Intervention de Marc Del Grande

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 11 juin 2015 : 1ère réunion
Deuxième table ronde : quelles politiques publiques mettre en oeuvre pour préserver la biodiversité ultramarine

Marc Del Grande, sous-directeur des politiques publiques à la Direction générale des Outre-mer (DGOM), représentant le coprésident de l'Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor) :

Je représente la coprésidente de l'Ifrecor et la ministre des outre-mer. Ces derniers se trouvent dans une situation particulière et primordiale en matière de biodiversité et d'atténuation du changement climatique. Les politiques publiques existent, même si elles sont imparfaites. Les moyens peuvent toujours être mieux articulés, mais il convient de les valoriser. L'Ifrecor, fêtant ses quinze ans cette année, offre notamment de formidables instruments. Un rapport d'étape vient par exemple d'être rédigé dans le cadre d'un travail portant sur la valeur économique des services rendus par la biodiversité. Or, des montants estimés à plusieurs centaines de milliers d'euros peuvent être sources de changement.

La biodiversité ultramarine représente 80 % de la biodiversité française. L'outre-mer comprend de nombreux points chauds et montre un niveau très élevé d'endémisme avec plus de 13 000 espèces endémiques. De plus, la France est l'un des rares États du monde à disposer d'un des quinze derniers grands massifs de forêt primaire équatoriale. Cependant, les massifs forestiers de Nouvelle-Calédonie et de La Réunion ayant fortement régressé font l'objet d'alertes. 97 % de la ZEE française est ultramarine. L'outre-mer présente aussi une richesse biologique exceptionnelle : 10 % des récifs coralliens, plus de 5 000 km de côtes, la seconde plus grande barrière récifale au monde en Nouvelle-Calédonie et l'une des rares doubles barrières à Mayotte, 20 % des atolls de la planète en Polynésie française, les mangroves et herbiers. De plus, les récifs et les écosystèmes associés concentrent 25 à 30 % de la biodiversité marine. Par conséquent, la France a une responsabilité particulière dans le domaine de la protection de la biodiversité.

En outre, la France dispose du premier port spatial du monde situé à Kourou. Or, sans observation satellitaire, il est difficile d'obtenir des données précises. Les outre-mer peuvent et doivent donc faire valoir cet avantage. Aux douze terres ultramarines, sont associés trois océans, voire quatre avec l'Antarctique, qui donnent un poids diplomatique à la France. Dans le contexte de la préparation de la COP21, ce dernier est essentiel ; le Président de la République a d'ailleurs récemment présidé une conférence sur les Caraïbes dans ce cadre.

Du très grand Nord, représenté par Saint-Pierre-et-Miquelon, au très grand Sud, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), les outre-mer sont aux avant-postes de l'observation du réchauffement climatique, de l'évolution du comportement des océans et de leur rôle dans le changement climatique. Ces derniers sujets sont relativement nouveaux, mais la France dispose de nombreux atouts en la matière. De même, les espèces invasives sont à l'origine de nombreuses problématiques : le poisson-lion, l'action anthropique en outre-mer, le développement de l'urbanisation et l'intensification de l'agriculture. Nous appelons d'ailleurs cette dernière de nos voeux, en vue de structurer les filières. La culture de la banane verte est la moins polluante du monde, même si nous avons commis des erreurs dans ce domaine dans les années 1970. L'exploitation minière en Nouvelle-Calédonie constitue aussi un sujet d'alerte.

Par ailleurs, si les savoirs traditionnels ont été assez peu pris en compte jusqu'à présent, le projet de loi sur la biodiversité devrait largement contribuer à nous faire progresser sur le sujet. Le ministère de l'outre-mer s'est en effet battu pour que les communautés d'habitants puissent être consultées dans le cadre du processus sur l'accès et le partage des avantages (APA). Si les parlementaires conservent le dispositif de consultation, le ministère en sera heureux.

Il convient d'abord de protéger la biodiversité à travers la création de parcs nationaux. L'outre-mer en compte déjà trois, sur l'île de La Réunion, en Guyane et en Guadeloupe. Il comprend aussi deux parcs naturels régionaux, en Martinique et en Guyane, des parcs marins à Mayotte, sur les îles Glorieuses et des réserves naturelles en Guyane, à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et sur l'île de La Réunion. Quant à la réserve naturelle des îles subantarctiques, le projet de loi sur la biodiversité permettra d'envisager son extension en ZEE. Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a mis en place la plus grande aire marine protégée française sur la mer de corail et la totalité de sa ZEE. Un projet de grande aire marine est également à l'étude en Polynésie autour des îles Marquises et de l'archipel des Tuamotu. Quant au Patrimoine mondial de l'Unesco, y sont inscrits les lagons de Nouvelle-Calédonie et les hauts de l'île de La Réunion, tandis que les îles Marquises et Mayotte y prétendent. De multiples sites se trouvent également sur la liste des zones humides résultant de la convention de Ramsar.

Dans un contexte de maîtrise des finances publiques et des moyens humains, nous bénéficions d'un réseau exceptionnel d'organismes de recherche dans les outre-mer. Ce réseau est coordonné dans le cadre de l'alliance AllEnvi et compte l'IFREMER, l'IRD, le CNRS, le BRGM, le CIRAD, le Museum national d'histoire naturelle et la Conférence des présidents d'université. Des moyens importants sont mis le plus possible en synergie, même si la situation peut encore être améliorée.

De même, le réseau des délégués régionaux à la recherche et à la technologie (DRRT) se réunit au ministère de la recherche, mais aussi deux fois par an au ministère des outre-mer. Il parvient à sauvegarder dans son budget une enveloppe permettant de financer un appel à projet de recherche orienté vers la protection de la biodiversité. En dépit de son faible montant, une telle enveloppe peut initier de petits projets permettant de faire progresser la prévention ou de trouver des solutions opérationnelles sur le terrain. De plus, le dispositif des trames vertes et bleues a été adapté aux outre-mer à travers son intégration dans les schémas d'aménagement régionaux (SAR) des départements d'outre-mer. Les problématiques de l'érosion côtière et du changement climatique ont également été introduites dans le schéma de mise en valeur de la mer, tandis qu'un nouvel accord-cadre, 2013-2016, a été signé entre l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et la France au mois de juin 2013, intégrant un volet spécifique sur les outre-mer. Enfin, une conférence s'est réunie les 22 et 24 octobre 2014 en Guadeloupe et a abouti à l'élaboration d'une déclinaison opérationnelle dynamique.

Après le Sommet de Rio en 1992, ont été créés l'International Coral Reef Initiative (ICRI) en 1995, puis l'Ifrecor en 1998. Cette dernière a beaucoup travaillé sur la connaissance : 22 850 espèces récifales désormais répertoriées contre mille en 2008 ; initiation d'un travail de typologie partagé des habitats ; mise en place d'un réseau d'observatoires de suivi de l'état de santé des récifs et des écosystèmes ; mise en oeuvre d'une base de données partagée ; évaluation des services écosystémiques rendus.

De même, deux outils innovants liés à la problématique du changement climatique ont été développés : des observatoires de suivi des effets du changement climatique sur les récifs coralliens et un guide méthodologique à destination des décideurs locaux portant sur la prise en compte du changement climatique dans les politiques et projets d'aménagement côtiers ultra-marins. Enfin, depuis plusieurs années, un concours donne lieu à la remise de la palme Ifrecor à l'occasion de la déclinaison ultramarine du Congrès des maires. Les travaux sur l'ensemble des thématiques, dont le changement climatique, seront poursuivis au cours de la phase 2016-2020, cofinancés par les ministères du développement durable et des outre-mer. Malgré un contexte difficile, le financement reste d'ailleurs satisfaisant.

L'Ifrecor est un formidable réseau, disposant d'un secrétariat permanent et animant de nombreuses actions concrètes dans l'ensemble des terres ultramarines. Elle vient quasiment de finaliser un travail d'évaluation de la valeur économique des services rendus par la biodiversité dans les outre-mer.

En Martinique, les services rendus par la biodiversité ont été évalués à 169 millions d'euros annuels, dont 28 millions d'euros issus de la pêche, 67 millions d'euros du tourisme et des loisirs, 66 millions d'euros de la protection côtière et 8 millions d'euros de la séquestration du carbone. La contribution des écosystèmes coralliens à l'économie locale est donc équivalente à celle du secteur agroalimentaire. Les récifs et systèmes côtiers protègent naturellement de l'érosion le littoral, 42 km de routes et plus de 10 000 logements.

En Guadeloupe, les services rendus par la biodiversité ont été évalués à 114 millions d'euros annuels. Deux tiers des poissons frais consommés en Guadeloupe proviennent de la pêche côtière locale. L'aéroport de Pointe-à-Pitre est directement protégé par les récifs coralliens et les mangroves du Grand Cul-de-Sac, les herbiers et mangroves séquestrant aussi jusqu'à 205 000 tonnes de CO2 chaque année.

En Nouvelle-Calédonie, les services rendus par la biodiversité ont été évalués entre 220 millions et 320 millions d'euros annuels, dont 67 % sont issus de la protection du littoral, 22 % de la pêche et 9 % du tourisme et des loisirs. La contribution des écosystèmes coralliens à son PIB est de l'ordre de 100 millions d'euros, contre 600 millions d'euros pour celle du secteur minier. Les récifs protègent naturellement plus de 11 200 logements, tandis que le tourisme lié aux récifs génère jusqu'à 1 650 emplois directs.

À Mayotte, les services rendus par la biodiversité ont été évalués entre 19 millions et 37 millions d'euros annuels. 600 sociétés, 900 emplois et plus de 50 000 personnes dépendent à différents degrés des services écosystémiques. Le service de séquestration du carbone par les mangroves et herbiers complète ces bénéfices à hauteur de deux millions d'euros par an.

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