Commission des affaires économiques

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CEA
  • fondamentale
  • réacteur
  • stockage
  • technologie
  • technologique

La réunion

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La réunion est ouverte à 9 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Nous connaissons le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à travers son administrateur général, puisque nous l'auditionnons préalablement à sa nomination à ce poste et aussi sur les questions relatives à l'énergie nucléaire. Mais le CEA est incarné par deux fonctions : son administrateur général et son Haut-commissaire à l'énergie atomique.

Monsieur le Haut-commissaire, au cours de ces derniers mois, nous avons déjà eu l'occasion d'auditionner à deux reprises le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Nous avions reçu M. Bernard Bigot, administrateur général, dans le cadre de l'examen du projet de loi de transition énergétique ; depuis, M. Bigot a pris la direction générale du projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER). Puis nous avions reçu son successeur, M. Daniel Verwaerde, pour émettre notre avis sur sa nomination.

Or, si les fonctions d'administrateur général du CEA sont bien connues, les attributions tout aussi éminentes du Haut-commissaire, poste que vous occupez depuis 2012, le sont peut-être un moins. Pourriez-vous nous rappeler le rôle du Haut-commissaire et l'originalité de son positionnement au sein du CEA d'abord et dans le paysage de l'organisation nucléaire française ensuite ?

Pourriez-vous également nous présenter un rapide panorama des activités de recherche du CEA, dont je rappelle que le champ s'est élargi, depuis 2010, aux énergies alternatives ? Pourriez-vous en particulier nous faire un point sur vos travaux en matière de stockage de l'électricité ?

Plus généralement, pourriez-vous nous donner votre point de vue sur les grandes évolutions du secteur nucléaire en France et dans le monde ? Je crois pouvoir dire que la majorité de notre commission est, comme vous, convaincue de la complémentarité de ces deux sources d'électricité décarbonée que sont le nucléaire et les énergies renouvelables, et de la pertinence de ce bouquet énergétique dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

Les difficultés actuelles rencontrées par les chantiers français et finlandais d'EPR vous semblent-elles de nature à remettre en cause la pertinence de ce choix technologique ?

Enfin, vos fonctions vous permettent-elles de nous dire comment le CEA, qui en est l'actionnaire majoritaire pour le compte de l'État (à hauteur de 54,37 % sur un total de 86,52 % détenu par des actionnaires publics), entend accompagner la restructuration en cours d'Areva ? Quelles sont les relations du CEA tant avec Areva qu'avec EDF ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Je vous remercie de m'accueillir. Je voudrais tout d'abord vous présenter ma fonction, celle d'un scientifique qui doit aider dans le long terme l'administrateur général et le Gouvernement à prendre ses décisions, en particulier dans les domaines de l'énergie et de la dissuasion.

Le CEA est un organisme de recherche dont les missions sont définies par le Gouvernement et qui concernent en premier lieu l'énergie nucléaire de défense ou civile, les énergies alternatives décarbonées non nucléaires, le transfert technologique vers l'industrie, ainsi que l'aide à la réindustrialisation du pays.

Pour remplir ses missions, le CEA se doit de développer un socle de sciences fondamentales et d'ingénierie qui dépasse parfois le périmètre de ses domaines de prédilection, ce qui a parfois pu induire une tentation hégémonique. Le remède à cette tentation est la clarté dans les missions et dans les méthodes.

Le CEA s'intéresse aux énergies alternatives, mais n'en a pas l'exclusivité, tandis que son implication dans la recherche pour le nucléaire le place en position dominante dans le monde académique.

Le CEA doit aussi développer un socle de recherche fondamentale au meilleur niveau. La science fondamentale a vocation à être présente au CEA mais toute la science fondamentale n'y a pas nécessairement sa place.

Enfin, l'implication du CEA dans l'ingénierie lui donne des atouts majeurs dans le domaine du transfert de la recherche vers l'industrie. Cela concerne les technologies de l'information, les technologies des énergies nouvelles et celles de la santé, en particulier l'imagerie médicale.

La clarté dans les missions doit être accompagnée par une marque de fabrique qui est un continuum réel et assumé depuis la recherche fondamentale jusqu'au démonstrateur technologique, ce qui suppose une recherche technologique bien en phase avec les besoins industriels, une recherche fondamentale susceptible de guider le ressourcement et une recherche amont capable de faire le lien, d'abstraire des questions posées par les exigences technologiques les challenges scientifiques et d'identifier ceux qui nécessitent de nouvelles recherches fondamentales. Inversement, ce lien organique doit permettre de détecter dans la recherche fondamentale les signes avant-coureurs d'innovations technologiques.

L'ADN du CEA est constitué par la présence d'une mission clairement définie et d'un continuum entre recherche fondamentale et démonstrateurs technologiques. S'il oublie sa mission il se disperse, s'il oublie le lien organique entre la recherche fondamentale et les secteurs applicatifs il se dessèche.

La variété des missions confiées au CEA le rapproche de plusieurs ministères de tutelle, c'est pourquoi la lettre de mission de l'administrateur général est signée par le Premier ministre. Cette lettre de mission précise clairement les missions du CEA, recommande une interaction étroite avec le tissu industriel et avec les partenaires académiques et une coopération renouvelée avec les institutions d'enseignement supérieur.

J'en viens à présent à la question de la dualité entre l'administrateur général et le Haut-commissaire. La légitimité du Haut-commissaire est directement liée au comité de l'énergie atomique où il est distingué par l'exécutif, en tant que personnalité qualifiée, et élevé à la dignité de Haut-commissaire à l'énergie atomique. Il est membre du conseil d'administration du CEA et préside son conseil scientifique. Quant à l'administrateur général du CEA, il fait partie de la trentaine de dirigeants d'organismes de recherches nommés en conseil des ministres et est investi du rôle de manager opérationnel pour la réalisation de programmes orientés par le CEA et évalués par l'exécutif, conformément à son contrat d'objectifs quadriennal, dans le cadre des lois de finances votées par le Parlement.

Au sein de la délégation générale du CEA, le Haut-commissaire peut, en tant que responsable de son système d'évaluation scientifique, contribuer à orienter les actes de recherche de l'organisme en fonction de leur pertinence scientifique et stratégique. C'est donc la fonction d'un conseil sans pouvoir décisionnaire, ce qui en assure l'indépendance et une totale clarté dans ses avis. La fonction de Haut-commissaire a deux facettes : l'une de conseil pour le CEA, l'autre de conseil pour le Gouvernement. C'est cette position particulière qui m'a par exemple permis de diligenter, à la demande du Gouvernement, une étude d'ensemble de la recherche nucléaire de fission mise en oeuvre au sein de toutes les institutions (CEA, CNRS, EDF, Areva, IRSN).

Le seul patron du CEA est l'administrateur général, le Haut-commissaire n'est pas un patron opérationnel, il est en quelque sorte la « conscience scientifique » du CEA. J'ai coutume de résumer la situation par un apologue de marine : le CEA est un navire dont le capitaine est l'administrateur général, le Haut-commissaire est la boussole et le Gouvernement l'armateur.

Enfin, je voudrais vous donner quelques exemples caractéristiques des multiples activités du CEA, qui sont explicitement définies par sa lettre de mission.

La dissuasion nucléaire est sa mission historique et permanente. Elle s'est appuyée sur une combinaison entre la recherche fondamentale et le développement de l'application. Depuis l'arrêt des essais nucléaires, les têtes nucléaires sont garanties par le calcul numérique. Cette année nous avons mis en service avec succès deux outils expérimentaux : le Laser Mégajoule (LMJ) qui analyse les interactions laser/matière et le dispositif Epure qui garantit l'implosion d'une sphère dans un métal que vous connaissez sans doute. Ces outils, qui ont donné des résultats spectaculaires, permettent de valider et de soutenir les simulations numériques qui sont l'outil ultime pour valider l'arme thermonucléaire et donc la dissuasion. Cette compétence essentielle du CEA trouve de nombreuses applications dans les branches civiles du CEA, mais aussi dans le monde industriel, ce qui témoigne d'une évolution profonde de la science : les simulations numériques à grande échelle sont en train de révolutionner profondément de nombreuses branches des sciences et de l'industrie.

En ce qui concerne le nucléaire civil, qui est l'une des très grandes réalisations de notre pays depuis les années 70, il fournit à ce jour près de 80 % de notre électricité et permet à la France d'être championne en matière d'énergie décarbonée grâce à l'effort soutenu d'investissements qui ont permis de construire, pendant vingt ans, trois centrales nucléaires par an. Cependant, le parc a vieilli et doit désormais être renouvelé. Pour maîtriser le vieillissement du parc, il faut disposer à la fois d'outils de caractérisation des propriétés neutroniques (les maquettes critiques) et d'outils de simulation numérique qui permettent d'assurer la sûreté du parc et de construire les réacteurs de nouvelle génération. C'est ainsi que le CEA peut contribuer, avec ses partenaires industriels, à maintenir, développer et exporter un fleuron de la technologie française. Ses compétences lui permettent aussi de développer les outils nécessaires au démantèlement des centrales et aux méthodes de confinement des déchets radioactifs.

On a souvent dit que le CEA portait une croix : celle de ses déchets. Le confinement dans les verres et le stockage géologique profond fournissent une solution fiable pour la gestion de l'aval du cycle. Les déchets fortement radioactifs à vie longue, qui sont les plus encombrants, sont majoritairement composés de plutonium. Avec la future quatrième génération de réacteur Astrid, le plutonium pourra être utilisé comme ressource et non plus comme déchet, et l'uranium appauvri deviendra un combustible pour fournir de l'électricité. Cette quatrième génération de réacteur est une voie vers un nucléaire durable s'appuyant sur une technologie où la France conserve une avance indéniable et une forte reconnaissance internationale.

La rénovation du parc instrumental, le développement des simulations numériques, la maîtrise du vieillissement du parc actuel de réacteurs à eau pressurisée et le développement pour les années futures d'une filière durable sont les grandes lignes de la stratégie du CEA dans le domaine du nucléaire de fission.

À beaucoup plus long terme, le nucléaire de fusion pourrait éventuellement prendre le relais mais la maturité scientifique et technique de cette option est beaucoup moins avancée.

J'en viens à présent au développement des énergies alternatives auquel le CEA contribue, plus spécifiquement pour celles qui nécessitent des compétences scientifiques qu'il a développées par ailleurs. C'est ainsi que le CEA est naturellement impliqué dans le photovoltaïque, dans certains aspects de la biomasse et des biocarburants, dans le stockage chimique et/ou électrochimique (batteries et piles à combustible). En ce qui concerne les énergies alternatives, le lien entre la recherche fondamentale et les démonstrateurs technologiques est beaucoup plus ténu que dans le nucléaire, puisque le tissu industriel est aussi beaucoup plus diffus. Le CEA contribue à la recherche sur les énergies alternatives et aux questions essentielles associées comme le stockage et le transport de l'électricité ou encore l'efficacité énergétique. Le CEA n'a pas vocation à être le seul acteur, et c'est même un domaine où on ne peut que souhaiter, d'une part, une hiérarchisation plus claire des priorités en fonction des intérêts du pays et, d'autre part, une collaboration plus étroite entre les différents acteurs.

Le CEA joue donc un rôle central dans la fiabilité, la rénovation et la préparation du futur du parc électronucléaire, en lien étroit avec ses partenaires industriels, et il joue un rôle important dans le domaine des énergies alternatives (production, stockage, transport, économie) mais qui doit être coordonné avec les autres acteurs académiques.

La recherche fondamentale a toute sa place au CEA, que ce soit en tant que socle pour lui permettre d'accomplir les missions qui lui sont confiées, ou encore pour l'utilisation des compétences qui sont rassemblées et qui rendent le CEA particulièrement performant. Entre la recherche pure et la recherche appliquée, il y a la recherche amont, qui est d'une importance majeure au CEA et en est quasiment la signature. La recherche appliquée aux technologies est positionnée au plus près des questions d'ingénierie et de réalisation des objets. Les évolutions inéluctables des domaines applicatifs, des cahiers des charges de plus en plus exigeants et la demande d'innovation exigent que nous soyons capables d'identifier les verrous technologiques et scientifiques qui bloquent l'innovation. Il faut ensuite en déduire la science qui sera nécessaire pour augmenter le corpus de connaissances nourrissant la recherche appliquée : c'est la recherche amont.

Les sujets de recherche amont permettent de mettre à jour des problèmes que l'on peut traiter de façon incrémentale mais dont les solutions passent par de vraies ruptures. La résolution de tels problèmes nécessite une compréhension fondamentale des phénomènes, qui dépasse de beaucoup la simple motivation applicative.

Cette distinction fondamentale entre les trois formes de recherche - fondamentale, amont et appliquée - n'est pas un simple exercice intellectuel mais est essentielle pour comprendre comment le CEA, qui a des exigences de résultats, se trouve en permanence en train de créer le lien entre la recherche appliquée à l'ingénierie nécessaire aux missions et la recherche fondamentale très éloignée mais qui prépare l'avenir. La recherche amont est indispensable car elle seule permet de formuler les problèmes applicatifs en termes scientifiques et donc de les traduire pour la recherche fondamentale, action sans laquelle la fonction de socle serait inopérante.

Le dernier volet de l'action du CEA est la recherche technologique et la contribution à la réindustrialisation du pays. C'est, là encore, une mission qui découle de son histoire : le cycle du combustible, l'industrie de la gestion des déchets et de l'aval du cycle, la francisation des réacteurs à eau pressurisée sont des conséquences de la valorisation technologique des recherches faites au CEA. Le laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (Leti), soutien essentiel à notre industrie micro-électronique, est issu de la nécessité du contrôle-commande des centrales et les recherches dans le photovoltaïque sont héritières des compétences du Leti. De même, le FDSOI (Fully-Depleted Silicon On Insulator), qui est actuellement une des options en lice au niveau mondial dans une course technologique âpre, est directement issu des travaux du Leti effectués pour des applications militaires. Ces exemples illustrent bien l'impérieuse nécessité qu'il y a à avoir une vision globale du CEA et non pas de le considérer comme la juxtaposition de différentes parties.

Si le transfert technologique est historiquement dans les missions du CEA, tout le transfert technologique n'est pour autant pas dans ses missions. Les domaines privilégiés lui sont donnés par le Gouvernement : les technologies de l'information et de la communication, les technologies pour l'énergie et les technologies pour la santé. Cette action de transfert est un atout fort pour la réindustrialisation de notre pays.

Ce portrait du CEA n'est évidemment pas exhaustif. C'est en s'inscrivant dans la durée que le CEA peut donner le meilleur de lui-même.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Merci, Monsieur le Haut-commissaire, pour cette intervention extrêmement riche. Je cède la parole à mes collègues qui souhaitent vous interroger.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Je vous remercie pour cette présentation particulièrement intéressante et salue notre président, Jean-Claude Lenoir, qui a eu l'heureuse initiative de proposer cette audition.

Dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dont j'ai l'honneur d'être vice-président, nous vous avons entendu récemment sur la grave question de la cuve de l'EPR de Flamanville. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) agite le chiffon rouge, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) tempère les inquiétudes, tandis qu'EDF continue imperturbablement à faire son montage. Qu'avez-vous retenu de cette audition de l'OPECST ? Et que pensez-vous de cette question ?

En votre qualité de « boussole » du grand navire CEA, que pensez-vous du projet Syndièse, initié en son temps par M. Bernard Bigot, et qui consiste à transformer de la biomasse en kérosène : est-il viable et à quelle échéance selon vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Je suis heureux de pouvoir m'adresser à la conscience scientifique du CEA, pour reprendre votre propre expression.

Confirmez-vous que la fusion thermonucléaire pourrait produire une énergie abondante pendant des milliers d'années en utilisant très peu de combustible ? Peut-on espérer un premier prototype d'ici 2050 ?

Les réacteurs de quatrième génération sont attendus et vous avez évoqué une durée indéterminée : où en est-on plus précisément ?

Le CEA est-il capable de démanteler dans son entier un site d'installation nucléaire ? D'autres organismes dans le monde disposent-ils de ce savoir-faire ? Peut-on bâtir une filière sur ce marché et la France peut-elle en être leader ?

Où en est-on des nouveaux tests sur la cuve du réacteur de Flamanville ? Que se passera-t-il si les doutes ne sont pas levés sur la résistance de la cuve ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Je vous remercie pour cet exposé passionnant. J'aimerais connaître votre avis sur le laser Mégajoule, développé par la direction des applications militaires du CEA : pensez-vous qu'il faut poursuivre ces efforts coûteux ou mettre un terme à ce projet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Avez-vous été consulté par le Gouvernement sur le projet de reprise de l'activité « réacteurs nucléaires » d'Areva par EDF ? Quel est votre sentiment sur ce sujet, en particulier en ce qui concerne la part de cette activité qui doit entrer dans le giron d'EDF ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Je vais intervenir avec d'autant plus de modestie et d'humilité que je passe après notre expert Bruno Sido... (Sourires). Le CEA doit être un outil d'aide à la décision politique. En tant que « conscience scientifique » de cet organisme - car c'est ainsi que vous vous êtes vous-même défini -, j'ai quelques questions à vous poser.

Tout d'abord, pensez-vous que le choix des énergies renouvelables comme alternative au nucléaire à court et moyen termes soit une option crédible, alors même que les problèmes de stockage ne sont pas résolus ?

Ensuite, le Cotentin continue son développement de l'hydrolien au large du Raz Blanchard : les efforts de recherche fondamentale et appliquée dans ce domaine vous paraissent-ils suffisants ?

Enfin, les financements européens en matière de développement des énergies renouvelables sont-ils satisfaisants ou devraient-ils être renforcés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Nos collègues députés Marc Goua et Hervé Mariton ont rendu un rapport détaillant les risques du projet Areva-EDF : quel est votre avis sur ce document ?

Par ailleurs, la France peine à développer les énergies renouvelables alors que l'Ecosse a doublé sa production d'éoliennes en tout juste un an. Avez-vous une explication sur ce phénomène ?

Enfin, pourquoi ne pas faire l'exemple d'un démantèlement total de centrale nucléaire? Une telle démonstration prouverait que la France possède une technologie de pointe dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Je reviens sur le problème du stockage de l'énergie et du développement des énergies renouvelables évoqué par Yannick Vaugrenard car le débat à ce sujet a été intense lors de la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Des perspectives d'application pratique se dessinent-elles ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Je vous remercie pour votre intérêt et cette moisson de questions !

Je souhaite préciser d'emblée que je ne déroge jamais à une règle : on ne commente pas une étude à venir. Il ne peut en ressortir que de l'inquiétude, même si celle-ci n'est pas nécessairement fondée. Par ailleurs, j'ai un rôle de conseil scientifique auprès de l'Administrateur général du CEA et du Gouvernement : j'ai donc un devoir de réserve. Ce n'est pas à moi, mais au récipiendaire de l'avis, de décider de la publicité des informations qui y sont contenues. C'est d'ailleurs ce qui me permet d'être tout à fait franc, et parfois même vif, dans mes propos !

Cela étant dit, il y a un travail scientifique de fond à fournir sur l'EPR de Flamanville. Les calculs de dos d'enveloppe menés laissent à penser que la zone affectée par la ségrégation n'est pas une zone irradiée : la situation actuelle ne pose a priori pas de problème de sûreté. En revanche, la question de nos compétences en métallurgie se pose. Le phénomène de ségrégation est connu mais on a fait comme s'il n'existait pas : ce n'est pas bien ! Encore une fois, si les calculs effectués jusqu'à présent me rendent optimiste, seuls une étude fouillée et des essais pourront nous assurer que les cuves ne présentent aucun danger.

Un autre problème me semble en l'occurrence plus important. Il est indispensable que les opérateurs de sûreté soient absolument convaincus du bien-fondé et de la rationalité des règlements qui sont établis. Si ce n'est pas le cas, les effets à court terme des dispositifs de sûreté seront dommageables. Si l'indépendance de l'ASN est indispensable, elle n'empêche pas un lien étroit avec les opérateurs. Ces échanges sont impératifs pour assurer la crédibilité de la filière nucléaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Il a été dit que les cuves de Flamanville respectaient les normes imposées à l'époque de leur fabrication mais que ces normes avaient évolué. Ces propos ont été contestés par la suite. Qu'en est-il exactement ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Quelles qu'aient été les normes à l'époque, si on avait constaté une ségrégation de l'ampleur de celle à laquelle nous faisons face aujourd'hui, cela aurait été considéré comme un problème. Ce n'est pas tant le phénomène, mais l'endroit inhabituel où il est apparu et son ampleur, qui nous ont surpris.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Monsieur le Haut-Commissaire, vous avez utilisé à plusieurs reprises le terme de « ségrégation ». Nous avons certes un expert dans l'assemblée en la personne de Bruno Sido, mais pouvez-vous nous expliquer rapidement en quoi consiste ce phénomène ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Je le fais d'autant plus volontiers que j'ai été maître de conférences, et que j'aime expliquer les choses !

Imaginez une éponge imbibée d'eau : si vous la pressez, vous expulsez un volume d'eau et l'éponge se rétracte. C'est ce qui s'est passé dans les cuves. Le solide étant plus dense que le liquide, vous vous retrouvez avec du liquide flottant entre les parties solides. Ce phénomène de rétraction est donc à l'origine d'un flux de liquide, qui passe d'un endroit à un autre de la cuve. Or, lorsque vous solidifiez un alliage, sa composition change. Sur une petite surface, il est possible de chauffer l'alliage pour rééquilibrer sa composition. Dans le cas des cuves de l'EPR, l'impact de la ségrégation est de l'ordre du mètre : une telle solution n'est plus envisageable. Encore une fois, le phénomène auquel nous sommes confrontés n'a rien de surprenant mais il a impacté une zone plus étendue que prévu. Il me semble que nous ne maîtrisons plus le procédé : nous devons développer, ou redévelopper, certaines compétences en métallurgie. Cette délitescence des savoirs ne touche pas que le nucléaire, mais également d'autres domaines industriels.

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Une industrie ne peut se fabriquer qu'à partir d'une matière. À nous de maîtriser cette matière.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Il existe 58 réacteurs nucléaires, et c'est la première fois que nous sommes confrontés à ce problème de cuve : pourquoi s'est-il précisément présenté sur l'EPR ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

L'EPR est beaucoup plus gros et requiert l'utilisation de techniques différentes. Nous connaissions ces méthodes ; on les a laissé disparaître, il faut maintenant les réapprendre... L'industrie nucléaire est un bijou : nous n'avons pas le droit de le laisser s'abîmer.

Pour conclure sur Flamanville, je crois qu'il est sage d'attendre le résultat des études scientifiques et techniques pour se prononcer plus avant sur le sujet.

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Parce qu'il y a bien d'autres choses à faire dans un chantier. Du reste, le problème n'est pas insoluble : au pire, on pourrait remplacer le couvercle même si le coût serait bien entendu très élevé...

Vous m'avez également interrogé sur Syndièse. Je suis extrêmement favorable au développement de la biomasse. Jean Rostan a eu une formule que je trouve particulièrement adaptée aux énergies alternatives : « Une vérité qui fait plaisir doit être prouvée deux fois ». Au premier abord, c'est une bonne idée mais il faut vérifier la pertinence et le coût de ce choix. Nous devons passer outre les effets d'annonce : attendons les réponses scientifiques aux problèmes de maillage, de capacité et d'industrie, nous prioriserons ensuite.

Sur le principe, la création d'une unité de prétraitement de la biomasse à Bure-Saudron est une bonne idée. Sur le principe, la contribution du CEA à ce projet est aussi une bonne idée. Mais il ne faut pas qu'il soit le seul contributeur ! En matière d'ingénierie des fluides oléagineux, par exemple, l'IFP Energies nouvelles me semble plus à même de développer des solutions techniques que le CEA. Pour fabriquer la biomasse, nous devons donc mobiliser toutes les compétences nationales. Quant à savoir quelle stratégie de développement adopter pour cette énergie, il m'est impossible de vous répondre. Il faudrait réaliser une analyse économique, réunir les acteurs concernés autour d'une même table et mener des études scientifiques. Si les parlementaires me le demandent, je peux lancer un travail sur le sujet : je vous rendrai mon avis et vous déciderez si vous souhaitez le rendre public...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Vous insistez sur le terme d'avis. J'ai souvenir d'un dîner au CEA auquel participait un député qui était contre le nucléaire. Il vous a mis au défi de donner votre opinion et vous lui avez répondu « Je ne confonds pas opinion et avis ».

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

C'est essentiel de donner un avis. Surtout pour un scientifique. Une opinion...

Concernant la fusion, je doute qu'elle permette de produire de l'électricité en France d'ici 2050. Mais, encore une fois, il faut mener des études pour le savoir ! Cela va nécessiter une ingénierie qui sera utile dans d'autres domaines. Le problème est plus complexe qu'il n'y paraît. Certains me disent que c'est simple, qu'on met le soleil dans une boîte. C'est vrai... mais on ne sait pas construire la boîte !

Il faut savoir que les équations de physique nucléaire sont des équations linéaires. On peut donc facilement passer d'un prototype de petite taille à des infrastructures plus importantes. Les équations de la fusion ne sont, elles, pas linéaires : un changement d'échelle induit un changement de phénomène. La réalisation d'un prototype ne garantit donc pas la fabrication d'une infrastructure fiable. Il reste de l'espoir mais je ne peux pas promettre qu'un démonstrateur « grandeur nature » verra le jour. Je peux sembler pessimiste, et je m'en excuse, mais les scientifiques ont un devoir d'honnêteté.

Concernant le réacteur à neutrons rapides, il s'agit d'un réacteur à fission, dans lequel nous avons 50 ans d'expérience. S'il n'est pas déraisonnable d'envisager le développement d'un prototype à partir de 2030, il est illusoire d'imaginer remplacer tous les réacteurs à eau pressurisée par cette nouvelle technologie. N'oublions pas que la quantité minimale d'infrastructures pour gérer le parc est déterminée par la physique, et la quantité optimale utile par l'économie. Ces deux facteurs sont indissociables ! Je me répète, mais il faudrait lancer des études... Sachez que le Haut-Commissaire ne rend que deux types de documents : des notules ou des études très conséquentes !

Venons-en aux questions relatives au démantèlement. J'ai justement organisé cette année un colloque à l'Académie des sciences sur le sujet. Les conclusions étaient claires : en conditions normales, nous savons parfaitement démanteler les centrales nucléaires. Nous avons encore beaucoup à apprendre pour la gestion du démantèlement en situation dégradée, lors d'un accident par exemple. Ce constat appelle plusieurs remarques. Pour commencer, il faut dix fois moins de personnes pour démonter une centrale que pour la faire fonctionner : démanteler est plus facile que construire mais ça ne crée pas d'emplois. Cependant, nous avons tout intérêt, puisque nous savons construire les centrales, à créer une filière technologique du démantèlement à l'export. Cela implique certes d'investir dans la recherche mais nous rendrait concurrentiels sur ce marché si on trouve l'équilibre optimal, celui qui garantit un coût minimal pour une sûreté maximale.

Il n'y a rien d'impossible dans un démantèlement : allez à Brennilis ! Demandez-leur ! On a l'impression que c'est compliqué car jusqu'ici, le CEA n'a démantelé que des moutons à cinq pattes : il fallait, à chaque fois, surmonter des difficultés différentes, uniques. L'avantage de nos 58 centrales, c'est qu'elles ont des réacteurs identiques. Tous fonctionnent à eau pressurisée, comme 80 % des réacteurs nucléaires au monde. Cette décision avait d'ailleurs été source de fâcherie entre Marcel Boiteux et le CEA. Force est de constater qu'aujourd'hui, ce choix s'avère excellent ! C'est idéal pour mettre en place une systématique du démantèlement : nous avons tous les atouts pour créer cette filière technologique.

Le prochain colloque se tiendra début 2016 et portera sur les réseaux et le stockage d'énergie : quelles sciences et quelles conditions pour un parc mixte et stable ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Brennilis est un excellent exemple. On sait démanteler les centrales. Mais sait-on également empêcher les recours dilatoires visant à doubler la durée des chantiers de démantèlement ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Hélas non...

Je suis, par ailleurs, extrêmement favorable au laser Mégajoule. La menace nucléaire française repose intégralement sur une simulation numérique : il est important de valider ce modèle purement théorique, et le laser va nous y aider. C'est un énorme progrès, on ne peut pas regretter Mururoa !

Une bombe thermonucléaire repose d'une part sur l'effondrement d'une sphère à plutonium, et d'autre part sur la fusion du tritium. L'utilisation du laser Mégajoule permet de tester la partie « effondrement » et de valider, uniquement par le calcul, la fiabilité du modèle. Cet objet expérimental, prouesse scientifique et technique, est l'exemple réussi d'un développement de longue haleine. Il aura fallu trente ans pour le mettre au point, mais nous y sommes parvenus car la mission était clairement établie, et nous n'avons jamais lâché l'objectif.

Si vous n'avez pas vu le laser Mégajoule, allez-y, c'est très impressionnant !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Président, vous savez ce qu'il nous reste à faire... Tous à Bordeaux !

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

La réussite est d'autant plus complète que le laser Mégajoule est à la fois un outil de défense - c'est l'objectif premier de son développement - et un outil de recherche fondamentale pour l'astrophysique de laboratoire, qui permet notamment d'observer... la fusion nucléaire ! Voilà un bon usage des deniers publics !

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

J'ai bien compris qu'il était difficilement possible de segmenter la recherche en raison de l'étroite imbrication des différentes technologies mais au vu de l'enjeu colossal que représente la transition énergétique, peut-on vraiment se permettre cet émiettement ? Il faut s'assurer d'une étroite coordination, d'une active coopération et de réels échanges entre les organismes, sans entrer dans une logique séparatiste comme celle qui prévaut actuellement... C'est vrai pour la biomasse, pour le photovoltaïque, pour le stockage et pour tout le reste !

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Je suis tout à fait d'accord. Au vu des enjeux colossaux, ces querelles de clocher relèvent de la haute trahison !

J'insiste sur la nécessité de mener une réflexion de fond qui permette de prioriser les développements d'énergies alternatives en fonction de notre capacité d'investissement et de notre situation. Il n'est pas envisageable de sauter de l'avion en étant persuadé qu'on arrivera à créer un parachute avant d'arriver au sol... Malheureusement, nombre de scénarios énergétiques aujourd'hui violent la loi de conservation de l'énergie de Kirchhoff : on peut voter d'autres lois mais ça me semble quand même compromis ! (Sourires)

Une chose est sûre : le réchauffement climatique est un problème essentiel et nous devons nous tourner vers des énergies décarbonées. Les particularités de chaque pays fixent des conditions initiales et des conditions limites, cadre de recherche nécessaire pour l'ingénierie. Pourquoi chercher à développer les mêmes techniques aux Pays-Bas et à Singapour ? Si la base est commune - car nous sommes tous d'accord sur une grille de lecture - les solutions peuvent être différentes d'un pays à l'autre. Encore une fois, l'analyse scientifique doit être la première étape de tout développement et de tout choix : les choses doivent être possibles avant de pouvoir être souhaitables...

Par ailleurs, il est invraisemblable d'imaginer que deux centres photovoltaïques, parce qu'ils ne dépendent pas du même organisme, ne communiquent pas ! Je pense à l'institut photovoltaïque d'Ile-de-France, géré par EDF, et à celui de Chambéry, sous contrôle du CEA.

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Ils commencent à discuter... Ils n'ont pas le choix, je suis têtu ! Et je bénéficie d'un capital confiance de la part de tous les acteurs : c'est l'avantage de ne pas avoir fait carrière au CEA... (Sourires) On ne peut plus attendre, il faut accepter de mettre des mouchoirs sur ces divergences qui sont trop souvent des positions de principe. Le cas s'est également présenté avec le CEA et le CNRS concernant le stockage de l'énergie électrochimique. Il y a quelques années, il était inenvisageable de les réunir dans la même pièce. Les choses ont fini par évoluer, même si cela a nécessité l'aide d'une main ferme... L'administrateur général et moi-même sommes tout à fait d'accord pour forcer les choses et aider les lignes à bouger.

Monsieur Poniatowski... Areva + EDF = je pose mon joker ! C'est un projet à l'équilibre politique, économique, et technique fragile. Mon avis est scientifique, il n'a donc aucune utilité. Le Gouvernement a d'ailleurs eu la sagesse de ne pas me le demander !

L'hydrolien, pour sa part, ne me semble pas une solution à développer à grande échelle car il n'est pas pertinent partout. Le problème de fond est bien connu : le métal, l'eau et le sable ne font pas bon ménage. Le choix est donc économique : ne pas payer trop cher les infrastructures et les changer souvent, ou investir lors de la création pour éviter de renouveler le parc trop régulièrement. Il est vrai que l'hydrolien est moins fluctuant que l'éolien, mais je persiste à penser que sa contribution au mix énergétique sera marginale.

Concernant les financements de l'Europe, je n'aurai qu'une remarque : nous avons grand besoin de sa coopération, que j'appelle de mes voeux, d'une vraie réflexion et d'une politique qui ait du sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Quel est votre interlocuteur à la Commission européenne ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Je n'en ai pas ! Le conseiller scientifique a été supprimé... Pas physiquement - du moins pas à ma connaissance ! -, mais son poste, lui, a disparu.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Est-ce là un avis ou une opinion, monsieur le Haut-commissaire ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Exactement ! Même si par ailleurs j'ai également un avis sur la question !

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Non non, un avis ! (Rires francs et partagés dans la salle) Un point de vue documenté sur la disqualification des experts. Mais ce n'est ni le lieu ni le moment pour aborder ce sujet...

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Monsieur Bourquin m'a interrogé sur le rapport parlementaire. Oscar Wilde disait : « Je ne lis jamais les livres dont j'écris la critique, ça pourrait m'influencer. » Pour vous donner un avis, il faut que je lise le rapport. Pouvez-vous m'en adresser une copie ? Peut-être ne saurai-je pas quoi vous dire mais dans ce cas, je vous répondrai : « Je ne sais pas ».

L'important développement de l'éolien en Ecosse interroge beaucoup. Hé oui... en Ecosse, il y a du vent ! Soyons factuels : à Singapour, le taux de charge est de 60 % ; en France, il est de 20 %. En Allemagne, pour obtenir le même taux de charge qu'à Singapour, il faudrait 20 fois plus d'infrastructures... Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Au risque de me répéter, il faut mener des études sur la stabilité des réseaux, les capacités de stockage, la concentration de la production... Il n'existe pas de réponse générique, il faut sortir des discours de bonne volonté.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

On comptabilise 300 jours de soleil par an dans le sud de la France. Malgré cela, on y voit peu de panneaux solaires. Ne trouvez-vous pas cela un peu problématique ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Mais non ! Il faut déterminer à quoi serviront les panneaux, si l'électricité produite sera remise sur le réseau ou si elle sera utilisée localement, il y a un ensemble de questions à se poser ! Ce sont des analyses précises, détaillées, prenant en compte les spécificités de chaque projet qui permettent la mise en place de la solution optimale. Gommer ces informations, c'est perdre toute la finesse du problème !

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

C'est votre rôle, de procéder à ces analyses.

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

C'est vrai, et je le fais du mieux que je peux. Et je profite de l'occasion qui m'est offerte pour saluer le travail que fournit également l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Ses membres prennent le temps nécessaire à l'élaboration d'études de qualité, c'est essentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Je m'interroge sur le choix qui a été fait de commercialiser à l'étranger des réacteurs de petite capacité. Quel est leur intérêt d'un point de vue technologique et scientifique ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Ce choix relève de la politique économique et commerciale d'Areva et EDF. Au sein même de ces entreprises, les avis sont partagés. D'un point de vue personnel, je dirais que ces petits réacteurs s'adressent à des primo-entrants sur le marché du nucléaire, lesquels attendent un retour d'expérience. Or ceux qui ont déjà fait le choix du nucléaire ont généralement de gros réacteurs, et renâclent à mettre en place un petit réacteur uniquement pour justifier leur fonctionnalité...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Pouvez-vous nous donner des exemples de ce type de petit réacteur ? Quelle est leur capacité ? Le réacteur Atmea fait-il partie de cette catégorie ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Ils sont essentiellement utilisés dans les sous-marins atomiques et ont une capacité d'environ 250 MW. Le réacteur Atmea est complètement différent.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Je pensais en fait à des réacteurs d'environ 900MW, qu'on peut donc visiblement considérer comme des réacteurs de taille moyenne. Je pense qu'il y a un réel enjeu sur ce marché.

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Je suis tout à fait d'accord, c'est un marché à développer.

J'aborde maintenant la question du stockage de l'énergie. Le stockage de masse est une nécessité pour stabiliser le réseau et l'hydraulique est à l'heure actuelle la seule technologie convaincante pour ce faire. Malheureusement, la plupart des développements possibles ont déjà été réalisés. Le stockage par l'hydrogène se développe mais des difficultés techniques, notamment en termes de transport de l'énergie, sont encore irrésolues. En revanche, localement, les piles à combustible, ou encore la coordination d'un ensemble de voitures pour créer un réseau, semblent efficaces.

Il faut identifier les enjeux et les potentiels de chaque territoire au cas par cas. Par exemple, j'aime le principe de la cogénération nucléaire, même si elle ne plaît pas à EDF, car elle diminue le rendement de la production électrique... Toutefois, je trouve ridicule l'idée de créer un réseau de chaleur pour chaque centrale ! Il ne faut pas chercher à généraliser des choix qui devront, par ailleurs, être priorisés par l'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Au risque de me répéter, trouvez-vous qu'une alternative au nucléaire est une option crédible à court et moyen termes si la question du stockage des énergies renouvelables n'est pas résolue ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

Je vais dresser un parallèle géographique. Si vous dites que vous avez besoin d'aller des Houches à Courmayeur, vous ne dites pas pour autant comment vous y allez ! Il faut trouver une technique pour passer d'un côté à l'autre de ce petit détail qu'est le Mont Blanc, sans quoi vous restez bloqué. Actuellement, bien que des objectifs aient été fixés, nous n'avons pas trouvé les moyens techniques et scientifiques de dépasser les obstacles. Et pour cause : on s'escrime à ne voir que les avantages et on n'a donc pas encore identifié les obstacles à franchir pour y arriver... Il faut investir dans la recherche. Sans stockage, il est illusoire de penser à développer à grande échelle des énergies fluctuantes qui ont besoin d'être stabilisées, comme l'éolien. Le foisonnement n'est pas une solution car pour répondre au problème, il supposerait un maillage du territoire sur plusieurs centaines de kilomètres. Je vous laisse imaginer la mesure des difficultés à lever... Le stockage de masse est essentiel, et pour aller vers des lendemains qui chantent, il faut miser sur la R&D !

Nous n'avons pas non plus abordé le problème sanitaire qui peut se poser si on se repose sur les énergies renouvelables sans avoir une capacité de stockage sûre. En cas de black-out un peu long, comment fait-on pour assurer une fourniture énergétique aux patients qui présentent des difficultés respiratoires, ou qui ont besoin d'une dialyse ? Le risque est trop grand et EDF peut pallier une déficience ponctuelle, mais pas un problème affectant une région entière pendant plusieurs jours ! Il faut donc développer des systèmes de stockage peu chers, qui puissent être distribués à l'ensemble de la population.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Beaucoup de particuliers qui ont besoin d'une assistance de ce type utilisent des groupes électrogènes. Ce système ne me paraît ni compliqué, ni dispendieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

L'entreprise Tesla a développé des solutions de stockage domestique sous forme de pile. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Yves Bréchet, Haut-commissaire à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables

La bonne solution est celle qui est disponible pour tous, quel que soit le niveau de revenus. C'est la responsabilité de l'Etat.

Je le répète, le problème du stockage ne me paraît pas insurmontable mais il faut y réfléchir sérieusement.

Quant au stockage des déchets nucléaires, il faut arrêter d'apeurer la population : ce n'est plus un problème majeur. Le problème majeur est aujourd'hui de convaincre la Nation que le stockage des déchets nucléaires n'est justement plus un problème majeur ! Les déchets vitrifiés peuvent être stockés dans de l'argile, et ne présentent aucun risque : encore faut-il faire entendre raison à l'opinion publique...

En Suède, ce type de stockage a été parfaitement accepté par la population. Lorsque j'ai demandé comment cela s'était passé, on m'a répondu : « C'est simple. Pendant quinze ans, trois soirs par semaine, les ingénieurs ont discuté avec la population locale dans de petites réunions d'une vingtaine de personnes. On a répondu à leurs interrogations, et on a fini par les convaincre. » Et pour cause : sur 20 personnes, si 18 sont intéressées et 2 seulement perturbent la réunion, le débat peut avoir lieu. À 200, c'est impossible...

Certes, il a fallu quinze ans. Mais il faut arrêter de confondre l'urgent et l'important. Les déchets nucléaires sont importants ; il est déraisonnable de considérer qu'ils constituent un problème urgent.

Je terminerai en vous racontant une dernière anecdote. Il y a deux ans et demi, je venais alors tout juste d'arriver au CEA, un incendie s'est déclaré à Fessenheim. Mon bistrotier m'a interrogé sur le sujet, et je lui ai répondu : « Je ne sais pas ce qui s'est passé mais je vais me renseigner. » Il s'est avéré qu'une malheureuse erreur de bidon était à l'origine de l'incendie. Le lendemain, je lui ai donc expliqué cela, et il m'a répondu : « Hier, vous avez reconnu que vous ne saviez pas, j'ai apprécié cet état d'esprit. Finalement, c'était juste un incendie, rien de plus grave : je suis rassuré. Mais c'est quand même étrange que dans une industrie d'une telle technicité, on ne soit pas fichu de distinguer deux bidons... ». Cet incendie a fait les gros titres de la presse nationale mais aucun n'a égalé en justesse et bon sens les propos de mon bistrotier. Il faut vraiment qu'on réapprenne à parler aux gens : ce sera le mot de la fin !

(Vifs applaudissements dans la salle).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Je ne suis pas surpris que vous soyez applaudi de la sorte, monsieur le Haut-Commissaire. C'est la deuxième fois en quatre ans que cela arrive, et à juste titre : vos propos étaient passionnants et ces problématiques pourtant complexe nous sont apparues clairement.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Mille mercis pour cet échange. Vous donnez une nouvelle dimension au rôle que peut et doit jouer le scientifique auprès du politique. Espérons que cet état d'esprit touche d'autres domaines.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Vous avez cité Oscar Wilde, permettez-moi d'en faire autant. « Il est stupide de donner des conseils, mais donner de bons conseils est une chose absolument désastreuse ». Voilà qui vous correspond, vous qui ne donnez que des avis !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Le philosophe Alain, interrogé un jour par un de ses étudiants sur la capacité des éléphants du Laos à marcher sur l'eau, aurait répondu : « Je ne sais pas. Allons voir ! ». C'est votre philosophie, et cette modestie est tout à votre honneur. Merci de votre très éclairante intervention.

La réunion est levée à 11 h 30.