Intervention de Yves Bréchet

Commission des affaires économiques — Réunion du 8 juillet 2015 à 9h30
Audition de M. Yves Bréchet haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables :

Je vous remercie de m'accueillir. Je voudrais tout d'abord vous présenter ma fonction, celle d'un scientifique qui doit aider dans le long terme l'administrateur général et le Gouvernement à prendre ses décisions, en particulier dans les domaines de l'énergie et de la dissuasion.

Le CEA est un organisme de recherche dont les missions sont définies par le Gouvernement et qui concernent en premier lieu l'énergie nucléaire de défense ou civile, les énergies alternatives décarbonées non nucléaires, le transfert technologique vers l'industrie, ainsi que l'aide à la réindustrialisation du pays.

Pour remplir ses missions, le CEA se doit de développer un socle de sciences fondamentales et d'ingénierie qui dépasse parfois le périmètre de ses domaines de prédilection, ce qui a parfois pu induire une tentation hégémonique. Le remède à cette tentation est la clarté dans les missions et dans les méthodes.

Le CEA s'intéresse aux énergies alternatives, mais n'en a pas l'exclusivité, tandis que son implication dans la recherche pour le nucléaire le place en position dominante dans le monde académique.

Le CEA doit aussi développer un socle de recherche fondamentale au meilleur niveau. La science fondamentale a vocation à être présente au CEA mais toute la science fondamentale n'y a pas nécessairement sa place.

Enfin, l'implication du CEA dans l'ingénierie lui donne des atouts majeurs dans le domaine du transfert de la recherche vers l'industrie. Cela concerne les technologies de l'information, les technologies des énergies nouvelles et celles de la santé, en particulier l'imagerie médicale.

La clarté dans les missions doit être accompagnée par une marque de fabrique qui est un continuum réel et assumé depuis la recherche fondamentale jusqu'au démonstrateur technologique, ce qui suppose une recherche technologique bien en phase avec les besoins industriels, une recherche fondamentale susceptible de guider le ressourcement et une recherche amont capable de faire le lien, d'abstraire des questions posées par les exigences technologiques les challenges scientifiques et d'identifier ceux qui nécessitent de nouvelles recherches fondamentales. Inversement, ce lien organique doit permettre de détecter dans la recherche fondamentale les signes avant-coureurs d'innovations technologiques.

L'ADN du CEA est constitué par la présence d'une mission clairement définie et d'un continuum entre recherche fondamentale et démonstrateurs technologiques. S'il oublie sa mission il se disperse, s'il oublie le lien organique entre la recherche fondamentale et les secteurs applicatifs il se dessèche.

La variété des missions confiées au CEA le rapproche de plusieurs ministères de tutelle, c'est pourquoi la lettre de mission de l'administrateur général est signée par le Premier ministre. Cette lettre de mission précise clairement les missions du CEA, recommande une interaction étroite avec le tissu industriel et avec les partenaires académiques et une coopération renouvelée avec les institutions d'enseignement supérieur.

J'en viens à présent à la question de la dualité entre l'administrateur général et le Haut-commissaire. La légitimité du Haut-commissaire est directement liée au comité de l'énergie atomique où il est distingué par l'exécutif, en tant que personnalité qualifiée, et élevé à la dignité de Haut-commissaire à l'énergie atomique. Il est membre du conseil d'administration du CEA et préside son conseil scientifique. Quant à l'administrateur général du CEA, il fait partie de la trentaine de dirigeants d'organismes de recherches nommés en conseil des ministres et est investi du rôle de manager opérationnel pour la réalisation de programmes orientés par le CEA et évalués par l'exécutif, conformément à son contrat d'objectifs quadriennal, dans le cadre des lois de finances votées par le Parlement.

Au sein de la délégation générale du CEA, le Haut-commissaire peut, en tant que responsable de son système d'évaluation scientifique, contribuer à orienter les actes de recherche de l'organisme en fonction de leur pertinence scientifique et stratégique. C'est donc la fonction d'un conseil sans pouvoir décisionnaire, ce qui en assure l'indépendance et une totale clarté dans ses avis. La fonction de Haut-commissaire a deux facettes : l'une de conseil pour le CEA, l'autre de conseil pour le Gouvernement. C'est cette position particulière qui m'a par exemple permis de diligenter, à la demande du Gouvernement, une étude d'ensemble de la recherche nucléaire de fission mise en oeuvre au sein de toutes les institutions (CEA, CNRS, EDF, Areva, IRSN).

Le seul patron du CEA est l'administrateur général, le Haut-commissaire n'est pas un patron opérationnel, il est en quelque sorte la « conscience scientifique » du CEA. J'ai coutume de résumer la situation par un apologue de marine : le CEA est un navire dont le capitaine est l'administrateur général, le Haut-commissaire est la boussole et le Gouvernement l'armateur.

Enfin, je voudrais vous donner quelques exemples caractéristiques des multiples activités du CEA, qui sont explicitement définies par sa lettre de mission.

La dissuasion nucléaire est sa mission historique et permanente. Elle s'est appuyée sur une combinaison entre la recherche fondamentale et le développement de l'application. Depuis l'arrêt des essais nucléaires, les têtes nucléaires sont garanties par le calcul numérique. Cette année nous avons mis en service avec succès deux outils expérimentaux : le Laser Mégajoule (LMJ) qui analyse les interactions laser/matière et le dispositif Epure qui garantit l'implosion d'une sphère dans un métal que vous connaissez sans doute. Ces outils, qui ont donné des résultats spectaculaires, permettent de valider et de soutenir les simulations numériques qui sont l'outil ultime pour valider l'arme thermonucléaire et donc la dissuasion. Cette compétence essentielle du CEA trouve de nombreuses applications dans les branches civiles du CEA, mais aussi dans le monde industriel, ce qui témoigne d'une évolution profonde de la science : les simulations numériques à grande échelle sont en train de révolutionner profondément de nombreuses branches des sciences et de l'industrie.

En ce qui concerne le nucléaire civil, qui est l'une des très grandes réalisations de notre pays depuis les années 70, il fournit à ce jour près de 80 % de notre électricité et permet à la France d'être championne en matière d'énergie décarbonée grâce à l'effort soutenu d'investissements qui ont permis de construire, pendant vingt ans, trois centrales nucléaires par an. Cependant, le parc a vieilli et doit désormais être renouvelé. Pour maîtriser le vieillissement du parc, il faut disposer à la fois d'outils de caractérisation des propriétés neutroniques (les maquettes critiques) et d'outils de simulation numérique qui permettent d'assurer la sûreté du parc et de construire les réacteurs de nouvelle génération. C'est ainsi que le CEA peut contribuer, avec ses partenaires industriels, à maintenir, développer et exporter un fleuron de la technologie française. Ses compétences lui permettent aussi de développer les outils nécessaires au démantèlement des centrales et aux méthodes de confinement des déchets radioactifs.

On a souvent dit que le CEA portait une croix : celle de ses déchets. Le confinement dans les verres et le stockage géologique profond fournissent une solution fiable pour la gestion de l'aval du cycle. Les déchets fortement radioactifs à vie longue, qui sont les plus encombrants, sont majoritairement composés de plutonium. Avec la future quatrième génération de réacteur Astrid, le plutonium pourra être utilisé comme ressource et non plus comme déchet, et l'uranium appauvri deviendra un combustible pour fournir de l'électricité. Cette quatrième génération de réacteur est une voie vers un nucléaire durable s'appuyant sur une technologie où la France conserve une avance indéniable et une forte reconnaissance internationale.

La rénovation du parc instrumental, le développement des simulations numériques, la maîtrise du vieillissement du parc actuel de réacteurs à eau pressurisée et le développement pour les années futures d'une filière durable sont les grandes lignes de la stratégie du CEA dans le domaine du nucléaire de fission.

À beaucoup plus long terme, le nucléaire de fusion pourrait éventuellement prendre le relais mais la maturité scientifique et technique de cette option est beaucoup moins avancée.

J'en viens à présent au développement des énergies alternatives auquel le CEA contribue, plus spécifiquement pour celles qui nécessitent des compétences scientifiques qu'il a développées par ailleurs. C'est ainsi que le CEA est naturellement impliqué dans le photovoltaïque, dans certains aspects de la biomasse et des biocarburants, dans le stockage chimique et/ou électrochimique (batteries et piles à combustible). En ce qui concerne les énergies alternatives, le lien entre la recherche fondamentale et les démonstrateurs technologiques est beaucoup plus ténu que dans le nucléaire, puisque le tissu industriel est aussi beaucoup plus diffus. Le CEA contribue à la recherche sur les énergies alternatives et aux questions essentielles associées comme le stockage et le transport de l'électricité ou encore l'efficacité énergétique. Le CEA n'a pas vocation à être le seul acteur, et c'est même un domaine où on ne peut que souhaiter, d'une part, une hiérarchisation plus claire des priorités en fonction des intérêts du pays et, d'autre part, une collaboration plus étroite entre les différents acteurs.

Le CEA joue donc un rôle central dans la fiabilité, la rénovation et la préparation du futur du parc électronucléaire, en lien étroit avec ses partenaires industriels, et il joue un rôle important dans le domaine des énergies alternatives (production, stockage, transport, économie) mais qui doit être coordonné avec les autres acteurs académiques.

La recherche fondamentale a toute sa place au CEA, que ce soit en tant que socle pour lui permettre d'accomplir les missions qui lui sont confiées, ou encore pour l'utilisation des compétences qui sont rassemblées et qui rendent le CEA particulièrement performant. Entre la recherche pure et la recherche appliquée, il y a la recherche amont, qui est d'une importance majeure au CEA et en est quasiment la signature. La recherche appliquée aux technologies est positionnée au plus près des questions d'ingénierie et de réalisation des objets. Les évolutions inéluctables des domaines applicatifs, des cahiers des charges de plus en plus exigeants et la demande d'innovation exigent que nous soyons capables d'identifier les verrous technologiques et scientifiques qui bloquent l'innovation. Il faut ensuite en déduire la science qui sera nécessaire pour augmenter le corpus de connaissances nourrissant la recherche appliquée : c'est la recherche amont.

Les sujets de recherche amont permettent de mettre à jour des problèmes que l'on peut traiter de façon incrémentale mais dont les solutions passent par de vraies ruptures. La résolution de tels problèmes nécessite une compréhension fondamentale des phénomènes, qui dépasse de beaucoup la simple motivation applicative.

Cette distinction fondamentale entre les trois formes de recherche - fondamentale, amont et appliquée - n'est pas un simple exercice intellectuel mais est essentielle pour comprendre comment le CEA, qui a des exigences de résultats, se trouve en permanence en train de créer le lien entre la recherche appliquée à l'ingénierie nécessaire aux missions et la recherche fondamentale très éloignée mais qui prépare l'avenir. La recherche amont est indispensable car elle seule permet de formuler les problèmes applicatifs en termes scientifiques et donc de les traduire pour la recherche fondamentale, action sans laquelle la fonction de socle serait inopérante.

Le dernier volet de l'action du CEA est la recherche technologique et la contribution à la réindustrialisation du pays. C'est, là encore, une mission qui découle de son histoire : le cycle du combustible, l'industrie de la gestion des déchets et de l'aval du cycle, la francisation des réacteurs à eau pressurisée sont des conséquences de la valorisation technologique des recherches faites au CEA. Le laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (Leti), soutien essentiel à notre industrie micro-électronique, est issu de la nécessité du contrôle-commande des centrales et les recherches dans le photovoltaïque sont héritières des compétences du Leti. De même, le FDSOI (Fully-Depleted Silicon On Insulator), qui est actuellement une des options en lice au niveau mondial dans une course technologique âpre, est directement issu des travaux du Leti effectués pour des applications militaires. Ces exemples illustrent bien l'impérieuse nécessité qu'il y a à avoir une vision globale du CEA et non pas de le considérer comme la juxtaposition de différentes parties.

Si le transfert technologique est historiquement dans les missions du CEA, tout le transfert technologique n'est pour autant pas dans ses missions. Les domaines privilégiés lui sont donnés par le Gouvernement : les technologies de l'information et de la communication, les technologies pour l'énergie et les technologies pour la santé. Cette action de transfert est un atout fort pour la réindustrialisation de notre pays.

Ce portrait du CEA n'est évidemment pas exhaustif. C'est en s'inscrivant dans la durée que le CEA peut donner le meilleur de lui-même.

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