, le désespoir de celui qui souffre d’injustice à n’en pouvoir se plaindre, à n’en pouvoir crier.

« Et je parle au nom de ses amis pour dire qu’ils pleurent un homme intègre et bon, pétri de tendresse et de fidélité, à la fois préparé à subir les épreuves que réserve le combat politique, et fragile quand ce combat dérive, change de nature et vise au cœur. »

Au nom du Gouvernement, je présente à la compagne de Jean Germain, Nora, à sa famille, à ses enfants, à ses proches, à ses collègues sénateurs et aux habitants de Tours, mes plus sincères condoléances et l’expression de mon amitié profonde.

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