C'est essentiel de donner un avis. Surtout pour un scientifique. Une opinion...
Concernant la fusion, je doute qu'elle permette de produire de l'électricité en France d'ici 2050. Mais, encore une fois, il faut mener des études pour le savoir ! Cela va nécessiter une ingénierie qui sera utile dans d'autres domaines. Le problème est plus complexe qu'il n'y paraît. Certains me disent que c'est simple, qu'on met le soleil dans une boîte. C'est vrai... mais on ne sait pas construire la boîte !
Il faut savoir que les équations de physique nucléaire sont des équations linéaires. On peut donc facilement passer d'un prototype de petite taille à des infrastructures plus importantes. Les équations de la fusion ne sont, elles, pas linéaires : un changement d'échelle induit un changement de phénomène. La réalisation d'un prototype ne garantit donc pas la fabrication d'une infrastructure fiable. Il reste de l'espoir mais je ne peux pas promettre qu'un démonstrateur « grandeur nature » verra le jour. Je peux sembler pessimiste, et je m'en excuse, mais les scientifiques ont un devoir d'honnêteté.
Concernant le réacteur à neutrons rapides, il s'agit d'un réacteur à fission, dans lequel nous avons 50 ans d'expérience. S'il n'est pas déraisonnable d'envisager le développement d'un prototype à partir de 2030, il est illusoire d'imaginer remplacer tous les réacteurs à eau pressurisée par cette nouvelle technologie. N'oublions pas que la quantité minimale d'infrastructures pour gérer le parc est déterminée par la physique, et la quantité optimale utile par l'économie. Ces deux facteurs sont indissociables ! Je me répète, mais il faudrait lancer des études... Sachez que le Haut-Commissaire ne rend que deux types de documents : des notules ou des études très conséquentes !
Venons-en aux questions relatives au démantèlement. J'ai justement organisé cette année un colloque à l'Académie des sciences sur le sujet. Les conclusions étaient claires : en conditions normales, nous savons parfaitement démanteler les centrales nucléaires. Nous avons encore beaucoup à apprendre pour la gestion du démantèlement en situation dégradée, lors d'un accident par exemple. Ce constat appelle plusieurs remarques. Pour commencer, il faut dix fois moins de personnes pour démonter une centrale que pour la faire fonctionner : démanteler est plus facile que construire mais ça ne crée pas d'emplois. Cependant, nous avons tout intérêt, puisque nous savons construire les centrales, à créer une filière technologique du démantèlement à l'export. Cela implique certes d'investir dans la recherche mais nous rendrait concurrentiels sur ce marché si on trouve l'équilibre optimal, celui qui garantit un coût minimal pour une sûreté maximale.
Il n'y a rien d'impossible dans un démantèlement : allez à Brennilis ! Demandez-leur ! On a l'impression que c'est compliqué car jusqu'ici, le CEA n'a démantelé que des moutons à cinq pattes : il fallait, à chaque fois, surmonter des difficultés différentes, uniques. L'avantage de nos 58 centrales, c'est qu'elles ont des réacteurs identiques. Tous fonctionnent à eau pressurisée, comme 80 % des réacteurs nucléaires au monde. Cette décision avait d'ailleurs été source de fâcherie entre Marcel Boiteux et le CEA. Force est de constater qu'aujourd'hui, ce choix s'avère excellent ! C'est idéal pour mettre en place une systématique du démantèlement : nous avons tous les atouts pour créer cette filière technologique.
Le prochain colloque se tiendra début 2016 et portera sur les réseaux et le stockage d'énergie : quelles sciences et quelles conditions pour un parc mixte et stable ?