Intervention de Ségolène Royal

Réunion du 10 juillet 2015 à 9h30
Transition énergétique — Article 18 bis

Ségolène Royal, ministre :

Conformément aux propos que j’ai tenus en première lecture, je ne peux être favorable à cet amendement.

En effet, même si les dates choisies paraissent proches, elles constituent un signal pour inviter les opérateurs à se mettre en mouvement. Modifier maintenant les choses susciterait de l’incertitude ou de la déstabilisation.

En matière de santé publique, 2018 est un horizon déjà lointain, d’autant que plus de 2 000 communes n’utilisent déjà plus de pesticides. Et les choses s’accélèrent.

Les communes et les citoyens s’engagent ; certains, qui étaient sceptiques au départ quant à la mise en place du zéro pesticide, s’y mettent compte tenu de l’obligation qui est prévue.

Cette évolution très rapide des mentalités sur les questions de santé publique, de pollution et de traitement des déchets est symptomatique de tout ce qui touche aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique. Il suffit de donner un signal ou une date butoir pour initier un mouvement.

Dans le domaine agricole, des délais sont effectivement nécessaires, bien que les choses évoluent aussi très vite dans ce secteur. Ainsi, voilà encore un ou deux ans, tout le monde était convaincu que le vin bio resterait marginal. Or aujourd’hui, il existe même un salon international du vin bio ; et dans quelques années, toute la vigne sera bio, le nombre important de maladies professionnelles graves dans le domaine viticole ayant encouragé la transition vers le bio. Récemment, une plainte contre X, déposée par la fille d’un viticulteur décédé des effets de la pulvérisation d’arsénite de sodium pendant quarante ans, a été suivie de l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet.

Ce pesticide, pourtant interdit depuis vingt ans, n’a été interdit qu’en 2001 pour la viticulture ; des centaines de personnes, notamment les viticulteurs ainsi que les enfants qui jouaient dans les vignes, ont donc été contaminées. Aujourd’hui ces personnes portent plainte, ce qui constitue un phénomène nouveau, puisqu’il renvoie l’État à ses responsabilités. En effet, pourquoi ce produit extrêmement dangereux interdit partout ne l’a-t-il pas été dans la vigne ? À cause des lobbies, des rapports de force, ou encore des personnes prétextant que le moment opportun n’était pas encore arrivé ?

En matière de santé publique, l’interdiction des produits phytosanitaires dans les cours des écoles, des crèches, sur les trottoirs, dans les espaces publics devrait être en place depuis très longtemps. Ces produits sont du poison !

Le Sénat ne doit donc pas donner un signal de recul. Sous la pression de qui le ferait-il ? Des revendeurs de produits phytosanitaires ? Où serait l’intérêt d’une telle position ? Les mentalités ont changé, et il existe maintenant des produits de substitution, des produits naturels qui sont vendus dans les grandes surfaces. Les entreprises se sont positionnées sur les marchés, développent des produits naturels, mettent en rayons des produits naturels. Toute une éducation a déjà été faite dans les écoles et les communes à ce sujet, et il est important de ne pas freiner le processus à cet égard.

Fixer le délai à l’année 2017 laisse aux communes toute l’année 2015 et l’année 2016 pour s’adapter. Accorder une année supplémentaire inciterait tout le monde à ralentir le mouvement : les gens attendraient un autre prolongement, puis une remise en cause de la loi…

Une accélération du processus a lieu. Dès lors qu’un délai est fixé, les opérateurs, par mécanisme économique d’anticipation, se mettent très rapidement en mouvement, avant même la promulgation de la loi. En effet, ils misent sur la constitution d’un marché solvable à la suite des débats parlementaires, en se disant : en 2017, il faudra des mécaniques ou des produits de substitution ; ils se mettent en mouvement, ils produisent, ils embauchent pour la production, des réseaux commerciaux se mettent en place, des rayons sont dégagés dans les jardineries, bref tout bouge.

Par conséquent, un signal de ralentissement irait à l’encontre de l’intérêt des communes elles-mêmes et de certains opérateurs économiques qui ont déjà amorcé la transition, sans compter que cela donnerait raison à ceux qui trouvent que ce n’est jamais le moment pour agir… Certes, prolonger le délai d’un an ne constituerait pas une catastrophe, mais cela enverrait malgré tout un mauvais signal.

Concernant la transition écologique, tout ce qui permet d’anticiper et d’accélérer le mouvement va à mon avis dans la bonne direction.

Je ne sais si, par rapport au vote intervenu à l’unanimité en commission, j’ai pu vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs.

Au cours des débats, les choses évoluent, et c’est cela qui est intéressant dans l’écologie. Certains qui, au départ, pensent ne jamais arriver à appliquer une disposition, se décident finalement à évoluer. Pour notre part, nous avons l’obligation d’accélérer toujours le mouvement, pour inciter à réussir ce qui paraissait à l’origine impossible à atteindre.

La loi Labbé avait fixé l’année 2022 comme date butoir, et il avait déjà fallu une bataille importante pour arriver à un tel résultat. Les gens se sont dit que 2022, ce serait impossible. Puis, on leur dit que l’objectif est maintenant 2017, et les communes s’y mettent alors.

Il est vrai que dans certains endroits, comme les cimetières et les terrains de sport, il est particulièrement difficile de ne pas utiliser de pesticides. La création des communes « zéro pesticide » s’est accompagnée de l’obtention par ces dernières d’un ou de plusieurs papillons : un papillon correspond à quelques efforts, deux papillons, à beaucoup d’efforts, et trois papillons, à la totalité des espaces en zéro pesticide !

Même dans les endroits les plus difficiles, comme les cimetières ou les terrains de sport, on peut parvenir au zéro pesticide grâce à l’éducation des mentalités. Il me semble que c’est un enjeu de santé publique particulièrement important, notamment s’agissant des terrains de sport, pour que les enfants ne respirent plus de pesticides.

La pousse de deux ou trois herbes folles n’est pas un réel problème ; tout est une question d’éducation citoyenne. Et cela permet d’associer des collectivités humaines à la réflexion sur la présence de la nature en ville : nous devons expliquer les changements visibles entraînés par le zéro pesticide, comme la pousse de mauvaises herbes, démontrer que ces changements visibles sont préférables à l’utilisation de pesticides invisibles. Pendant longtemps, nous avons voulu que tout soit « au carré », nous avons privilégié la propreté des espaces publics, au détriment de la santé publique. Maintenant, nous ne devons plus reculer !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion