Madame la Présidente, mes chers collègues, mesdames et messieurs les intervenants, vous avez accepté de venir enrichir nos informations sur la biodiversité en outre-mer et l'impact du réchauffement climatique. Je vous souhaite la bienvenue au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer et de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Les deux instances ont créé un groupe de travail commun que je co-préside avec M. Hervé Maurey, aujourd'hui représenté par Mme Odette Herviaux. MM. Jérôme Bignon et Jacques Cornano, respectivement sénateurs de la Somme et de Guadeloupe, sont les rapporteurs du groupe de travail. M. Jérôme Bignon est également en charge de la coordination de l'ensemble des travaux menés dans les commissions et les délégations sur le changement climatique.
Dans le cadre de ces travaux foisonnants, dont la caractéristique commune est la dimension territoriale, l'outre-mer occupe une place de choix. En effet, les territoires d'outre-mer sont particulièrement exposés aux dérèglements découlant du réchauffement climatique en raison de leur insularité, à l'exception de la Guyane, et de leur appartenance aux zones tropicales et équatoriales, Saint-Pierre-et-Miquelon et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) exceptés. Leur vulnérabilité résulte également de leur moindre capacité de résilience aux chocs, notamment sur le plan économique. En effet, leurs économies sont de petite taille, faiblement structurées en filières et la diversification et l'insertion régionale restent très relatives.
En dépit de leur vulnérabilité, voire grâce à elle, les territoires ultramarins constituent une chance pour la France. Ils lui permettent de contribuer de façon majeure aux recherches et aux expérimentations menées en matière de lutte contre le changement climatique et d'adaptation aux évolutions climatiques. Les secteurs concernés sont variés : énergies renouvelables, notamment d'origine solaire ou marine, phytopharmacopée, adaptation des espèces végétales ou animales aux variations de pression hydrique et dispositifs de sauvegarde des populations et de solidarité régionale face aux cataclysmes.
Les projets foisonnent en outre-mer, l'exposition accrue aux risques naturels et aux conséquences du changement climatique en faisant des terrains privilégiés pour l'innovation. Le système de climatisation par l'utilisation du différentiel des températures entre la surface et les profondeurs de l'océan, les techniques de désalinisation de l'eau par osmose inverse en utilisant l'énergie solaire, le bouturage du corail et l'utilisation des micro-algues dans des secteurs variés (alimentation, cosmétique, biocarburants, traitement des effluents industriels) comptent parmi ces innovations. La préservation de la biodiversité ou le recours à ses ressources se trouvent au coeur de la plupart des recherches et des projets menés et des réalisations déjà arrivées au stade industriel ; c'est à la fois une finalité et un levier d'action.
Par conséquent, notre groupe de travail a identifié la question de la sauvegarde et de la valorisation des biodiversités ultramarines comme un enjeu majeur pour le développement des outre-mer. Il convient d'évoquer non « la » mais « les » biodiversités, tant la diversité des milieux terrestres et aquatiques, ainsi que celle des espèces animales et végétales, est exceptionnelle dans nos outre-mer. 80 % de la biodiversité nationale s'y trouvent d'ailleurs, cette évaluation étant probablement minimaliste, puisque les progrès de la connaissance en matière de biodiversité ont encore un bel avenir.
Monsieur le président de la délégation, mesdames et messieurs les intervenants, mes chers collègues, je salue l'ensemble des personnes présentes pour évoquer un sujet essentiel, bien que trop souvent occulté par une actualité éphémère occupant tout l'espace parlementaire et médiatique, à savoir l'extraordinaire biodiversité de nos outre-mer et son extrême fragilité. L'excellente initiative de consacrer une matinée à ce sujet a été prise par le groupe de travail commun à la délégation à l'outre-mer et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Les thèmes que nous aborderons se situent au croisement de trois thématiques mobilisant actuellement de nombreux sénateurs : la biodiversité, les outre-mer et le changement climatique. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable travaille en ce moment sur le projet de loi sur la biodiversité, en particulier à travers l'organisation d'auditions : les trois préfigurateurs de la future Agence française pour la biodiversité la semaine dernière et Mme la ministre Ségolène Royal la semaine prochaine. Le projet de loi devrait pour sa part être examiné en commission les 7 et 8 juillet prochains.
Quant au changement climatique, l'ensemble du Sénat est aujourd'hui mobilisé sur le sujet. Le Président du Sénat, M. Gérard Larcher, a récemment présenté publiquement l'ensemble des travaux engagés et des manifestations prévues dans le cadre de la tenue de la Conférence de Paris sur le climat. Les tables rondes organisées ce jour s'inscrivent dans cette dynamique et contribueront à associer fortement à la réflexion les territoires d'outre-mer auxquels le Sénat est très attaché.
Présidence de M. Michel MAGRAS, président de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer.
Nous allons désormais aborder la première table ronde centrée sur la problématique de la connaissance, et qui a pour double objectif, je vous le rappelle, de dresser un panorama des biodiversités ultramarines et des milieux menacés, mais aussi d'apprécier les dispositifs d'évaluation et de suivi de l'impact climatique, de même que la prise en compte des enjeux par notre conscience collective, par nos sociétés.
Pour enrichir notre information et débattre de ces questions, nous avons le plaisir d'accueillir :
- Mme Pascale Joannot, déléguée à l'outre-mer et directrice adjointe des collections du Muséum national d'histoire naturelle ;
- M. Philippe Goulletquer, directeur scientifique adjoint à l'Ifremer ;
- M. Jean-François Silvain, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité ;
- M. Bernard Cressens, président du Comité français de l' Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ;
- et M. Bernard Deceuninck, ornithologue et représentant de la Ligue pour la protection des oiseaux.
Mme Pascale Joannot, avant de rejoindre le Muséum national d'histoire naturelle en l'an 2000, a vécu en Nouvelle-Calédonie et, notamment, dirigé l'Aquarium de Nouméa pendant seize ans. Elle a également occupé des fonctions électives en siégeant au congrès et à l'assemblée de la province Sud. La délégation sénatoriale est très attentive aux évolutions des collectivités territoriales du Pacifique, particulièrement de la Nouvelle-Calédonie pour laquelle nous nous réjouissons du succès de la récente réunion du Comité des signataires de l'Accord de Nouméa.
En outre, Mme Pascale Joannot avait honoré de sa présence le colloque organisé par notre délégation au mois de janvier 2013, portant sur la France dans le Pacifique au 21e siècle. Nous espérons qu'elle participera également à notre conférence économique sur les entreprises et les dynamiques sectorielles du Pacifique qui aura lieu le 25 juin et mettra à l'honneur les potentiels terrestres et marins.
Le Muséum national d'histoire naturelle actualise et enrichit quotidiennement son inventaire des espèces terrestres et marines : 70 500 espèces ultramarines y sont décrites, soit 10 % des biodiversités ultramarines estimées. Comment expliquer ce déficit de connaissances, alors que plus de 87 000 espèces sont recensées dans l'Hexagone ?
Les collectivités d'outre-mer sont variées et ne peuvent être présentées de façon globale et homogène. Leur géographie, la diversité de leur faune et de leur flore, leurs populations, leur démographie, leur environnement et leurs statuts sont divers. Si les ultramarins sont très solidaires entre eux, ils forment une mosaïque de cultures et d'identités dont il convient de tenir compte. L'outre-mer est pluriel et sa biodiversité également.
L'essentiel de la biodiversité française se situe outre-mer : plus de 98 % des espèces endémiques de vertébrés et 96 % des espèces endémiques de plantes vasculaires de France sont concentrées dans les collectivités d'outre-mer. En particulier, les écosystèmes naturels de la Guyane et de Nouvelle-Calédonie font partie des points chauds de la planète et sont considérés comme des zones très riches à surveiller. La protection de la biodiversité de l'outre-mer passe par la connaissance. Dans chacun des territoires, la connaissance de la biodiversité est le fruit du travail des naturalistes, des scientifiques, des écologues, mais aussi des populations locales, qui ont appris et transmis les savoirs locaux. Le grand public et le monde associatif contribuent aussi de plus en plus activement.
L'an dernier, dans le cadre de l'Alliance pour l'Environnement (AllEnvi), le comité outre-mer a réalisé un recensement des activités de recherche des membres de l'AllEnvi dans les collectivités d'outre-mer pour l'année 2012. Bien que les données collectées soient hétérogènes et parfois insuffisantes, elles permettent de donner un aperçu plus clair des implantations des membres de l'AllEnvi en outre-mer et des forces scientifiques en place. L'étude peut être obtenue auprès du secrétariat de l'AllEnvi.
2 042 agents ont ainsi été recensés en outre-mer. 90 % des activités de recherche y sont réalisées sur place et 10 % depuis l'Hexagone. Dans les organismes de recherche, les deux principales thématiques sont l'agrobiologie et l'élevage, représentant 31 % de l'activité, et l'écologie et l'étude de la biodiversité, auxquelles 25,4 % de l'activité sont consacrés. Quant aux universités, la thématique la plus étudiée s'inscrit dans le domaine des sciences sociales, suivie par l'écologie et l'étude de la biodiversité. Entre 2008 et 2012, la production scientifique sur l'ensemble des outre-mer a généré 7 187 publications de scientifiques français ou étrangers, notamment américains et australiens. Parmi ces publications, 21 % sont consacrées à la Nouvelle-Calédonie et 20 % à la Guyane. Les trois thématiques les plus souvent identifiées sont en premier lieu la biodiversité, puis l'agroécologie et les géosciences.
Compte tenu des difficultés méthodologiques rencontrées lors de la réalisation de ce recensement, il conviendrait qu'une procédure annuelle de collecte sur les activités en outre-mer soit élaborée par les membres de l'AllEnvi. Il est en effet compliqué de distinguer l'activité scientifique spécifique à l'outre-mer des activités scientifiques générales. Il serait également utile aux collectivités territoriales d'outre-mer de recenser les publications relatives à la thématique de la biodiversité dans leur territoire.
L'implantation du Muséum national d'histoire naturelle en outre-mer est modeste, puisqu'il n'y dispose que d'une seule antenne située en Guyane, comptant une unique personne, et d'un correspondant sur l'île de La Réunion. En revanche, l'outre-mer représente un terrain d'intense activité, des partenariats étant conclus chaque année avec les collectivités d'outre-mer dans les cinq grands domaines d'activité du Muséum : les collections, la recherche, l'expertise, l'enseignement et la formation et la diffusion.
Je vais évoquer aujourd'hui les grandes expéditions naturalistes et les collections. Je fais partie d'une génération de scientifiques conscients que les trois quarts des espèces de la planète restent encore à découvrir, mais que le quart, voire la moitié, des espèces aura probablement disparu avant la fin du siècle. C'est pourquoi il convient d'accélérer l'exploration, afin de fournir aux gestionnaires les informations nécessaires à une meilleure gestion de leur milieu et des ressources. À cette fin, le Muséum s'est engagé, depuis 2006 et en collaboration avec l'ONG Pro-Natura International, à réaliser des inventaires massifs autour de la planète, en particulier dans les zones de biodiversité. Dans ce cadre, est particulièrement étudiée la biodiversité des groupes négligés, à savoir les insectes, les mollusques et les champignons.
La démarche, très coûteuse, bénéficie du soutien de partenaires publics et privés. Les programmes lancés s'inscrivent dans le long terme, cinq ans étant généralement nécessaires à l'obtention de résultats probants, et ciblent les points chauds de la planète. Une expédition vient d'ailleurs d'être initiée en Guyane, promettant de formidables satisfactions en termes de découverte d'espèces. Par exemple, le milieu marin guyanais, autrefois considéré comme très pauvre, enthousiasme désormais les scientifiques, tandis que l'exploration de la forêt terminée au mois de mars devrait donner des résultats concluants. Si nous parvenons à collecter les crédits nécessaires, la Nouvelle-Calédonie fera aussi l'objet d'explorations en 2016.
En 2012, une expédition a été effectuée avec le Parc national de la Guadeloupe et l'Université des Antilles, visant à recenser les algues et les invertébrés marins. Seules 35 personnes y ont participé, les grandes expéditions pouvant compter jusqu'à 200 participants. Or, les résultats ont dépassé les attentes des organisateurs, puisque plusieurs dizaines d'espèces ont été découvertes. Dans la continuité, un inventaire est actuellement en cours en milieu marin profond. Il faudrait que ce type d'expéditions soit réalisé pour l'ensemble des collectivités d'outre-mer en vue de compléter les inventaires.
Les collections du Muséum national d'histoire naturelle comptent 66 millions de spécimens. Elles ont un double rôle de référence et d'observation. Dans ce cadre, nous avons lancé le programme e-ReColNat, lauréat de l'appel à projet Infrastructure nationale en biologie et santé. Le programme e-ReColNat vise à réunir l'ensemble des données des collections françaises d'histoire naturelle sur une unique plateforme informatique au service de la recherche et de l'expertise sur la biodiversité. Faciliter l'exploitation de masses de données jusqu'alors inaccessibles permettra d'accélérer la réalisation de l'inventaire de la biodiversité mondiale. Le Muséum d'histoire naturelle coordonne le projet, l'Université de Montpellier, le Pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) de Clermont-Ferrand, l'Université de Bourgogne, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Tela Botanica et des associations en étant partenaires. Le projet coûtera seize millions d'euros sur cinq ans. Il s'agira d'inventorier toutes les données de collections. L'ensemble des données collectées relatives à l'outre-mer le sont dans le cadre des expéditions de La planète revisitée et du programme e-ReColNat et sont versées au service du Patrimoine naturel du Museum, qui lui-même alimente l'inventaire national du patrimoine naturel. Cependant, les territoires d'outre-mer n'y sont pas encore suffisamment représentés.
Je suis, pour ma part, spécialiste des récifs coralliens. À ce titre, je pilote l'inventaire de la biodiversité des récifs coralliens de l'outre-mer dans le cadre de l'Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor). Depuis 2008, la base de l'Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) a été alimentée de plus de 24 000 données. Ce chiffre devrait être amené à augmenter, la France étant le quatrième pays au monde en termes de récifs coralliens après l'Indonésie, les Philippines et l'Australie.
Pour faire progresser la connaissance de la biodiversité ultramarine, deux efforts doivent être fournis : mieux coordonner les programmes de recherche entre les organismes scientifiques et les collectivités d'outre-mer ; aider chaque collectivité d'outre-mer à dresser la carte des connaissances sur sa biodiversité en recensant l'ensemble des publications relatives à son territoire, en poursuivant et finançant les grands inventaires de biodiversité.
Le Kanak Jean-Marie Tjibaou disait en 1996 : « Quand vous marchez dans un jardin sans savoir distinguer la salade de la mauvaise herbe, vous allez marcher sur la salade et la mauvaise herbe. Dans la mesure où on vous explique quel en est l'usage, alors vous faites plus attention. » De même, mieux connaître la biodiversité permet de mieux la gérer.
La biodiversité marine est d'une richesse considérable, la biodiversité ne se trouvant pas seulement dans les forêts tropicales.
Nous allons maintenant entendre M. Philippe Goulletquer, qui contribue régulièrement, par son expertise, à des groupes de travail internationaux ou des institutions, comme l'Académie des sciences américaines. Au cours des dernières années, il s'est particulièrement intéressé à la biodiversité marine de Saint-Pierre-et-Miquelon, à travers un suivi des espèces envahissantes et du développement de la filière aquacole du pétoncle géant. Il est auteur et co-auteur de nombreuses publications, dont un ouvrage recensant les réponses apportées par seize scientifiques aux questions de visiteurs d'une exposition organisée à la Cité des sciences au printemps 2011. Nous saluons cette initiative permettant de sensibiliser le public à la problématique du climat et aux interactions entre la santé de l'océan et les évolutions climatiques.
La situation de la biodiversité marine est particulière, les espèces étant inséparables de leurs habitats emblématiques et des services écosystémiques qu'elles produisent. Elle comprend environ 250 000 espèces marines, des découvertes régulières étant de surcroît réalisées. La zone économique exclusive (ZEE) de la France étant la deuxième du monde, avec une surface de onze millions de kilomètres carrés, le rôle de la France en la matière est essentiel.
Une carte des pressions subies par la biodiversité marine a été récemment dressée à l'échelle globale, des démarches scientifiques permettant désormais de les estimer. Dans le cas du milieu marin, il n'est pas question de sixième extinction, peu d'espèces disparaissant, mais des altérations profondes des services écosystémiques dues à différentes pressions sont observables. Les causes majeures de ce type de perturbation résident dans la disparition ou la dégradation des habitats naturels, comme les mangroves ou les récifs coralliens, la surexploitation des ressources marines, l'introduction d'espèces exotiques et le changement global incluant le réchauffement climatique.
Les conséquences en sont des modifications très rapides des propriétés physiques et biologiques à l'échelle globale des océans et partant des modifications durables de la biodiversité. Les océans se réchauffent et s'acidifient, tandis que les aires de répartition des espèces évoluent de façon majeure, davantage que celles des milieux terrestres. Les aires de répartition des espèces exploitées changent également, modifiant durablement les activités humaines. En outre, les interactions biologiques se désynchronisent, produisant des effondrements de production et des restructurations profondes et pérennes des écosystèmes.
L'acidification des océans, miroir chimique de leur réchauffement, conduit à une réduction progressive des zones favorables au développement des récifs sur le plan environnemental. En l'absence de maîtrise des gaz à effet de serre, les paramètres physico-chimiques des océans pourraient induire une dégradation totale des récifs coralliens dans un délai rapide. De surcroît, ces évolutions globales perturbent l'ensemble des initiatives locales de préservation et de conservation des habitats.
De même, une modification notable des aires de répartition des thons est prévue par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) à brève échéance, provoquant un bouleversement de la production halieutique. Or, les thons étant des prédateurs en haute chaîne trophique, les évolutions les affectant peuvent cacher d'autres perturbations durables et majeures sur l'ensemble de la chaîne alimentaire et des écosystèmes.
Déterminée par la Convention biodiversité biologique à la suite de la Conférence de Rio, la stratégie internationale de préservation de la biodiversité consiste à développer les aires marines protégées dans la plupart des grands écosystèmes marins. Elle a été déclinée aux niveaux européen et français, notamment à travers la création de l'Agence des aires marines protégées. Elle a également été mise en oeuvre à l'occasion du Grenelle de la mer, qui visait à placer 20 % de la ZEE française sous le statut d'aire marine protégée, soit un objectif plus ambitieux que celui de la stratégie internationale établi à 10 %, et la moitié sous le statut de réserve halieutique.
Si l'Agence des aires marines protégées a correctement mis en oeuvre la stratégie, via la création de parcs naturels marins, y compris en outre-mer, le caractère fonctionnel du réseau reste à améliorer. En effet, la connectivité des différentes aires marines protégées constitue l'un des objectifs de la stratégie internationale. Elle est l'objet d'un des axes de recherche développés par l'Ifremer et le groupement de recherche Marco à l'échelle européenne, travaillant sur les méthodes d'évaluation et les stratégies permettant de déterminer les relations entre les surfaces protégées et les espèces devant être protégées.
La stratégie internationale doit aussi être menée à travers la modélisation et le développement de scénarios intégrant et couplant l'état actuel de la biodiversité, ses usages et l'impact du réchauffement climatique. La prise en compte de tous les facteurs constitue une approche systémique modélisant l'état de la ressource et les pressions de l'environnement afin de développer des scénarios de gestion. Dans ce cadre, la gestion de la crevetticulture en Guyane a par exemple fait l'objet d'une étude. L'approche systémique vise à dépasser le cadre statique de la gestion, à l'origine des quotas de pêche par exemple, et de privilégier une approche dynamique de la gestion permettant de déterminer la viabilité des activités humaines d'exploitation. Les modalités de gestion en découlant devraient être plus complexes, mais également plus pérennes. Leur élaboration nécessite de recourir à des observatoires de la biodiversité.
L'Ifremer dispose actuellement en métropole et dans les départements d'outre-mer d'un système d'information halieutique qui portait initialement sur les usages et l'évolution des ressources. Il intègre désormais également toutes les données environnementales. L'approche est donc beaucoup plus intégrée, tandis que les données sont bancarisées dans des systèmes informatiques. Parallèlement à cette approche nationale, des actions régionales sont menées. Par exemple, l'évolution des populations de tortues dans l'océan Indien est analysée, de même que les interactions existant avec les activités de pêche. Ainsi, les captures accidentelles pourront être évitées. Les espèces invasives sur l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon font également l'objet d'une étude, en partenariat avec les scientifiques canadiens.
Enfin, au niveau local, des méthodologies de suivi de la biodiversité, in situ et de façon dynamique, sont élaborées. Par exemple, un système de vidéo sous-marine en continu et à 360 degrés a été développé en Nouvelle-Calédonie, permettant d'observer l'ensemble des populations marines en direct. Ce type de méthodologie pourrait être transposé à d'autres secteurs. L'ensemble des données obtenues sont bancarisées dans des systèmes interopérables favorisant l'échange de données et améliorant la pertinence des analyses. Par ailleurs, l'initiative en cours au sein de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), Ecoscope, vise à établir un partenariat entre les différents organismes de recherche et à accentuer la valeur ajoutée des observatoires.
Nous allons maintenant écouter M. Jean-François Silvain qui est directeur de recherche à l'IRD et président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.
Membre du conseil scientifique du Patrimoine naturel et de la biodiversité ainsi que de la commission des collections du Muséum national d'histoire naturelle, vous présidez également la partie française du conseil scientifique du Centre franco-brésilien sur la biodiversité amazonienne. Parmi vos thèmes de prédilection figurent les insectes tropicaux ; vous avez d'ailleurs travaillé plus de dix ans en Guyane, de 1976 à 1987.
La biodiversité terrestre et marine des territoires d'outre-mer français constitue un sujet d'étude central pour l'IRD. Ces derniers sont à la fois des terrains d'étude privilégiés de la biodiversité en raison des questions qu'ils suscitent et des centres d'excellence et d'appui de travaux réalisés à des échelles régionales plus grandes et en lien avec les universités et les partenaires locaux. La recherche dans l'outre-mer français permet de répondre à des besoins de protection, de gestion et de valorisation de la biodiversité au niveau des territoires. Simultanément, elle contribue à répondre à des questions scientifiques majeures d'importance régionale, continentale, voire planétaire : dynamiques des forêts tropicales humides, déperdition des coraux, acidification des océans ou origine de l'endémisme insulaire. Par conséquent, elle donne régulièrement lieu à des publications dans les meilleures revues internationales et associant des chercheurs travaillant dans les collectivités françaises d'outre-mer, des chercheurs de métropole ou internationaux.
Cinquante chercheurs étudiant la biodiversité au sein de l'IRD travaillent sur un chantier de recherche principal dans les collectivités d'outre-mer. 70 % d'entre eux étudient à la fois la microbiologie, la biologie et l'écologie, 10 % la pharmacochimie et 14 % les sciences humaines et sociales. Plusieurs équipes s'intéressent également aux relations entre biodiversité et santé. Les activités des chercheurs de l'IRD se partagent entre l'inventaire, la description et l'analyse de l'état de la biodiversité, l'étude de sa dynamique spatio-temporelle, des facteurs à l'origine de la dynamique de la biodiversité et de son devenir. Les chercheurs apportent aussi un soutien à la valorisation et à l'usage durable de la biodiversité en utilisant notamment des outils de télédétection permettant d'étudier les relations entre écosystèmes et sociétés humaines à différentes échelles.
Le contexte et les enjeux du changement global sous-tendent l'ensemble des sujets de recherche : réchauffement climatique, acidification des océans, changement d'usage des terres, fragmentation des écosystèmes, surexploitation des ressources terrestres ou marines, espèces envahissantes, pollutions chimiques et écologiques. L'IRD contribue aussi au dispositif de suivi et d'évaluation de la biodiversité dans les différents territoires grâce à deux réseaux de parcelles permanentes et de stations de recherche, aux herbiers de Cayenne et de Nouméa et de navires océanographiques.
Toutefois, les chercheurs de l'IRD regrettent l'absence de dispositifs globaux de suivi de la biodiversité suffisamment pertinents en termes de couverture spatiale et de représentativité de la diversité des milieux. Un manque crucial de connaissances de base permettant de préserver, gérer et valoriser la biodiversité est également déploré. Par conséquent, un investissement substantiel devrait être réalisé en faveur de l'inventaire de la biodiversité, indispensable à la compréhension des fonctionnements.
La présentation du retour d'expérience de l'IRD sera structurée autour des thèmes identifiés par le Sénat : panorama de la biodiversité ultramarine et des milieux menacés, appréciation des dispositifs de suivi et d'évaluation et prise en compte culturelle de la problématique.
En matière de panorama de la biodiversité, la communauté scientifique de l'IRD fait état de points communs au sein de l'outre-mer : une diversité biologique, terrestre et marine élevée ou très élevée ; l'originalité historique et biogéographique de la mise en place de la biodiversité ; l'endémisme, très important dans les territoires ultramarins ; la présence d'espèces patrimoniales ; l'importance des savoirs traditionnels ; l'importance des écosystèmes coralliens (hors Guyane) ; la valeur patrimoniale de certaines zones marines.
Elle identifie aussi des spécificités. En Guyane, l'originalité botanique de sa moitié nord est soulignée. Sa faune présente aussi des éléments de richesse et d'originalité significatifs (insectes, amphibiens, tortues marines, oiseaux, etc.). Sur l'île de La Réunion, la présence de forêts de montagne et tropicale est mentionnée, tandis que Mayotte compte des forêts tropicales et sèches, des massifs coralliens, des mangroves et des herbiers. En outre, le développement de la végétation littorale, essentielle pour la nidification des oiseaux, les récifs coralliens et les mangroves sont cités dans le cas des îles éparses.
En Nouvelle-Calédonie, la végétation est présente sur les terrains ultramafiques et métallifères. Des forêts sèches, des écosystèmes littoraux, la faune des monts sous-marins et des espèces charismatiques font aussi l'originalité de la Nouvelle-Calédonie. Quant à la Polynésie, elle compte un grand nombre d'atolls relativement préservés, une zone d'exclusivité économique très étendue et un potentiel halieutique notable, particulièrement les ressources thonières des Îles Marquises.
Il convient de rappeler que la biodiversité comprend également les diservices, à savoir les services de la biodiversité non utiles à l'homme, associés aux vecteurs de maladies humaines et aux espèces envahissantes terrestres et marines.
L'ensemble des milieux terrestres et marins à forte biodiversité sont menacés, d'abord par les activités humaines, puis par le changement climatique et par la multiplication des espèces envahissantes. Cependant, le problème n'est pas encore reconnu en Guyane. Au sein de cette dernière, les savanes, les forêts des flaques aurifères et les forêts sur sable blanc sont des milieux menacés. Sur l'île de La Réunion, l'importance de la continuité entre le milieu littoral et le bassin versant est notable, les flux importants affectant directement le milieu littoral. En Nouvelle-Calédonie, les forêts sclérophylles, les forêts denses humides sur substrat ultramafique et les écosystèmes associés aux milieux littoraux sont menacés, tandis que les atolls le sont en Polynésie.
Les territoires d'outre-mer subissent aussi des pressions spécifiques :
- en Guyane : changement de l'usage des terres et exploitation aurifère « sauvage » ;
- en Nouvelle-Calédonie : incendies volontaires et accidentels et exploitation minière ;
- en Polynésie : surexploitation des ressources marines.
En termes d'appréciation des dispositifs de suivi et d'évaluation, des points communs peuvent également être dégagés. Hormis le cas des formations coralliennes, les connaissances de base nécessaires à l'établissement de dispositifs de suivi et d'évaluation pertinents et la coordination entre les dispositifs existants sont lacunaires, tandis que se posent des problèmes de représentativité spatiale des dispositifs avec une couverture territoriale particulièrement faible pour la Guyane, et de pertinence insuffisante des paramètres mesurés. Actuellement, l'une des grandes tendances internationales consiste à tenter de définir des variables partagées permettant de décrire la biodiversité et de comparer les travaux menés dans différents écosystèmes et territoires. De même, il est difficile de transposer les dispositifs et concepts métropolitains aux cas ultramarins, par exemple, le concept des trames verte et bleue.
Des points communs positifs sont aussi identifiés. Les aires protégées marines et terrestres, les parcs et les dispositifs internationaux de suivi des coraux se multiplient. Le suivi de la pêche hauturière, notamment en Polynésie française, est satisfaisant et les réseaux de suivi des parcelles permanentes des organismes de recherche sont utiles, tant en Guyane qu'à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie. Les chercheurs saluent également la mise en place de la directive-cadre sur l'eau et l'existence d'herbiers particuliers en Guyane et en Nouvelle-Calédonie.
De plus, les dispositifs de suivi et d'évaluation présentent des spécificités administratives. Alors que les questions environnementales sont du ressort principal des trois provinces Sud, Nord et Île Loyauté et du gouvernement en Nouvelle-Calédonie, les suivis sont placés sous la compétence exclusive du gouvernement de Polynésie française. Le système de transposition des structures métropolitaines ne s'applique donc pas.
Des problèmes spécifiques ont été observés. Les suivis de la pêche côtière, des activités lagunaires et environnementales sont à améliorer en Polynésie française. Des besoins généraux ont été exprimés pour une meilleure coordination de l'existant et la création de cohortes de grands observatoires. Un programme d'Observatoire du Pacifique Sud (GOPS) et un projet d'Observatoire de l'océan Indien, qui associeraient des pays étrangers riverains, sont cependant en cours.
Dans le domaine de la prise en compte culturelle de la problématique, les chercheurs constatent que la biodiversité est devenue un enjeu politique et un outil de communication. Néanmoins, des concepts sont parfois mal compris et les actions menées contradictoires. Dans le champ de la loi, le Protocole de Nagoya est mis en oeuvre, notamment à travers l'accès et partage des avantages (APA), les discussions sur ses conséquences pour la recherche ayant agité la communauté scientifique. Le principe de démocratie environnementale a également été mis en oeuvre et des discussions sur les enjeux de la marchandisation de la biodiversité ont eu lieu. L'importance de l'éducation des scolaires est soulignée, de même que celle de la prise en compte des savoirs locaux qui constituent une source de connaissance et une voie d'amélioration de la protection de la biodiversité. La biodiversité est source de richesses et d'inspiration et un enjeu de valorisation et de développement.
Dans le domaine de la prise en compte culturelle, les territoires d'outre-mer présentent aussi des spécificités. En Guyane, un besoin de réappropriation par les populations urbaines d'une connaissance sur les milieux naturels et les espèces a été exprimé dans un contexte d'urbanisation et d'accroissement démographique fort. Alors que les populations de La Réunion et de Mayotte étaient historiquement tournées vers la terre, la crise des requins pose différentes questions. En Guyane et en Nouvelle-Calédonie, un enjeu de prise en compte du pluralisme culturel se pose. De même, en Nouvelle-Calédonie, la biodiversité est considérée comme entrant en compétition avec les ressources minières. À l'inverse, en Polynésie, les populations sont très proches de la nature et de la mer, culture et nature restant indissociables. Par conséquent, des activités non extractives de type touristique peuvent être imaginées au bénéfice des populations locales.
Merci pour cet exposé exhaustif soulignant la richesse et l'étendue des travaux engagés mais également les actions restant à mener à bien et les enjeux afférents. Vous avez avec raison pointé la nécessité d'une adaptation des politiques et des outils aux spécificités de l'outre-mer.
Nous allons maintenant entendre M. Bernard Cressens, président du Comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Cher monsieur, dans votre parcours très riche, vous avez oeuvré en outre-mer sur tous les océans : dans le Pacifique d'abord, en travaillant sur des projets de protection de l'environnement pour la Province nord en Nouvelle-Calédonie puis en Polynésie française. Le Fonds mondial pour la nature vous a ensuite recruté pour son bureau en Guyane puis à son siège national comme directeur des programmes de conservation. Enfin, vous présidez aujourd'hui aux destinées du Parc naturel marin des Glorieuses, archipel inhabité du nord du canal du Mozambique de sept kilomètres carrés qui offre à la France 48 350 km² de zone économique exclusive.
Avant de vous céder la parole, je me permets de rappeler l'excellente publication de l'UICN réalisée en collaboration avec l'ONERC intitulée « Changement climatique et biodiversité dans l'outre-mer européen », qui a offert pour la première fois une analyse comparative thématique des biodiversités des vingt-huit collectivités d'outre-mer de l'Union européenne.
L'UICN, dont le siège se trouve désormais en Suisse, est née en France il y a une soixantaine d'années à l'initiative de scientifiques désirant partager leurs connaissances avec les États. Elle vise à améliorer la connaissance en vue de protéger, partager et alerter. Elle publie par exemple des listes rouges propres à chaque région, rendant compte de l'état de la connaissance et identifiant les espèces menacées. Des programmes de conservation sont aussi développés, particulièrement à travers l'outil des aires protégées, dans lesquelles l'homme gère la nature dans son intérêt. En effet, la présence humaine sur la planète est due à la biodiversité, elle-même à l'origine de l'oxygène et de l'eau. Plutôt que de nature, dont l'homme était distingué, nous parlons désormais de biodiversité, monde global du vivant dans lequel s'inscrit l'homme. En effet, l'homme constitue lui-même une biodiversité en raison du nombre de bactéries qu'il comprend, plus important que celui des cellules qui le composent.
La connaissance systématique et scientifique est considérable. La France a la chance de disposer de très bons organismes scientifiques. Toutefois, la connaissance systématique doit aussi être pratique et opérationnelle, afin de permettre un vivre ensemble harmonieux avec les communautés animales et végétales. Dans les outre-mer, la richesse de la biodiversité se double d'une richesse culturelle importante. De nombreuses communautés sont parvenues à vivre en harmonie avec la nature. En revanche, sur l'île de Pâques, le développement culturel a conduit à la destruction de son espace naturel. Il convient de faire en sorte que la planète Terre ne connaisse pas le même sort que l'île de Pâques. Cependant, un programme intéressant de reconquête de l'espace et de réhabilitation est mis en oeuvre sur l'île de Pâques aujourd'hui.
Les outre-mer pâtissent d'un double handicap. Ils dépendent de l'Europe, alors que les Européens sont continentaux et terriens. Lorsque l'Union européenne (UE) a souhaité élaborer une politique maritime, le Conseil de l'Europe s'est réuni à Paris, affirmant toutefois que la France n'était pas un pays maritime. Or, la France est le deuxième pays maritime après les États-Unis d'Amérique grâce aux outre-mer et n'a pourtant pas de politique maritime à la hauteur de cet atout considérable.
Quant à la politique des outre-mer, elle a fait l'objet d'une prise de conscience importante depuis une vingtaine d'années. Les organisations non gouvernementales telles que l'UICN y ont d'ailleurs contribué. En outre, l'UICN vient d'éditer un ouvrage présentant l'état des connaissances de la biodiversité dans les outre-mer. Beaucoup reste à faire en la matière : dans le cas des milieux maritimes, par exemple, 80 % de la biodiversité est encore inconnue. Il serait inutile de disposer de cette connaissance sans rien en faire et en nous contentant de l'intégrer aux collections du Muséum national d'histoire naturelle. En effet, nous pourrions réaliser que l'ADN d'une espèce disparue aurait pu soigner le cancer ou que des bactéries auraient pu être utilisées dans les domaines de la santé et de l'alimentation.
Puisque l'outre-mer représente 80 % de la biodiversité, il conviendrait d'y allouer 80 % des moyens humains et financiers. Pour gérer le parc marin des îles Glorieuses, non habité de façon permanente mais dont la surface avoisine celle de la Corse, nous disposons d'un budget de 150 000 €. Nous n'avons pas encore mesuré la nécessité de doter les outre-mer de moyens plus importants. Les politiques en faveur de la connaissance et de la recherche et développement doivent être amplifiées dans les outre-mer où existent des atouts majeurs.
Les collectivités territoriales et les services de l'État doivent travailler davantage en synergie. Il faut également que les populations locales soient plus impliquées, une connaissance non partagée par ces dernières ne permettant pas une préservation efficace. Les jeunes d'outre-mer adhèrent désormais à une connaissance internationale de l'usage des techniques modernes de communication, mais sont peu enclins à adhérer à une connaissance de leur territoire. Consommer leurs produits locaux n'est pas valorisant pour eux, dès lors qu'ils n'ont pas conscience du caractère extraordinaire de leur propre biodiversité.
Monsieur Cressens, merci pour cet exposé passionné, la passion étant consubstantielle à votre pédagogie. Je cède la parole à M. Bernard Deceuninck, chargé de coordonner les programmes nationaux d'étude de l'avifaune par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). C'est pourquoi, il a été conduit à parcourir les outre-mer.
L'outre-mer est essentiellement marin. L'avifaune ultramarine représentant un enjeu mondial comprend de nombreuses espèces présentes dans les espaces marins. Toutefois, d'autres espèces non marines, notamment les espèces endémiques, sont également menacées et méritent que nous nous y intéressions. En effet, la France et ses outre-mer sont un foyer d'endémisme pour l'avifaune.
La connaissance de l'avifaune progresse plus facilement que celle des autres types de faune, les oiseaux étant assez faciles à observer en raison de leurs chants et cris. Des sociétés ornithologiques se sont développées, qui couvrent la plupart des territoires d'outre-mer et contribuent à la connaissance des oiseaux en termes de distribution, d'effectifs et de santé. D'autres structures diverses s'intéressent aux oiseaux dans l'outre-mer : l'IRD, le Muséum national d'histoire naturelle, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Office national des forêts (ONF), les universités, etc. Si l'inventaire de l'avifaune n'est pas terminé, le niveau de connaissance est suffisant pour dresser un tableau de bord de l'état de conservation des espèces.
La liste rouge est un outil développé et promu par l'UICN. Au niveau mondial, Bird Life International produit les analyses nécessaires à l'établissement d'une liste rouge et à la mesure de l'évolution du statut des espèces d'oiseaux. Dans ce cadre, des foyers de présence d'espèces mondialement menacées ont été identifiés, notamment des espèces endémiques, des oiseaux ayant vu leur espace se réduire comme peau de chagrin et ne survivant que dans quelques sites. 9 000 zones importantes pour la conservation des oiseaux et de la biodiversité autour de la terre ont également été définies, dont 143 concernent l'outre-mer. Parmi ces dernières, certaines sont très étendues, comme le Parc national amazonien en Guyane, par exemple.
Le nombre d'espèces endémiques dans l'outre-mer français, supérieur au nombre d'espèces endémiques présentes dans toute l'Europe, témoigne de l'importance de l'outre-mer en termes de biodiversité. Les îles Canaries et Madère sont des foyers d'endémisme en Europe, celle-ci ne comptant toutefois qu'une vingtaine d'espèces endémiques. Une trentaine d'espèces endémiques ont d'ores et déjà disparu en outre-mer. Quant aux récifs coralliens, 5 des 34 points chauds identifiés se trouvent en outre-mer français.
Ce dernier compte plus de 1 100 espèces d'oiseaux répertoriées, soit 11 % de l'avifaune planétaire et 75 % de l'avifaune française, la majorité se trouvant en Guyane, soit 600 espèces. 11 des 218 zones d'endémisme de l'avifaune se trouvent aussi en outre-mer. L'inventaire complet de l'avifaune française compte environ 1 500 espèces d'oiseaux, dont les oiseaux migrateurs, soit 15 % de l'inventaire mondial. La richesse de l'avifaune ultramarine s'explique par la variété des habitats, parmi lesquels les mangroves, les récifs coralliens et les forêts boréales à Saint-Pierre-et-Miquelon. Par son biais, un cortège d'espèces nord-américaines est présent en France. Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) sont également concernées par les oiseaux marins, dont des espèces mondialement menacées comme l'albatros. De plus, la richesse en avifaune de la forêt tropicale n'est pas encore intégralement inventoriée.
La France compte 80 espèces mondialement menacées, soit moitié moins que le Brésil, et se situe à la dixième position mondiale en la matière. 90 % des espèces mondialement menacées que compte la France se trouvent en outre-mer, en particulier en Polynésie.
L'UICN distingue les espèces vulnérables des espèces en danger et des espèces en situation critique. Alors que les espèces vulnérables pourraient disparaître d'ici un siècle, celles étant en danger pourraient disparaître dans quelques décennies, contre quelques années pour les espèces en situation critique si rien n'est entrepris pour les sauvegarder. Dans les TAAF, les oiseaux marins affectés par le changement climatique sont menacés, tandis que la Guyane compte davantage d'espèces quasi menacées : en cas de dégradation du milieu, elles pourraient être ajoutées à la liste rouge. Par conséquent, la Guyane, dont le milieu se dégrade, pourrait devenir l'outre-mer la plus concernée par les espèces menacées. Par exemple, si la grive à pied jaune est très répandue en Guadeloupe, sa population s'est dégradée à Sainte-Lucie ; elle est en effet toujours chassée, en dépit de sa vulnérabilité au niveau mondial. Le cagou, présent en Nouvelle-Calédonie, ne se porte pas bien non plus.
L'avifaune fait l'objet de menaces similaires à celles auxquelles est confronté le milieu marin : la perte et la dégradation de l'habitat concernant la majorité des espèces ; la surexploitation directe, la chasse par exemple ; les espèces introduites envahissantes, dont le rat qui a causé la disparation de plusieurs espèces d'oiseaux et détruit la végétation de certains îlots ; la pêche à la palangre concernant quasiment tous les albatros présents dans les TAAF ; le changement climatique pouvant affecter potentiellement toutes les espèces menacées ou affaiblies en induisant une réduction de la nourriture et du succès reproducteur de certaines espèces.
Toutefois, le changement climatique n'ayant pas encore entraîné de disparition d'espèces ultramarines, il n'est pas encore considéré comme une menace majeure. En revanche, de nombreux indicateurs montrent que des espèces quittent le territoire français et permettent de quantifier la façon dont le changement climatique affecte les populations d'oiseaux.
Si l'inventaire de l'avifaune n'est pas terminé, les foyers de biodiversité sont connus. Par exemple, le territoire de la Guyane, probablement le plus difficile à explorer, promet encore sans doute de nombreuses découvertes. Les zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) sont importantes pour l'avifaune, mais aussi pour certains habitats, des groupements végétaux particuliers par exemple. Des outils de protection existent d'ores et déjà et sont appliqués en métropole et en outre-mer. La Guyane compte plusieurs zones protégées : les réserves naturelles régionales ou nationales, le Parc national amazonien, des territoires acquis par le Conservatoire national du littoral. Par conséquent, il est possible d'inventer de nouveaux outils applicables à l'outre-mer, mais les possibilités offertes par le panel d'outils existant et permettant de protéger les habitats ne sont pas encore épuisées. Les ZNIEFF ne bénéficient par exemple d'aucune mesure de protection.
Le Grenelle de l'Environnement a initié une dynamique à travers la mise en place de plans nationaux d'action (PNA) pour les espèces. À l'occasion d'un séminaire organisé à Bordeaux par le ministère de l'écologie, j'avais réalisé une synthèse consacrée aux PNA et à leurs apports en faveur de l'avifaune. Malheureusement, la dynamique a accusé un ralentissement depuis, faute de crédits. Une vingtaine de PNA avait initialement été mise en place pour les espèces prioritaires, mais seuls quatre portaient sur des espèces ultramarines. Or, les PNA fonctionnent et sont peu onéreux, puisque leur coût est équivalent à celui d'un rond-point garni dans mon département. 68 espèces mondialement menacées attendent de bénéficier d'un tel plan d'action.
Par exemple, des progrès ont été enregistrés grâce aux mesures de protection d'urgence dont a fait l'objet l'albatros d'Amsterdam. Cette espèce endémique niche uniquement sur l'îlot d'Amsterdam, où la végétation a été perturbée suite à l'introduction de vaches. Un travail de limitation des introductions d'espèces a produit des résultats, même si la situation reste critique avec seulement une cinquantaine de couples reproducteurs.
Nous allons aborder les échanges avec la salle après ce brillant exposé sur l'avifaune qui montre encore une fois la place prépondérante des outre-mer. Nos deux rapporteurs vont ouvrir le débat.
La question de savoir comment se nourrir sainement, respirer un air pur, produire des aliments sains et des plantes médicinales est souvent posée. Le modèle du jardin créole peut constituer une solution, la polyculture permettant de favoriser un écosystème équilibré et de réduire les gaz à effet de serre. Pouvez-vous citer des exemples concrets de bonnes pratiques en matière de préservation de la biodiversité pour lutter contre le changement climatique, qui gagneraient à être généralisées ?
En outre, les grandes entreprises utilisant la biodiversité pour mettre au point de nouveaux médicaments ont tiré des profits importants qui n'ont pas été redistribués aux populations du Sud. Ces dernières les ont donc accusées de bio-piraterie. Des accords internationaux ont été signés pour lutter contre cette pratique. Afin de répondre à l'enjeu de la valorisation des ressources de la biodiversité ultramarine, le projet de loi biodiversité prévoit de transposer le protocole de Nagoya et la Convention sur la diversité biologique en droit français. Il vise à créer une procédure d'accès aux ressources génétiques et de partage des avantages financiers ou scientifiques issus de l'utilisation de ces ressources. Un dispositif expérimental existe déjà dans le Parc national amazonien de Guyane. Le projet de loi vous semble-t-il aller dans le bon sens pour la valorisation des ressources génétiques et des savoirs traditionnels présents dans les territoires ? Connaissez-vous des travaux en cours en pharmacie, cosmétique ou médecine permettant de valoriser la biodiversité ?
Je remercie les intervenants de nous avoir renseignés sur les travaux en cours, l'action publique étant difficile à mener sans connaissance. La connaissance française est produite par des équipes présentes dans le monde entier et s'intéressant à de vastes champs.
Confrontée au réchauffement climatique, à l'acidification des océans, aux changements d'usage, à la fragmentation des écosystèmes, à la surexploitation des ressources terrestres et marines, aux espèces envahissantes, aux pollutions chimiques et écologiques, comment la biodiversité peut-elle être sauvée ? L'ensemble de ces problématiques s'inscrivent dans celle du réchauffement climatique, responsable notamment de l'acidification des océans.
Les ressources allouées à la recherche et sa coordination suffiront-elles à améliorer la connaissance et mieux guider la décision publique ? Tous les organismes scientifiques font face à une urgence absolue en la matière. Nos citoyens et nos collègues doivent prendre conscience que toutes les merveilles issues de la biodiversité disparaîtront en l'absence d'action. D'où la nécessité de réussir la COP21.
La loi en cours d'élaboration doit-elle intégrer d'autres éléments ? Devons-nous être plus courageux en la matière ?
Autrefois, la Guyane était l'Eldorado, l'enfer vert et le bagne. Elle représente désormais la source d'oxygène du monde. Quels sont les moyens mis à notre disposition pour permettre à l'oxygène produit sur un territoire recouvert de forêts à 90 % de faire respirer le monde ?
Le doyen du Sénat, M. Paul Vergès, nous mettait déjà en garde contre le réchauffement climatique il y a trente ans. Son discours faisait parfois sourire, il se trouve désormais au coeur du débat.
Notre tâche consistant à produire la loi, qu'est-il nécessaire de lui ajouter ?
Par exemple, il pourrait être opportun d'y préciser que toute espèce menacée doit bénéficier d'un plan d'action. De plus, des lacunes législatives existent quant aux espèces invasives. L'exemple du moineau domestique dans les Antilles témoigne de la faiblesse des réactions publiques sur un sujet simple. Comment répondre légalement et rapidement à ce problème ?
Parmi les problématiques posées par la marchandisation, celles de la captation du vivant et du système des brevets m'interrogent. En effet, elles sont des démarches particulièrement nocives risquant à terme de nous empêcher d'agir.
La biodiversité représente un sujet faisant l'objet d'une prise de conscience collective croissante, similaire à celles dont ont bénéficié l'écologie et le réchauffement climatique. Les parlementaires reflètent une société progressant à la fois en matière de connaissance et de communication. Si la biodiversité devient un outil de communication, cela signifie qu'elle fait l'objet d'une prise de conscience.
Il serait intéressant d'améliorer la vulgarisation, le vocabulaire spécifique au sujet pouvant poser problème à la compréhension de la population. Par conséquent, nous devons faire de la pédagogie et communiquer de façon compréhensible. L'incompréhension risquerait de susciter un rejet dramatique.
Dans le contexte de l'ouverture des chantiers portant sur le réchauffement climatique et la biodiversité, il était important de rappeler que la France est la deuxième puissance maritime mondiale grâce à ses outre-mer. Par ailleurs, je salue le fait que mon département, Mayotte, ne soit pas oublié car il possède l'un des plus grands et probablement l'un des plus beaux lagons du monde. Or, ce dernier est menacé par les évolutions rapides en cours sur le territoire. C'est pourquoi, son classement au Patrimoine mondial de l'Unesco serait profitable.
Les politiques en faveur du jardin créole sont importantes, mais il est difficile de trouver d'autres exemples de ce type.
En revanche, des réflexions scientifiques sont mises en exergue dans le cadre de la conférence « Our common future under climate change », qui se tiendra au mois de juillet, et de la conférence portant sur le climat prévue à la fin de l'année 2015, en particulier le concept de rétroaction biodiversité-climat. À travers ce dernier, nous nous intéressons à l'incidence du changement climatique sur la biodiversité. Cependant, il importe également d'étudier l'influence des perturbations de la biodiversité sur les climats régionaux et mondial. Par exemple, les incidences humaines sur le massif forestier amazonien contribuent à modifier le climat régional. Le problème avait été traité par nos collègues brésiliens dans le cadre du code rural brésilien, mais la situation s'est à nouveau dégradée.
La transposition du Protocole de Nagoya dans la loi française traite le problème de la bio-piraterie dans son titre quatre. Elle constitue un progrès, chacun étant aujourd'hui conscient de l'importance d'un retour des bénéfices produits par des ressources génétiques spécifiques à certains territoires vers les porteurs de connaissances traditionnelles. Toutefois, la mise en oeuvre du principe posait différentes difficultés aux pratiques quotidiennes de la recherche. Des progrès significatifs ont été réalisés en matière de législation, devant permettre à chacun de s'en accommoder. Par exemple, il convient d'abord de connaître les ressources dont dispose la Guyane pour ensuite pouvoir les valoriser. Quoi qu'il en soit, les chercheurs sont très sensibles depuis longtemps à la problématique de la bio-piraterie.
Il importe que le thème de la biodiversité soit porté au premier rang des préoccupations, notamment face au changement climatique. La France doit notamment jouer le rôle qui lui incombe dans la plateforme internationale science-société sur la biodiversité et les services écosystémiques. Il faut regretter qu'elle ait manqué récemment l'accueil de la plateforme de soutien à l'évaluation des écosystèmes Europe et Asie centrale.
Enfin, la loi doit tenir compte d'une nécessaire vision écosystémique de la protection de la biodiversité, les espèces vivant dans des écosystèmes interagissant. Or, les atteintes à la biodiversité débutent généralement par la destruction de ces interactions. La fonctionnalité des espèces dans les écosystèmes doit être interrogée, qu'elles apparaissent comme utiles ou pas, nuisibles ou comme y ayant un rôle majeur.
La loi devrait prévoir davantage de synergie entre les ministères de l'écologie et de la recherche dans la mise en place de programmes communs. Par exemple, au sein des collectivités d'outre-mer travaillent des délégués à la recherche et à la technologie favorisant le dialogue. Le délégué de Guyane a d'ailleurs permis la réalisation de notre grande expédition d'inventaire de la biodiversité à travers la mobilisation de fonds FEDER.
En amont de la transposition du Protocole de Nagoya dans la loi, nous avons signé un protocole APA avec la région de la Guyane, prévoyant le retour de l'ensemble des informations collectées. Les scientifiques doivent sortir de leur tour d'ivoire, afin de mieux communiquer auprès du grand public, ce qu'ils ne savent pas toujours faire.
En Nouvelle-Calédonie, le Centre d'initiation à l'environnement que je présidais avait réuni la commission de l'environnement composée de décideurs politiques locaux. Nous avions alors pu dialoguer et transmettre notre message. De même, lorsque la population est fière de ses ressources locales, elle est plus encline à écouter le message des scientifiques. Les Calédoniens ont par exemple tiré de la fierté du classement des récifs coralliens au patrimoine mondial de l'Unesco en 2008 et ont pris conscience de la nécessité d'améliorer la gestion de l'environnement.
La loi de protection de la nature aura quarante ans lors de la publication de la nouvelle loi. Par conséquent, le texte de loi doit être moderne, inventif et ambitieux. La synergie me semble également devoir y occuper une place centrale. Puisque nous savons que nous manquerons de moyens financiers à l'avenir, une synergie doit être favorisée entre l'État, les régions, les départements, les ministères et les organismes de recherche. À cette fin, comme pour le Grenelle de l'environnement, des plateformes de rencontre doivent être créées, permettant l'échange de connaissances nécessaire à la protection de la biodiversité tout en tenant compte de la socioéconomie. Il faut une législation d'ouverture et de partage.
Si la prise de conscience est réelle, nous ne sommes qu'au début d'une ère nouvelle. Je remercie les intervenants de la première table ronde pour leurs exposés éclairants.
La deuxième table ronde a pour objectif d'examiner les politiques publiques à mettre en oeuvre pour préserver et valoriser cette foisonnante biodiversité qui vient de nous être décrite.
Quelles politiques peut-on et doit-on mettre en oeuvre pour préserver la biodiversité ultramarine qui constitue un joyau au coeur des problématiques de développement de nos territoires ultramarins ?
Quelles politiques seraient susceptibles de valoriser cette biodiversité, notamment comme source de stimulation de la recherche et de l'innovation contre l'accélération du changement climatique ?
Voilà les questions que nous posons à nos intervenants que je vous présente :
- M. Marc Del Grande, sous-directeur des politiques publiques à la direction générale des outre-mer (DGOM), qui aujourd'hui représente le coprésident de l'Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor) ;
- M. Dominique Gamon, conseiller en charge des outre-mer auprès du directeur général de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ;
- M. Serge Urbano, vice-président de France Nature Environnement ;
- M. Alain Brondeau, délégué de rivages outre-mer du Conservatoire du littoral.
Monsieur Del Grande, pouvez-vous nous présenter les politiques actuellement menées par l'Ifrecor et les évolutions que vous envisagez au moment où les conséquences du dérèglement climatique deviennent plus prégnantes pour les récifs coralliens ? Quels sont vos plans d'action ? Quels sont leurs résultats ? Quelles sont les prochaines étapes selon vous pour relever le défi majeur de la préservation de ces récifs ?
Je représente la coprésidente de l'Ifrecor et la ministre des outre-mer. Ces derniers se trouvent dans une situation particulière et primordiale en matière de biodiversité et d'atténuation du changement climatique. Les politiques publiques existent, même si elles sont imparfaites. Les moyens peuvent toujours être mieux articulés, mais il convient de les valoriser. L'Ifrecor, fêtant ses quinze ans cette année, offre notamment de formidables instruments. Un rapport d'étape vient par exemple d'être rédigé dans le cadre d'un travail portant sur la valeur économique des services rendus par la biodiversité. Or, des montants estimés à plusieurs centaines de milliers d'euros peuvent être sources de changement.
La biodiversité ultramarine représente 80 % de la biodiversité française. L'outre-mer comprend de nombreux points chauds et montre un niveau très élevé d'endémisme avec plus de 13 000 espèces endémiques. De plus, la France est l'un des rares États du monde à disposer d'un des quinze derniers grands massifs de forêt primaire équatoriale. Cependant, les massifs forestiers de Nouvelle-Calédonie et de La Réunion ayant fortement régressé font l'objet d'alertes. 97 % de la ZEE française est ultramarine. L'outre-mer présente aussi une richesse biologique exceptionnelle : 10 % des récifs coralliens, plus de 5 000 km de côtes, la seconde plus grande barrière récifale au monde en Nouvelle-Calédonie et l'une des rares doubles barrières à Mayotte, 20 % des atolls de la planète en Polynésie française, les mangroves et herbiers. De plus, les récifs et les écosystèmes associés concentrent 25 à 30 % de la biodiversité marine. Par conséquent, la France a une responsabilité particulière dans le domaine de la protection de la biodiversité.
En outre, la France dispose du premier port spatial du monde situé à Kourou. Or, sans observation satellitaire, il est difficile d'obtenir des données précises. Les outre-mer peuvent et doivent donc faire valoir cet avantage. Aux douze terres ultramarines, sont associés trois océans, voire quatre avec l'Antarctique, qui donnent un poids diplomatique à la France. Dans le contexte de la préparation de la COP21, ce dernier est essentiel ; le Président de la République a d'ailleurs récemment présidé une conférence sur les Caraïbes dans ce cadre.
Du très grand Nord, représenté par Saint-Pierre-et-Miquelon, au très grand Sud, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), les outre-mer sont aux avant-postes de l'observation du réchauffement climatique, de l'évolution du comportement des océans et de leur rôle dans le changement climatique. Ces derniers sujets sont relativement nouveaux, mais la France dispose de nombreux atouts en la matière. De même, les espèces invasives sont à l'origine de nombreuses problématiques : le poisson-lion, l'action anthropique en outre-mer, le développement de l'urbanisation et l'intensification de l'agriculture. Nous appelons d'ailleurs cette dernière de nos voeux, en vue de structurer les filières. La culture de la banane verte est la moins polluante du monde, même si nous avons commis des erreurs dans ce domaine dans les années 1970. L'exploitation minière en Nouvelle-Calédonie constitue aussi un sujet d'alerte.
Par ailleurs, si les savoirs traditionnels ont été assez peu pris en compte jusqu'à présent, le projet de loi sur la biodiversité devrait largement contribuer à nous faire progresser sur le sujet. Le ministère de l'outre-mer s'est en effet battu pour que les communautés d'habitants puissent être consultées dans le cadre du processus sur l'accès et le partage des avantages (APA). Si les parlementaires conservent le dispositif de consultation, le ministère en sera heureux.
Il convient d'abord de protéger la biodiversité à travers la création de parcs nationaux. L'outre-mer en compte déjà trois, sur l'île de La Réunion, en Guyane et en Guadeloupe. Il comprend aussi deux parcs naturels régionaux, en Martinique et en Guyane, des parcs marins à Mayotte, sur les îles Glorieuses et des réserves naturelles en Guyane, à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et sur l'île de La Réunion. Quant à la réserve naturelle des îles subantarctiques, le projet de loi sur la biodiversité permettra d'envisager son extension en ZEE. Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a mis en place la plus grande aire marine protégée française sur la mer de corail et la totalité de sa ZEE. Un projet de grande aire marine est également à l'étude en Polynésie autour des îles Marquises et de l'archipel des Tuamotu. Quant au Patrimoine mondial de l'Unesco, y sont inscrits les lagons de Nouvelle-Calédonie et les hauts de l'île de La Réunion, tandis que les îles Marquises et Mayotte y prétendent. De multiples sites se trouvent également sur la liste des zones humides résultant de la convention de Ramsar.
Dans un contexte de maîtrise des finances publiques et des moyens humains, nous bénéficions d'un réseau exceptionnel d'organismes de recherche dans les outre-mer. Ce réseau est coordonné dans le cadre de l'alliance AllEnvi et compte l'IFREMER, l'IRD, le CNRS, le BRGM, le CIRAD, le Museum national d'histoire naturelle et la Conférence des présidents d'université. Des moyens importants sont mis le plus possible en synergie, même si la situation peut encore être améliorée.
De même, le réseau des délégués régionaux à la recherche et à la technologie (DRRT) se réunit au ministère de la recherche, mais aussi deux fois par an au ministère des outre-mer. Il parvient à sauvegarder dans son budget une enveloppe permettant de financer un appel à projet de recherche orienté vers la protection de la biodiversité. En dépit de son faible montant, une telle enveloppe peut initier de petits projets permettant de faire progresser la prévention ou de trouver des solutions opérationnelles sur le terrain. De plus, le dispositif des trames vertes et bleues a été adapté aux outre-mer à travers son intégration dans les schémas d'aménagement régionaux (SAR) des départements d'outre-mer. Les problématiques de l'érosion côtière et du changement climatique ont également été introduites dans le schéma de mise en valeur de la mer, tandis qu'un nouvel accord-cadre, 2013-2016, a été signé entre l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et la France au mois de juin 2013, intégrant un volet spécifique sur les outre-mer. Enfin, une conférence s'est réunie les 22 et 24 octobre 2014 en Guadeloupe et a abouti à l'élaboration d'une déclinaison opérationnelle dynamique.
Après le Sommet de Rio en 1992, ont été créés l'International Coral Reef Initiative (ICRI) en 1995, puis l'Ifrecor en 1998. Cette dernière a beaucoup travaillé sur la connaissance : 22 850 espèces récifales désormais répertoriées contre mille en 2008 ; initiation d'un travail de typologie partagé des habitats ; mise en place d'un réseau d'observatoires de suivi de l'état de santé des récifs et des écosystèmes ; mise en oeuvre d'une base de données partagée ; évaluation des services écosystémiques rendus.
De même, deux outils innovants liés à la problématique du changement climatique ont été développés : des observatoires de suivi des effets du changement climatique sur les récifs coralliens et un guide méthodologique à destination des décideurs locaux portant sur la prise en compte du changement climatique dans les politiques et projets d'aménagement côtiers ultra-marins. Enfin, depuis plusieurs années, un concours donne lieu à la remise de la palme Ifrecor à l'occasion de la déclinaison ultramarine du Congrès des maires. Les travaux sur l'ensemble des thématiques, dont le changement climatique, seront poursuivis au cours de la phase 2016-2020, cofinancés par les ministères du développement durable et des outre-mer. Malgré un contexte difficile, le financement reste d'ailleurs satisfaisant.
L'Ifrecor est un formidable réseau, disposant d'un secrétariat permanent et animant de nombreuses actions concrètes dans l'ensemble des terres ultramarines. Elle vient quasiment de finaliser un travail d'évaluation de la valeur économique des services rendus par la biodiversité dans les outre-mer.
En Martinique, les services rendus par la biodiversité ont été évalués à 169 millions d'euros annuels, dont 28 millions d'euros issus de la pêche, 67 millions d'euros du tourisme et des loisirs, 66 millions d'euros de la protection côtière et 8 millions d'euros de la séquestration du carbone. La contribution des écosystèmes coralliens à l'économie locale est donc équivalente à celle du secteur agroalimentaire. Les récifs et systèmes côtiers protègent naturellement de l'érosion le littoral, 42 km de routes et plus de 10 000 logements.
En Guadeloupe, les services rendus par la biodiversité ont été évalués à 114 millions d'euros annuels. Deux tiers des poissons frais consommés en Guadeloupe proviennent de la pêche côtière locale. L'aéroport de Pointe-à-Pitre est directement protégé par les récifs coralliens et les mangroves du Grand Cul-de-Sac, les herbiers et mangroves séquestrant aussi jusqu'à 205 000 tonnes de CO2 chaque année.
En Nouvelle-Calédonie, les services rendus par la biodiversité ont été évalués entre 220 millions et 320 millions d'euros annuels, dont 67 % sont issus de la protection du littoral, 22 % de la pêche et 9 % du tourisme et des loisirs. La contribution des écosystèmes coralliens à son PIB est de l'ordre de 100 millions d'euros, contre 600 millions d'euros pour celle du secteur minier. Les récifs protègent naturellement plus de 11 200 logements, tandis que le tourisme lié aux récifs génère jusqu'à 1 650 emplois directs.
À Mayotte, les services rendus par la biodiversité ont été évalués entre 19 millions et 37 millions d'euros annuels. 600 sociétés, 900 emplois et plus de 50 000 personnes dépendent à différents degrés des services écosystémiques. Le service de séquestration du carbone par les mangroves et herbiers complète ces bénéfices à hauteur de deux millions d'euros par an.
Cette évaluation des aménités positives de la biodiversité est très intéressante. Monsieur Gamon, quelles sont les politiques que mène l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) dans les outre-mer ? Vous êtes au coeur des enjeux de la préservation de la biodiversité dans ces territoires, comment voyez-vous les choses évoluer ? Comment infléchir les tendances observées et s'adapter aux conséquences du dérèglement climatique ?
L'ONCFS est un établissement public sous la double tutelle des ministères de l'agriculture et de l'environnement. S'il est plutôt mal connu du grand public, il l'est bien mieux des partenaires de terrain et de tous les acteurs oeuvrant en faveur de la biodiversité. Il est un acteur important du service public de l'environnement, son slogan affirmant : « La biodiversité, c'est notre métier. » Plus précisément, la biodiversité implique une palette de métiers qu'il importe de développer. L'ONCFS emploie 1 600 personnes, dont deux tiers d'agents de police appartenant aux corps des techniciens ou des agents techniques de l'environnement et un tiers de personnel à caractère technique et scientifique.
C'est un établissement très original présentant plusieurs forces. Premièrement, il est présent sur le terrain, à travers des équipes dispersées sur différents territoires, dont les outre-mer. Au contact de la faune, de la flore et des hommes, l'ONCFS est un veilleur de la nature et de la biodiversité. Deuxièmement, l'établissement est pluridisciplinaire, à la fois en termes de compétences et de métiers. En effet, il exerce à la fois des métiers de police, d'appui technique, d'expertise et de conseil en matière de gestion des espèces et des espaces. La variété de ses compétences est particulièrement intéressante dans la mise en oeuvre des politiques publiques, le mariage des différentes fonctions étant de surcroît moderne et nécessaire à l'efficacité des politiques publiques sur le terrain. Troisièmement, l'ONCFS est fort d'une double compétence portant sur les espèces chassables et la biodiversité dans son ensemble, dont les espèces protégées, singulièrement en outre-mer.
En outre-mer, l'ONCFS emploie une cinquantaine de personnes. Si les effectifs paraissent faibles, ils ont pourtant été préservés jusqu'à présent, les effectifs totaux de l'établissement diminuant. L'ONCFS est présent à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les départements de Guyane, Martinique, Guadeloupe et de La Réunion, de même qu'à Mayotte grâce aux équipes de l'île de La Réunion. Dans le reste de l'outre-mer français, il bénéficie de collaborations ponctuelles en Nouvelle-Calédonie, dans les TAAF et en Polynésie.
La modestie des effectifs est compensée par de nombreuses collaborations, puisque l'ONCFS travaille avec de nombreux établissements publics oeuvrant sous la tutelle du ministère de l'écologie : les parcs nationaux, le Conservatoire du littoral, la gendarmerie, les douanes, l'ONF, les parcs régionaux et l'ensemble du tissu associatif. Le travail collaboratif sur le terrain fait d'ailleurs la force de l'ONCFS. Ce dernier entretient aussi une grande proximité avec les services déconcentrés de l'État, tant en matière de police qu'en matière technique. Il est aussi en lien direct avec la direction de l'eau et de la biodiversité à travers les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) en application des politiques publiques décidées par le gouvernement.
En matière de police, nous travaillons en collaboration avec l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) dans des services mixtes de police et pour la mise en oeuvre de plans de contrôle élaborés en partenariat avec les DEAL et mis en oeuvre sous l'autorité des préfets. La cohérence de l'action de police de la nature, de l'eau et de la biodiversité au niveau départemental est ainsi assurée. Les métiers de police concernent à la fois : la protection des milieux naturels ; la lutte anti-braconnage, en particulier sur des espèces emblématiques ; l'application de la Convention de Washington (CITES).
En matière scientifique et technique, la palette des métiers de l'ONCFS est très large. En effet, l'ONCFS est responsable des tortues marines, notamment des trois plans nationaux d'action mis en oeuvre en Guadeloupe, Martinique et Guyane, pour lesquels il anime un cortège de partenaires et d'acteurs sur le terrain. Dans certains départements, une deuxième génération de plans est déjà en cours. Le sujet des tortues marines s'inscrit également dans la problématique du changement climatique, les tortues marines étant des bio-indicateurs essentiels.
L'ONCFS agit également dans le cadre d'autres plans nationaux d'action, concernant notamment l'iguane des petites Antilles et le pétrel de La Réunion. Il travaille avec les fédérations départementales de chasseurs, afin que la chasse soit exercée conformément à des plans de gestion basés sur la connaissance des effectifs et des prélèvements raisonnables et soit davantage durable. L'ONCFS mène des travaux scientifiques, en particulier en Guyane, sur des espèces très peu connues, forestières, petites ou grandes et dont la connaissance est primordiale.
Par ailleurs, l'ONCFS mène une action de pédagogie afin de sensibiliser les populations. Une exposition portant sur son activité et présentant l'ensemble de ses métiers devrait d'ailleurs être inaugurée au mois de septembre. En matière de changement climatique, des sujets comme l'augmentation du niveau de la mer, des températures et des aléas climatiques, la destruction des habitats, incluant la disparition ou le changement des profils de plage et des courants, influenceront l'évolution des espèces, notamment par le biais de leur reproduction. Le facteur température est par exemple essentiel dans la reproduction des reptiles et la répartition entre mâles et femelles. De même, le changement climatique peut contribuer à introduire des espèces exotiques envahissantes dans des milieux très fragiles. La biologie même des espèces peut être modifiée, ainsi que les circuits migratoires des oiseaux.
Par conséquent, le changement climatique est perçu comme une menace pour la biodiversité de l'outre-mer. En raison de la responsabilité de l'ONCFS en matière de gestion de nombreux programmes de préservation, il importe d'agir.
Monsieur Urbano, France Nature Environnement est très vigilant sur les questions de biodiversité. Comment analysez-vous la situation dans les outre-mer ? Quelles politiques faudrait-il mener pour mieux préserver et valoriser cette incroyable richesse ? Comment percevez-vous les liens entre biodiversité et développement ? Comment relever ce double défi environnemental et économique dans nos territoires ultramarins ?
France Nature Environnement est une fédération regroupant 3 500 associations, comptant 850 000 à un million d'adhérents et bénéficiant d'un budget d'environ trois millions d'euros issu de sources publiques et privées.
Il y a un an, nous préparions la conférence de la Guadeloupe en concertation avec le ministère de l'écologie. Il nous avait alors été demandé comment nous envisagions la mise en oeuvre du « Message de l'île de La Réunion ». France Nature Environnement comprend un réseau d'associations ultramarines couvrant Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte, La Réunion, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie et pouvant relayer la voix des populations. Le constat fait alors par ce réseau associatif quant aux politiques à mettre en oeuvre en termes de préservation de la biodiversité et de lutte contre les dérèglements climatiques reste inchangé et je serai son relais aujourd'hui.
La préservation de la biodiversité passe notamment par les aires protégées et la réalisation des « Objectifs d'Aichi », à savoir la sauvegarde de la biodiversité de 17 % des aires terrestres et de 10 % des aires marines au niveau mondial. À la suite du Grenelle de l'environnement, la France ambitionne pour sa part de préserver la biodiversité de 20 % des aires marines, dont la moitié sont des réserves de pêche.
Cependant, la plupart des dispositifs européens ne semblent pas déclinés dans les outre-mer, particulièrement les directives Nature et la directive-cadre sur la mer, y confortant un moins-disant environnemental. C'est pourquoi, le projet de loi devrait permettre aux outre-mer de relever les différents enjeux en s'appuyant sur les dispositifs européens. Le dispositif Natura 2000, par exemple, pourrait leur apporter beaucoup.
En outre, il convient d'élaborer des stratégies de création d'aires protégées par territoire, des territoires comme Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon n'étant pas confrontés aux mêmes enjeux. La ministre de l'écologie a par exemple annoncé un objectif de protection de 35 000 hectares de mangroves lors de sa déclaration dans le cadre de la conférence de la Guadeloupe. Si l'objectif est ambitieux, nous attendons qu'il soit précisé et qu'un plan d'action par zone géographique soit élaboré.
De même, la forêt boréale à Saint-Pierre-et-Miquelon mérite la mise en place d'une stratégie régionale de biodiversité adaptée et en lien avec le continent nord-américain. Les discussions portant sur la réouverture de la chasse à l'eider ont suscité des inquiétudes sur le terrain, l'espèce posant un enjeu de conservation. Nos collègues canadiens ont pour leur part initié un vaste programme de préservation des coraux froids, dans lequel Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait jouer un rôle.
Quant à la Nouvelle-Calédonie, elle abrite les dernières forêts sèches, confrontées à de forts risques de dégradation et d'incendie. L'enjeu de conservation y est donc prégnant.
La ministre de l'écologie a également annoncé qu'il conviendrait de réfléchir à la mise en oeuvre d'un des objectifs du Grenelle de l'environnement, à savoir la mise en place d'un troisième parc national pour les zones humides, pour une meilleure protection du marais de Kaw. Le réseau associatif soutient totalement la démarche en la matière, de même que l'engagement de la procédure de classement du lagon de Mayotte au patrimoine mondial de l'Unesco.
L'aménagement du territoire est nécessaire, notamment pour la mise en place des équilibres économiques au sein de la société, mais il inquiète le mouvement associatif. Par exemple, l'élargissement du canal de Panama dans la Caraïbe entraînera une logique d'appel d'air sur la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Pierre-et-Miquelon. Or, le dispositif d'évaluation des enjeux environnementaux et des mesures compensatoires du projet peut encore considérablement progresser.
Les listes rouges de l'UICN constituent évidemment des signaux d'alerte. Cependant, tout signal d'alerte doit être relayé par un dispositif réglementaire offrant la même considération aux espèces protégées ultramarines qu'en métropole, à travers l'affirmation d'obligations de protection et de compensation.
Le projet pharaonique qu'est la nouvelle route littorale de La Réunion annonce de graves perturbations. Alors que le réchauffement climatique implique la mise en oeuvre d'une logique de transition énergétique, il est inquiétant qu'il ne soit pas davantage envisagé de freiner le développement automobile. Malgré les prouesses de l'ingénierie, la construction de la route ne peut que nous inquiéter, d'autant plus que son coût de 1,6 milliard d'euros, soit 133 millions d'euros le kilomètre, est immense. Les avis sont partagés à deux égards. Premièrement, la construction de la route nécessitera la création de nouvelles carrières afin d'en extraire les matériaux nécessaires. Deuxièmement, des portions de la route seront remblayées avec divers matériaux, alors qu'il avait été recommandé de privilégier la construction d'un viaduc. La biodiversité marine s'en trouvera notablement affectée.
Par conséquent, il est demandé que les aides apportées aux projets d'aménagement en outre-mer, issues de fonds publics ou de l'AFD, soient conditionnées à la réalisation d'une évaluation environnementale solide. En Nouvelle-Calédonie, un projet de centrale électrique est en cours de réalisation, financé à 50 % par des fonds publics, alors qu'elle fonctionnera au charbon. Si le projet de loi sur la biodiversité doit être l'équivalent de la loi de 1976 sur la protection de la nature, il doit être davantage ambitieux.
Enfin, les aménageurs ont tendance à n'envisager que la compensation. Or, il convient d'abord d'étudier les possibilités d'évitement du projet en recherchant les alternatives, puis d'en limiter et réduire les effets. Dans un contexte d'érosion et de reconquête de la biodiversité, les mesures compensatoires doivent viser à restaurer et à recréer. Un immense projet de parc naturel marin en Nouvelle-Calédonie soulève des inquiétudes auxquelles la loi pourrait sans doute répondre, en particulier sur la question de l'amélioration de la gouvernance au sein des parcs naturels marins. La création d'une économie bleue ou marine est aussi source de préoccupations.
En matière de recherche, l'enjeu est double : la biodiversité est encore l'objet de nombreuses inconnues et les éventuels impacts du réchauffement climatique dans les territoires ultramarins doivent être précisés. Les principes de prévention et de précaution doivent présider à la mise en oeuvre des projets, quels qu'ils soient. Par exemple, face aux projets pétroliers au large de la Guyane, la recherche doit se concentrer sur les cétacés, d'autres espèces et habitats, afin d'améliorer les connaissances et faire en sorte qu'ils intègrent pleinement les enjeux environnementaux.
En outre, la valorisation de la biodiversité passe notamment par la recherche en pharmacopée. Particulièrement en Martinique et en Guyane, un potentiel doit être identifié et valorisé. Concernant les modalités d'une collaboration efficace entre le monde de la recherche et celui de la conservation, le projet d'Agence française pour la biodiversité a un rôle à jouer, dans la mesure où des liens forts seront établis avec la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) et des conseils scientifiques. À ce titre, nous déplorons la difficulté des ministères à dialoguer sur des enjeux d'intérêt commun.
Enfin, dans les territoires ultra-marins, en particulier les régions ultrapériphériques (RUP), des schémas régionaux climat, air et énergie doivent être mis en oeuvre. Leur élaboration permettra d'identifier les éléments devant prioritairement faire l'objet de recherches.
En matière de gouvernance, le monde associatif peine à être entendu dans les outre-mer en raison de son caractère dispersé. Les fonds européens devraient être adaptés pour mieux bénéficier à la communauté associative des outre-mer, les dispositifs d'élaboration de dossiers étant très contraignants. Dans le cadre d'une collaboration très fructueuse avec l'AFD, des moyens nous ont été accordés pour organiser l'animation des territoires, l'appropriation des enjeux par les acteurs et l'expression citoyenne. En effet, les associations sont des relais des citoyens. Or, dans un contexte de contrainte budgétaire, les moyens qui nous sont octroyés diminuent. Les ONG doivent pouvoir participer au débat public et fédérer les citoyens.
Enfin, je souhaite que nous soyons entendus au cours des discussions menées dans le cadre de la COP21.
Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur l'importante question de l'équilibre à trouver entre préservation de la biodiversité et développement.
Monsieur Brondeau, le Conservatoire du littoral est bien entendu très actif outre-mer. Vous conduisez en particulier des projets visant à la fois à protéger et valoriser de nombreux sites des territoires ultra-marins. Quels sont les résultats auxquels vous êtes parvenus ? Quelles conséquences peut-on en tirer ? Comment améliorer et renforcer ces politiques de protection et de valorisation de la biodiversité outre-mer ?
Le Conservatoire du littoral en outre-mer intervient actuellement uniquement dans les outre-mer situés dans les océans Atlantique et Indien.
Les mangroves constituent un enjeu spécifique à l'outre-mer. Elles sont des réservoirs de biodiversité, jouent un rôle majeur dans la protection des côtes et le stockage du carbone et représentent une ressource économique majeure, une partie du cycle de reproduction de la plupart des poissons pêchés dans le monde s'y déroulant. Elles génèrent également des revenus via le tourisme, puisqu'elles peuvent constituer le point de départ d'activités de découverte. Les mangroves sont aussi étroitement liées aux autres écosystèmes marins que sont les écosystèmes coralliens et les herbiers.
La mangrove de Guyane présente la particularité d'être cyclique, présentant des phases de très forte régression et des phases d'accrétion. Elle respire à l'intérieur d'une bande mesurant plusieurs kilomètres de large au gré du passage des bancs de sable et des phénomènes d'érosion. Si elle était bloquée, les conséquences pourraient s'avérer désastreuses.
La protection des écosystèmes terrestres est indispensable à la protection des écosystèmes marins. Les tortues marines représentent d'ailleurs un lien entre la terre et la mer. Leur sauvegarde implique de mener des actions de préservation sur leurs écosystèmes marins comme terrestres. Les sites de ponte des tortues sont des territoires d'intervention fréquents du Conservatoire du littoral en outre-mer, au même titre que les mangroves.
Les îlots constituent un autre enjeu majeur en matière de littoral. En effet, la quasi-totalité des îles principales sont entourées de petites îles abritant une biodiversité exceptionnelle y ayant trouvé refuge. C'est par exemple le cas du Rocher du Diamant en Martinique. Des espèces endémiques, tel que l'iguane des petites Antilles, se réfugient régulièrement sur des îlots. Ces derniers représentent aussi des sites de reproduction ou de repos pour les oiseaux marins. Il importe donc d'en préserver la tranquillité et de trouver un juste équilibre entre la valorisation et la fréquentation humaine et le maintien de populations d'oiseaux.
L'îlet du Loup-Garou, en Martinique, qui culmine à 1,50 mètre, a pour sa part la particularité d'être régulièrement submergé, puis de se reconstituer, à l'occasion d'événements climatiques majeurs comme les cyclones. En raison du réchauffement climatique, il est probable qu'il soit de plus en plus souvent submergé, la biodiversité qu'il abrite s'en trouvant menacée. Quant aux îles de la Petite Terre situées en Guadeloupe, elles constituent l'un des derniers refuges de l'iguane des petites Antilles. Or, il est plus facile de mener des actions de préservation sur les territoires circonscrits que sont les îlots.
Les continuités écologiques représentent aussi un enjeu. La montagne Pelée en Martinique est un monument de nature partant de la mer et atteignant 1 500 mètres d'altitude. Par conséquent, elle inclut des écosystèmes de moyenne et de haute altitude. Le gradient écologique doit pouvoir continuer à y fonctionner. La Grande Chaloupe, sur l'île de La Réunion, pose également des enjeux de connexion écologique, notamment le long des ravines. Ces dernières sont des corridors écologiques pour les oiseaux et la faune qu'il importe de préserver.
Quant aux habitats de forêt semi-sèche, ils sont menacés quelle que soit leur localisation. Leur préservation est un enjeu de taille pour le Conservatoire du littoral. La Guyane comprend aussi des habitats particuliers menacés, particulièrement les habitats ouverts plus facilement valorisables en matière agricole ou pour l'installation d'infrastructures.
Enfin, les zones humides du littoral sont très importantes, notamment pour l'avifaune pour laquelle elles représentent un lieu de halte dans le parcours migratoire. Au nord de la Guyane, les rizières de Mana, réserve ouverte d'eau douce, constituent un point d'intérêt international à l'échelle du continent américain pour la préservation des oiseaux : plusieurs millions d'oiseaux s'y arrêtent au cours de leur trajet vers l'Amérique du Nord.
De même, les salines de Sainte-Anne en Martinique sont menacées par une activité agricole intensive y introduisant des matières polluantes, tandis que l'étang du Gol à La Réunion pâtit de la présence d'espèces exotiques envahissantes telles que la jacinthe d'eau. Les marais de Folle Anse situés à Marie-Galante sont aussi concernés par des enjeux de préservation de la biodiversité, au même titre que la lagune du Grand Barachois, située à Saint-Pierre-et-Miquelon et constituant un réservoir de biodiversité d'une surface de plus de mille hectares. La plus grande colonie de phoques française y a notamment élu domicile.
L'outil de protection réglementaire peut être nécessaire. Il est largement mis en oeuvre en outre-mer, qui compte ainsi trois parcs nationaux, une vingtaine de réserves naturelles, plus de 35 arrêtés de protection de biotope, des sites classés, des parcs régionaux et des parcs marins. D'autres outils réglementaires, non spécifiquement créés pour la préservation de la biodiversité, non issus du code de l'environnement et plus généralistes peuvent aussi avoir un rôle majeur.
Le code forestier est par exemple très employé en outre-mer, puisqu'une large partie des écosystèmes terrestres relève du régime forestier. Ce dernier fournit une protection, notamment à travers la présence de l'ONF. De même, le code de l'urbanisme, via les schémas d'aménagement régionaux (SAR) dans les départements d'outre-mer et les plans locaux d'urbanisme dans d'autres territoires, préserve la vocation naturelle des espaces. En la matière, l'outre-mer est d'ailleurs en avance par rapport au reste du territoire français, les SAR en outre-mer ayant une valeur prescriptive beaucoup plus forte que ceux de la métropole. De surcroît, les schémas régionaux de cohérence écologique constituent désormais l'un des volets des SAR et permettent de définir une vraie politique de préservation de la biodiversité à l'échelle d'un territoire.
Les outils contractuels permettent pour leur part d'intervenir parfois sur des milieux agricoles. Ils sont néanmoins peu utilisés en outre-mer. Au contraire, les outils de labellisation, de l'Unesco ou Ramsar, sont très utilisés.
L'outil foncier s'inscrit davantage dans le coeur du métier du Conservatoire du littoral. Il est nécessaire à la préservation lorsque la protection réglementaire ne suffit pas. Alors que la réglementation permet d'interdire, de réguler, d'établir des conditions et de prescrire, elle ne contraint pas à l'intervention et n'en donne pas non plus les moyens. Or, agir implique de maîtriser le foncier. Il convient parfois de réaliser des travaux pour faire reculer le stationnement ou de réaliser des opérations de décompactage et de renaturation pour améliorer les sites de ponte des tortues marines par exemple. La maîtrise du foncier est également nécessaire à l'accueil d'un public et à la valorisation et à l'accessibilité des espaces naturels. En effet, de nombreux sites restent encore difficiles d'accès et sont méconnus par le public ; or, la connaissance constitue un gage de protection.
Enfin, le foncier naturel est déjà largement public à l'intérieur des terres. L'outre-mer comprend ainsi de nombreuses forêts départementales domaniales. Le foncier est maîtrisé par l'État ou par les collectivités locales à travers des politiques d'espace naturel sensible. En revanche, la maîtrise foncière publique est moins forte sur les littoraux, ces derniers ayant été plus souvent privatisés. Dans ce contexte, l'action du Conservatoire du littoral est essentielle et complémentaire des autres outils de maîtrise foncière.
Bien que le Conservatoire fête ses quarante ans en 2015, il n'intervient que depuis vingt ans en outre-mer. Grâce à son équipe de 25 personnes, il maîtrise désormais 40 000 hectares dans huit départements ou collectivités d'outre-mer, dont plus de 30 000 hectares appartenant à l'État, notamment des domaines publics maritimes, et un peu moins de 10 000 hectares acquis.
Pour ces derniers, le Conservatoire du littoral s'est doté d'une stratégie d'intervention foncière depuis 2014 permettant de définir les territoires dans lesquels il cherchera à acheter ou à maîtriser par d'autres moyens le foncier. Il ambitionne de tripler sa maîtrise foncière en outre-mer sur une période de 35 ans. À cette fin, des procédures fortes de préemption devront être mises en oeuvre, de nombreuses négociations menées et des mesures d'expropriation prises en l'absence d'autres possibilités.
Les enjeux de biodiversité ont largement influencé la définition de la stratégie, mais des enjeux liés à des attentes sociales ont également été pris en compte, notamment l'ouverture au public de sites privatisés. Le Conservatoire du littoral s'est essentiellement appuyé sur les SAR ayant déjà analysé finement les vocations du sol. Sa stratégie constitue donc un outil de mise en oeuvre des SAR, en particulier la partie concernant les espaces remarquables du littoral.
En matière de biodiversité, la stratégie foncière vise à la fois à préserver des sites dans lesquels des espèces remarquables sont présentes et des continuités écologiques. C'est pourquoi, le Conservatoire du littoral est de plus en plus amené à intervenir sur des zones transversales, partant de la mer et jusqu'à l'intérieur des terres. Au-delà de l'acquisition foncière, la politique du Conservatoire consiste à réaliser des travaux de restauration écologique. Par exemple, à La Réunion, au titre du programme LIFE mené par l'Union européenne en collaboration avec le Parc national, des projets ambitieux ont permis de reconstituer quelques dizaines d'hectares de forêts sèches. Des programmes de dératisation sont aussi régulièrement menés sur des îlots pour préserver l'avifaune. Sans maîtrise du foncier, ces programmes n'auraient pas été envisageables. Les travaux menés visent souvent également l'accueil du public, avec des équipements permettant de le sensibiliser aux enjeux de préservation. On constate qu'un site naturel non équipé est moins bien protégé qu'un site aménagé et accessible.
Enfin, si la biodiversité en outre-mer est considérable, les menaces auxquelles elle est confrontée le sont également : forte pression urbaine, croissance démographique supérieure à la moyenne nationale et niveau de connaissances plus faible. La préservation constitue donc une tâche ardue. Dans un contexte de débat portant sur la reconquête de la biodiversité et sur la création d'une Agence française pour la biodiversité, il importe d'unir nos forces, aucun acteur ne pouvant prétendre agir seul significativement. Les collectivités ultramarines ont d'ailleurs une capacité d'initiative plus forte que leurs homologues métropolitaines et la possibilité d'innover, y compris en matière réglementaire. À ce titre, l'outre-mer pourrait être un laboratoire de mise en oeuvre d'actions innovantes en matière de conservation de la biodiversité.
Au terme de ces présentations très denses, je retiens qu'il existe des moyens, bien que parfois modestes, et qu'il faut optimiser leur utilisation en accentuant les synergies.
La parole est aux rapporteurs.
Les interventions diverses et riches ont témoigné des nombreuses politiques déjà mises en oeuvre en faveur de la biodiversité. La spécificité des outre-mer et leurs statuts leur procurent une capacité d'agir plus dynamique que celle des territoires métropolitains. L'État intervient également, de même que des ONG sur la base de contrats ou d'actions ponctuels.
Quant à l'UE, toutes ses directives ne peuvent s'appliquer à l'outre-mer. La directive Oiseaux, par exemple, concerne les oiseaux occidentaux. Une directive spécifique aux aires de répartition des oiseaux devrait être élaborée. En revanche, il est possible de s'inspirer de la directive n° 92-43 portant sur les habitats et s'inscrivant dans la directive Natura 2000 pour élaborer des mesures complémentaires de réglementation renforçant les dispositifs existants.
Par ailleurs, si la loi prévoit que l'élaboration de plans nationaux d'action (PNA) soient élaborés, elle ne précise pas quelle structure devra les mettre en oeuvre et avec quels moyens. Peut-être devrions-nous interpeller la ministre sur le sujet.
En outre, nous disposons déjà de nombreuses connaissances, mesurons mieux les risques que jamais, ainsi que les enjeux de disparation des espèces. Or, l'urgence est absolue. Nous devons donc envisager de la prioriser davantage. La loi nous offre l'opportunité de fournir un effort supplémentaire à l'égard de l'outre-mer. Nous la doterions ainsi du souffle dont elle a besoin.
Le projet de loi relatif à la biodiversité, que nous nous apprêtons à examiner au Sénat, accorde une large place à la biodiversité ultramarine, notamment à travers une représentation des outre-mer au sein du conseil d'administration de la future Agence française pour la biodiversité.
Quoi qu'il en soit, en matière de protection des mangroves et des récifs coralliens, est-il possible d'aller plus loin ? En quoi les mangroves et les récifs coralliens sont-ils essentiels dans la lutte contre le changement climatique ?
Les mangroves stockent le carbone, limitant à la source l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Elles figurent d'ailleurs parmi les écosystèmes les plus productifs en matière de stockage de carbone. L'un des effets du changement climatique étant l'augmentation du niveau de la mer et la multiplication des phénomènes climatiques violents, les mangroves jouent un rôle de barrière protectrice contre l'érosion des côtes. En effet, plus de la moitié de l'énergie de la houle est dispersée par son passage à travers plusieurs centaines de mètres de mangrove. Par conséquent, la préservation de la mangrove constitue un excellent investissement face au changement climatique.
Afin de traiter les enjeux auxquels nous faisons face en matière de reconquête de la biodiversité, tant en métropole qu'en outre-mer, la future Agence française pour la biodiversité doit être dotée de la puissance et des moyens appropriés. L'idée de sa création avait émergé lors du Grenelle de l'environnement en 2007, mais sa concrétisation ne survient qu'en 2015. Compte tenu des enjeux et des missions qu'il avait été initialement envisagé de confier à l'agence, les moyens doivent être à la hauteur des ambitions. Sans quoi, une étape majeure aura été ratée. Le plan ambitieux de maîtrise foncière auquel collaborera le Conservatoire du littoral, par exemple, exigera des moyens substantiels.
Les premiers préfigurateurs avaient envisagé d'allouer à l'Agence française pour la biodiversité un budget de l'ordre de 400 millions d'euros par an. Or, à l'occasion de la conférence organisée à Strasbourg sur sa mise en place, l' « Appel de Strasbourg » a évalué les besoins à 500 millions d'euros. Actuellement, sous l'effet du redéploiement des quatre établissements qui y seront intégrés, le budget prévu atteint environ 230 millions d'euros seulement.
Nous sommes tous conscients du contexte budgétaire contraint. Toutefois, à une loi de reconquête de la biodiversité valorisant les missions et les ambitions doivent correspondre des moyens adéquats. Le monde associatif soutient totalement le projet de loi à condition que les moyens alloués permettent de répondre aux enjeux.
Par ailleurs, la France s'apprête à transposer le Protocole de Nagoya à travers le mécanisme d'accès et de partage des avantages (APA). Toutefois, la consultation des communautés autochtones est prévue sur les savoirs, non sur l'exploitation des ressources génétiques. Or, l'application du Protocole de Nagoya implique de les consulter également sur ce sujet. En tant qu'administrateur du Parc national de Guyane, j'insiste sur ce point, car il faut un juste retour des ressources territoriales.
J'ai auditionné Gilles Kleitz, directeur du Parc national de Guyane. La consultation des populations traditionnelles pose des difficultés en raison de la technicité des sujets. Par conséquent, un travail considérable doit être fourni. De nombreux Néocalédoniens ont notamment travaillé sur la coutume, à laquelle les métropolitains doivent aussi s'intéresser. Il convient de prendre la peine de discuter avec les chefs coutumiers et de rendre visite aux différentes communautés. Il ne suffit donc pas de consulter les populations autochtones. La compréhension mutuelle est délicate et longue à se mettre en place ; elle nécessite beaucoup d'intelligence humaine, chacun devant s'efforcer d'entrer dans la démarche intellectuelle de l'autre.
Par ailleurs, deux fantasmes doivent être battus en brèche. Premièrement, nous ne rendrons pas aux populations autochtones tout ce qui leur a été pris. Deuxièmement, il convient de ne pas susciter chez ces dernières des attentes qui risqueraient d'aboutir à des déconvenues dommageables. Cette démarche implique la plus grande prudence.
Disposez-vous des moyens suffisants pour gérer et concilier le développement touristique et la protection des paysages ? De plus, où en est le projet du Bois Jolan en Guadeloupe ?
Les outre-mer doivent être un laboratoire de protection de la biodiversité. En effet, à part la Guyane, ils sont composés d'îles et d'archipels naturellement fragiles. La biodiversité qu'ils possèdent doit être protégée en conséquence.
Nous aspirons tous à la consommation, le projet d'agrandissement du port de Pointe-à-Pitre en témoignant. Cependant, les enfants et les jeunes doivent faire l'objet d'une action pédagogique renforcée de manière à ce que les nouvelles générations grandissent avec l'envie de préserver la biodiversité.
L'équilibre en outre-mer doit prendre en compte la protection de la biodiversité, le développement économique et l'aménagement des territoires, mais également les risques. Un ancien préfet de La Réunion affirmait ainsi que le seul risque non présent en outre-mer était le risque avalancheux.
Plusieurs règles européennes s'appliquent, telles que la directive-cadre sur l'eau ou la directive-cadre stratégique sur les milieux marins en cours d'expérimentation en Guyane et en Polynésie. Nous travaillons à leur application. Le cadre réglementaire en outre-mer est davantage contraignant que dans l'hexagone ; la réglementation n'y est pas plus permissive.
Quant à l'Agence française pour la biodiversité, le ministère des outre-mer s'est battu pour obtenir une délégation territoriale par département d'outre-mer. Il semblerait qu'il ait eu gain de cause. Le ministère souhaite également favoriser une conception des délégations territoriales la plus intégratrice et rassembleuse.
Les outre-mer et les cinq DOM bénéficient de 30 % des fonds de la politique de cohésion nationale, en particulier le FEDER et le FSE. Nous sommes d'ailleurs favorables à ce que les associations puissent en profiter. En tant que membre du conseil d'administration de l'Agence française de développement (AFD), le ministère des outre-mer y défendra cette position. De même, l'enveloppe consentie aux outre-mer dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) est significative. Les moyens existent donc, même s'ils doivent être correctement ciblés.
Enfin, de nombreuses politiques publiques en matière de recherche ont des objectifs très ambitieux en outre-mer. Cependant, des stations d'épuration et des centres de traitement des déchets performants doivent aussi y être construits ; il s'agit d'une condition première de préservation de l'environnement et, par conséquent, de la biodiversité.
Nos remerciements vont à l'ensemble des intervenants pour cette longue matinée très riche en informations délivrées, qui inspirera les réflexions du débat parlementaire.